Présentation des articles 1346 à 1346-5 de la nouvelle sous-section 4 « Le paiement avec subrogation »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

L’ordonnance conserve la distinction entre la subrogation légale (art. 1346) et la subrogation conventionnelle et, pour cette dernière, la distinction entre la subrogation ex parte creditoris (art. 1346-1) et la subrogation ex parte debitoris (art. 1346-2). On peut toutefois noter deux évolutions majeures par rapport aux anciennes dispositions du Code civil : la liste des cas dans lesquels il y a subrogation de plein droit est remplacée par une règle générale (art. 1346) et les effets de la subrogation sont désormais précisés dans deux nouvelles dispositions (art. 1346-4 et 1346-5).

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1346.- La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. Art. 1251.- La subrogation a lieu de plein droit :

1° Au profit de celui qui étant lui-même créancier paie un autre créancier qui lui est préférable à raison de ses privilèges ou hypothèques ;

2° Au profit de l’acquéreur d’un immeuble, qui emploie le prix de son acquisition au paiement des créanciers auxquels cet héritage était hypothéqué ;

3° Au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette, avait intérêt de l’acquitter ;

4° Au profit de l’héritier acceptant à concurrence de l’actif net qui a payé de ses deniers les dettes de la succession ;

5° Au profit de celui qui a payé de ses deniers les frais funéraires pour le compte de la succession.

Art. 1346-1.- La subrogation conventionnelle s’opère à l’initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d’une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur.

Cette subrogation doit être expresse.

Elle doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n’ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement. La concomitance de la subrogation et du paiement peut être prouvée par tous moyens.

Art. 1250, al. 1 et 2.- Cette subrogation est conventionnelle :

1° Lorsque le créancier recevant son paiement d’une tierce personne la subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques contre le débiteur : cette subrogation doit être expresse et faite en même temps que le paiement ;

Art. 1346-2.- La subrogation a lieu également lorsque le débiteur, empruntant une somme à l’effet de payer sa dette, subroge le prêteur dans les droits du créancier avec le concours de celui-ci. En ce cas, la subrogation doit être expresse et la quittance donnée par le créancier doit indiquer l’origine des fonds.

La subrogation peut être consentie sans le concours du créancier, mais à la condition que la dette soit échue ou que le terme soit en faveur du débiteur. Il faut alors que l’acte d’emprunt et la quittance soient passés devant notaire, que dans l’acte d’emprunt il soit déclaré que la somme a été empruntée pour faire le paiement, et que dans la quittance il soit déclaré que le paiement a été fait des sommes versées à cet effet par le nouveau créancier.

Art. 1250, al. 3.- 2° Lorsque le débiteur emprunte une somme à l’effet de payer sa dette, et de subroger le prêteur dans les droits du créancier. Il faut, pour que cette subrogation soit valable, que l’acte d’emprunt et la quittance soient passés devant notaires ; que dans l’acte d’emprunt il soit déclaré que la somme a été empruntée pour faire le paiement, et que dans la quittance il soit déclaré que le paiement a été fait des deniers fournis à cet effet par le nouveau créancier. Cette subrogation s’opère sans le concours de la volonté du créancier.
Art. 1346-3.- La subrogation ne peut nuire au créancier lorsqu’il n’a été payé qu’en partie ; en ce cas, il peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un paiement partiel. Art. 1252.- La subrogation établie par les articles précédents a lieu tant contre les cautions que contre les débiteurs : elle ne peut nuire au créancier lorsqu’il n’a été payé qu’en partie ; en ce cas, il peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un paiement partiel.
Art. 1346-4.- La subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier.

Toutefois, le subrogé n’a droit qu’à l’intérêt légal à compter d’une mise en demeure, s’il n’a convenu avec le débiteur d’un nouvel intérêt. Ces intérêts sont garantis par les sûretés attachées à la créance, dans les limites, lorsqu’elles ont été constituées par des tiers, de leurs engagements initiaux s’ils ne consentent à s’obliger au-delà.

Art. 1346-5.- Le débiteur peut invoquer la subrogation dès qu’il en a connaissance mais elle ne peut lui être opposée que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte.

La subrogation est opposable aux tiers dès le paiement.

Le débiteur peut opposer au créancier subrogé les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes. Il peut également lui opposer les exceptions nées de ses rapports avec le subrogeant avant que la subrogation lui soit devenue opposable, telles que l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes.

Subrogation légale : la substitution d’un critère général unique à la liste limitative de l’ancien article 1251 (art. 1346). L’ancien article 1251 énumérait les cas dans lesquels la subrogation avait lieu de plein droit (c’est-à-dire les cas de subrogation légale). Cette liste comportait quatre cas spéciaux et un cas général énoncé à son 3° selon lequel la subrogation avait lieu « au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette, avait intérêt à l’acquitter ». Était notamment inclus dans cette hypothèse le codébiteur solidaire qui a désintéressé le créancier commun au-delà de sa part : le codébiteur solidaire disposait alors de plein droit d’un recours subrogatoire contre les autres codébiteurs à hauteur de leurs parts respectives. La Cour de cassation a toutefois interprété très largement ce cas général, par exemple dans une affaire où un notaire avait, par sa faute, fait perdre à son client le bénéfice d’une hypothèque[1]. Le notaire avait été condamné à indemniser le préjudice subi par son client du fait de la perte de l’hypothèque. La Cour de cassation a admis que le notaire puisse bénéficier de la subrogation légale contre le débiteur de son client, alors même que le notaire n’était pas à strictement parler « tenu pour d’autres » ou « avec d’autres », mais s’était acquitté d’une dette de réparation qui lui était purement personnelle.

L’ordonnance abandonne la liste limitative de l’ancien article 1251 et lui substitue un critère général : la subrogation a lieu par le seul effet de la loi « au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette » (art. 1346). Selon le Gouvernement, ce nouveau critère « répond à la jurisprudence actuelle, très libérale dans son interprétation des textes ». Il faut comprendre que le Gouvernement n’a pas eu l’intention de modifier la jurisprudence antérieure. Il faudra donc se référer à cette jurisprudence pour savoir ce qu’est un « intérêt légitime » et ce qui ne l’est pas, l’ancienne liste de l’article 1251 laisse donc place à une certaine casuistique jurisprudentielle qui existait déjà auparavant par le truchement du 3° de l’ancien article 1251.

Il est intéressant de noter que l’article 1324 du projet d’ordonnance était encore plus libéral sur les conditions de la subrogation légale : « La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. » Le Gouvernement a ajouté dans l’ordonnance finale l’expression « y ayant un intérêt légitime » afin « d’éviter qu’un tiers totalement étranger à la dette et qui serait mal intentionné (dans des relations de concurrence par exemple) puisse bénéficier de la subrogation légale »[2].

La subrogation conventionnelle ex parte creditoris est conservée (art. 1346-1). Au moment où le créancier reçoit le paiement d’un tiers, il peut subroger ce dernier dans ses droits. Cette hypothèse ne présente plus véritablement d’intérêt maintenant que la subrogation légale a lieu systématiquement lorsqu’un tiers s’acquitte de la dette d’autrui, sauf si l’intérêt du tiers à s’acquitter de la dette d’autrui est illégitime (art. 1346). Le Gouvernement a toutefois décidé de maintenir la subrogation ex parte creditoris afin de rassurer les praticiens, cette forme de subrogation conventionnelle étant très utilisée en droit des affaires en matière d’affacturage[3].

L’article 1346-1 reprend toutes les conditions de l’ancien article 1250, 1° : la subrogation doit être consentie par le créancier (al. 1er), de façon expresse (al 2) et elle doit avoir lieu en même temps que le paiement (al. 3). Cette dernière exigence s’explique par le fait que le paiement éteint en principe l’obligation (art. 1342, al. 3) : après le paiement il est trop tard pour subroger, car la subrogation est un transfert de la créance au solvens, or on ne peut plus transférer une créance qui n’existe plus. L’ordonnance apporte deux précisions par rapport à l’ancien article 1250, 1°. Tout d’abord la subrogation conventionnelle ex parte creditoris peut être consentie en même temps que le paiement, mais aussi antérieurement. C’est ici une solution jurisprudentielle qui est consacrée[4], cette solution est logique : peu importe que le consentement soit donné avant ou au moment du paiement, l’essentiel étant qu’il soit donné avant l’extinction de l’obligation. Le texte précise ensuite que la preuve de la concomitance de la subrogation et du paiement peut être apportée par tous moyens. Là encore, l’ordonnance se contente de codifier la jurisprudence[5]. En pratique la quittance subrogative est l’un des principaux modes de preuve : le créancier indique dans la quittance remise au solvens qu’il le subroge dans ses droits. La force probante de ce mode de preuve est toutefois variable : elle est forte quand elle est opposée au subrogeant (car il s’agit d’un écrit constatant un acte juridique et qui est opposé à celui qui l’a signé, il s’agit donc d’une preuve parfaite contre laquelle il ne peut être prouver contre que par un autre écrit, art. 1359, al. 2, et 1372), elle est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond lorsqu’elle est opposée au débiteur ou à un autre tiers et ces derniers peuvent prouver contre par tous moyens (art. 1372 interprété a contrario), notamment lorsqu’il y a un conflit de droits sur la créance et qu’il s’agit de prouver la date du paiement subrogatoire.

La subrogation conventionnelle ex parte debitoris est modifiée (art. 1346-2). La subrogation ex parte debitoris est une subrogation opérée à l’initiative du débiteur. Celui-ci contracte un prêt pour payer sa dette et subroge le prêteur dans les droits de son créancier initial, en général afin que le prêteur puisse profiter des sûretés du premier créancier. L’opération peut avoir principalement deux intérêts pratiques : il peut s’agir d’une opération de « rachat de crédit » lorsque le débiteur trouve un meilleur taux d’intérêt auprès d’un autre prêteur (le débiteur rembourse le premier prêteur avec les fonds prêtés par le second et subroge ce dernier dans les droits du premier) ; il peut aussi s’agir pour le débiteur de se ménager un délai de paiement lorsqu’il n’a pas les moyens de payer sa dette à l’échéance (il paie alors cette dette avec les fonds donnés par le prêteur et subroge ce dernier dans les droits du créancier).

L’ancien article 1250, 2°, permettait au débiteur de subroger le solvens dans les droits de son créancier sans le consentement de ce dernier, mais le texte prévoyait une procédure très lourde nécessitant de recourir à un notaire. Le nouvel article 1346-2 distingue deux hypothèses.

Première hypothèse, le créancier originaire consent à la subrogation conventionnelle ex parte debitoris. Dans cette hypothèse il suffit que la subrogation soit expresse et la quittance donnée par le créancier doit indiquer l’origine des fonds (art. 1346-2, al. 1er). À vrai dire, on ne perçoit pas la différence entre cette forme de subrogation, et la subrogation ex parte creditoris… Si le créancier donne son accord à la subrogation conventionnelle, qu’est-ce qui distingue la subrogation de l’article 1346-2, al. 1er, de celle de l’article 1346-1 ? A priori, rien….

Seconde hypothèse, la subrogation ex parte debitoris s’effectue sans le concours du créancier, ce qui n’est possible que si la dette est échue ou si le terme est en faveur du débiteur (art. 1346-2, al. 2). Dans ce cas le nouveau texte prévoit une procédure identique à celle de l’ancien article 1250, 2° : l’acte d’emprunt et la quittance doivent être passés devant notaire, il doit être déclaré dans l’acte d’emprunt que la somme a été empruntée pour faire le paiement et il doit être mentionné dans la quittance que le paiement a été fait des sommes versées à cet effet par le prêteur. Bien que le texte prévoie que la subrogation est, dans cette hypothèse, « consentie sans le concours du créancier », en pratique son concours est indispensable dès lors que la quittance doit être passée devant notaire et doit mentionner l’origine des fonds : cela est impossible si le créancier s’y oppose (comp. art. 1345 et s.)…

L’intérêt de la subrogation ex parte debitoris apparaît donc restreint, d’autant plus que désormais la subrogation légale a lieu automatiquement à la seule condition que le solvens ait un intérêt légitime. Plutôt que de verser les fonds au débiteur pour qu’il paie lui-même le créancier en subrogeant le prêteur dans ses droits, il semble plus simple pour le prêteur de payer directement le créancier afin de bénéficier de la subrogation légale.

La subrogation ne peut nuire au créancier (art. 1346-3). L’ordonnance reprend la règle de l’ancien article 1252. Ainsi, en cas de paiement partiel, et donc de subrogation partielle, le créancier subrogeant prime le créancier subrogé si le débiteur est insolvable.

Effets de la subrogation : le principe du transfert de la créance et de ses accessoires dans la limite du paiement (art. 1346-4, al. 1er). Le Code civil n’indiquait pas les effets de la subrogation, l’ordonnance comble cette lacune en consacrant les solutions jurisprudentielles. La subrogation transfère au solvens la créance et ses accessoires dans la limite de ce qu’il a payé. La subrogation est donc à rapprocher, sur le plan des effets, d’une cession de créance. La principale différence entre les deux mécanismes est que l’assiette de la cession de créance est totalement indépendante de son prix. Une créance ayant un montant nominal de 100 peut parfaitement être revendue à 80 : la totalité de la créance (100) n’en sera pas moins transférée au cessionnaire. Cette créance peut même être cédée à 120, même si l’hypothèse semble incongrue : le cessionnaire récupèrera alors toujours une créance de 100, et non de 120. On peut enfin imaginer une cession de créance à titre gratuit, le cessionnaire récupère alors la totalité de la créance (100) en n’ayant rien payé au cédant. Une cession partielle est également envisageable, le cédant ne peut transférer que la moitié de la créance (50) pour un prix quelconque. La subrogation ne bénéficie pas de cette même souplesse puisque le transfert n’a lieu que dans la limite du paiement : si la créance est de 100 et que le solvens a payé 80 au créancier, seule une partie (80%) de la créance lui est transférée, l’accipiens conservant le reste. Ainsi que nous l’avons vu, les affactureurs sont parvenus à contourner ce problème en utilisant la compensation : la totalité de la dette est payée, mais une partie seulement donne lieu à un versement monétaire, l’autre partie étant payée par compensation avec le prix de l’affacturage facturé au créancier accipiens[3].

La jurisprudence qui prévoit que le subrogé ne peut prétendre qu’aux intérêts produits au taux légal, à l’exclusion du taux conventionnel, est consacrée (art. 1346-4, al. 2). Cette solution découle, selon la justification avancée par la Cour de cassation, du fait que la créance n’est transférée au subrogé que dans la limite de ce qu’il a payé[6]. On peut donc supposer que la créance correspondant aux intérêts conventionnels échus est transférée au solvens s’il a payé ces intérêts au créancier. En dehors de cette hypothèse, le subrogé ne peut prétendre qu’à l’intérêt au taux légal et à compter de la mise en demeure du débiteur.

Le texte précise que ces intérêts légaux sont garantis par les sûretés de la créance dans les limites, lorsqu’elles ont été constituées par des tiers, de leurs engagements initiaux. Cette dernière précision est à vrai dire superfétatoire : le principe nemo plus juris ad alium transeferre potest quam ipse habet conduit naturellement à cette solution (nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il en a lui-même).

La subrogation n’entraîne pas le transfert des droits exclusivement attachés à la personne du créancier (art. 1346-4). Là encore l’ordonnance ne fait que codifier la jurisprudence[7].

La subrogation est opposable aux tiers dès le paiement (art. 1346-5, al. 2). La solution est classique, mais est désormais consacrée dans le Code civil. La question de la preuve du paiement et de sa date est traitée de façon générale à l’article 1342-8 : « Le paiement se prouve par tout moyen. » On peut supposer que la charge de la preuve revienne au subrogé en cas de contestation, par analogie avec la cession de créance (art. 1323, al. 2).

La subrogation est opposable au débiteur à compter de sa notification ou du moment où le débiteur en a pris acte (art. 1346-5, al. 1er et 3). L’ordonnance fait évoluer le droit positif sur ce point. Auparavant la subrogation était opposable erga omnes à la date du paiement, donc y compris au débiteur. Toutefois le jeu de l’ancien article 1240 (repris au nouvel article 1342-3) faisait que le débiteur était libéré s’il payait de bonne foi le subrogeant possesseur apparent de la créance (ou son ayant cause). On parlait alors d’opposabilité occulte : le débiteur ne pouvait pas opposer au créancier subrogé les exceptions personnelles à ses rapports avec le subrogeant nées postérieurement à la subrogation (comme la compensation de dettes non connexes si l’obligation réciproque était née après la subrogation), mais il pouvait néanmoins, grâce à l’ancien article 1240, opposer au créancier subrogé le paiement fait de bonne foi au créancier subrogeant postérieurement à la subrogation. Pour faire échec au jeu de l’ancien article 1240, il suffisait de prouver que le débiteur avait connaissance de la subrogation, donc qu’il n’était pas de bonne foi lorsqu’il a payé le créancier subrogeant. En pratique le créancier subrogé avait donc intérêt à notifier la subrogation au débiteur pour éviter qu’il puisse se libérer valablement entre les mains du subrogeant en invoquant l’ancien article 1240.

Le nouvel article 1346-5, alinéa 1er, aboutit à une solution différente. La subrogation ne devient opposable au débiteur que si elle lui a été notifiée, ou s’il en a pris acte, c’est-à-dire s’il a reconnu en être informé. La date d’opposabilité de la subrogation au débiteur est donc retardée. À défaut d’une notification ou d’une prise d’acte, le débiteur peut toujours se libérer valablement entre les mains du créancier subrogeant, même s’il avait concrètement connaissance de la subrogation, puisque la subrogation ne lui est alors pas opposable. On passe donc d’une opposabilité de plein droit (mais occulte), à une opposabilité conditionnée à l’accomplissement d’une formalité (une notification de la subrogation).

En pratique la différence est faible en ce qui concerne l’exception de paiement, dans la mesure où le subrogé avait déjà, auparavant, intérêt à notifier la subrogation au débiteur par lettre recommandée avec avis de réception afin de se ménager une preuve de la connaissance de la subrogation par le débiteur et pouvoir ainsi faire échec au jeu de l’ancien article 1240. Autrement dit la notification de la subrogation permettait auparavant de constituer le débiteur de mauvaise foi pour faire échec au jeu de l’ancien article 1240, elle est aujourd’hui nécessaire pour rendre la subrogation opposable au débiteur.

En revanche la différence est beaucoup plus substantielle en ce qui concerne les exceptions autres que le paiement fait au créancier subrogeant ou à son ayant cause (art. 1345-6, al. 3). L’ordonnance aligne en effet le régime de l’opposabilité des exceptions de la subrogation sur celui de la cession de créance (art. 1324, al. 2). Une distinction est faite entre les exceptions inhérentes à la dette (qui sont nommées ainsi par l’ordonnance) et les exceptions extérieures à la dette ou personnelles au cédant (qui ne sont pas nommées ainsi par l’ordonnance ; on peut aussi parler d’exceptions personnelles au rapport débiteur-créancier subrogeant). Les exceptions inhérentes à la dette peuvent être opposées par le débiteur au subrogé quelle que soit la date de leur naissance, sur ce point il n’y a aucun changement. L’article en donne quelques exemples : la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation des dettes connexes. En revanche les exceptions extérieures à la dette sont désormais opposables au subrogé si elles sont nées avant que la subrogation n’ait été rendue opposable au débiteur, c’est-à-dire avant la notification de la subrogation, alors qu’auparavant elles n’étaient opposables au créancier subrogé que si elles étaient nées avant la subrogation (et non avant sa notification). L’ordonnance cite à titre d’exemple, parmi les exceptions personnelles à la relation débiteur-créancier subrogeant, l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes.

Indépendamment des règles d’opposabilité précédemment évoquées, le débiteur peut invoquer la subrogation dès qu’il en connaissance (art. 1346-5, al. 1er). Le débiteur n’a donc pas à attendre que la subrogation lui soit notifiée pour s’en prévaloir : il peut, dès qu’il en a connaissance, l’opposer au créancier subrogeant pour refuser de le payer ; il peut se libérer valablement en payant le créancier subrogé.

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • Ph. Stoffel-Munck, « La subrogation : tenons compte de la volonté du créancier », Dr. et patr. n° 249, juillet-août 2015, p. 55.

Notes de bas de page

[1] Cass. civ. 1re, 3 mars 1987, n° 85-12.344.

[2] Rapport remis au Président de la République.

[3] Afin de contourner le lourd formalisme d’opposabilité de l’article 1690 du Code civil, les affactureurs préféraient utiliser la subrogation conventionnelle qui est opposable à la date du paiement. L’inconvénient de la subrogation est qu’elle ne peut avoir lieu qu’à hauteur du paiement et empêche donc en principe toute utilisation du procédé à des fins spéculatives, alors que la cession de créance permet de stipuler un prix de cession inférieur au montant nominal de la créance (en contrepartie du risque d’insolvabilité du débiteur à l’échéance et du coût des procédures de recouvrement). Pour contourner ce problème, l’affactureur payait la totalité de la créance au créancier, ce qui lui permettait d’être subrogé dans la totalité de ses droits contre le débiteur, et il facturait en parallèle son service d’affacturage. Ex. : pour une créance de 100, l’affactureur pouvait facturer 20 au créancier. Il paie ainsi 100 au créancier, le créancier lui paie 20, au final l’affactureur est subrogé dans la totalité des droits du créancier contre le débiteur tout en n’ayant déboursé que 80 pour acquérir une créance de 100 (par le jeu de la compensation il n’y avait même qu’un seul mouvement d’argent entre l’affactureur et le créancier). Maintenant que les modalités d’opposabilité de la cession de créance ont été simplifiés (art. 1323 et 1324), l’intérêt de ce montage pour les affactureurs est réduit.

[4] Cass. com., 29 janv. 1991, n° 89-10.085.

[5] Cass. civ. 1re, 12 juill. 2006, n° 04-16.916.

[6] Cass. civ. 1re, 29 oct. 2002, n° 00-12.703 : « Attendu, selon le premier des textes susvisés [anc. art. 1252], que la subrogation est à la mesure du paiement ; que le subrogé ne peut prétendre, en outre, qu’aux intérêts produits au taux légal par la dette qu’il a acquittée […] ».

[7] V. par exemple Cass. com., 12 nov. 1985, n° 84-16.523.

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1346 à 1346-5 de la nouvelle sous-section 4 “Le paiement avec subrogation” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre4/​chap4/​sect1/​ssect4-paiement-subrogation/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 18/07/2016.
Dernière mise à jour le 05/08/2016.