Présentation des articles 1341 à 1341-3 du nouveau chapitre III « Les actions ouvertes au créancier »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

Les actions oblique (art. 1341-1) et paulienne (art. 1341-2) sont conservées, mais leurs dispositions sont modernisées afin de rendre compte d’une partie des apports de la jurisprudence. Ces deux articles demeurent néanmoins incomplets, si bien qu’il est toujours nécessaire de se référer à la jurisprudence antérieure pour connaître l’intégralité du régime de ces deux actions. Deux dispositions inédites sont par ailleurs ajoutées, à l’utilité quasi-nulle : les articles 1341 et 1341-3.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1341.- Le créancier a droit à l’exécution de l’obligation ; il peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi.
Art. 1341-1.- Lorsque la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. Art. 1166.- Néanmoins, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne.
Art. 1341-2.- Le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude. Art. 1167.- Ils peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.

Ils doivent néanmoins, quant à leurs droits énoncés au titre « Des successions » et au titre « Du contrat de mariage et des régimes matrimoniaux », se conformer aux règles qui y sont prescrites.

Art. 1341-3.- Dans les cas déterminés par la loi, le créancier peut agir directement en paiement de sa créance contre un débiteur de son débiteur.

Le créancier a droit à l’exécution de l’obligation et peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi (art. 1341). Il s’agit d’un truisme… Cette nouvelle disposition n’apporte aucune précision utile et a essentiellement une portée symbolique.

L’action oblique (art. 1341-1). Elle permet en substance au créancier d’exercer un droit ou une action (par exemple une créance) de son débiteur à sa place. L’ancien article 1166 était extrêmement lacunaire, aussi bien sur le plan des conditions que sur le plan des effets de l’action oblique. Le nouvel article 1341-1 apporte donc des précisions utiles, qui ne font que consacrer les solutions jurisprudentielles.

Sur le plan des conditions, l’action oblique est conditionnée à la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial. Ex. typique : le débiteur a dans son patrimoine une créance qui est exigible, mais il n’en demande pas le paiement à son débiteur. La carence du débiteur doit par ailleurs compromettre les droits de son créancier. Ainsi, le créancier ne peut pas exercer l’action oblique si son débiteur dispose de suffisamment de liquidités pour le désintéresser. Enfin, le texte original l’indiquait déjà, le créancier ne peut exercer les droits et actions qui sont exclusivement rattachés à la personne du débiteur, comme le droit de demander la révision ou la suppression d’une pension alimentaire. En revanche, le texte ne précise pas les caractères que doit présenter la créance du créancier agissant. La jurisprudence, que le nouveau texte ne devrait pas affecter, considère que la créance doit être certaine, liquide et exigible au jour du jugement.

Sur le plan des effets, le texte précise que le créancier ne peut exercer les droits et actions de son débiteur que « pour le compte » de celui-ci. Cela signifie que le débiteur sera le seul bénéficiaire direct du fruit de l’exercice de ces droits et actions. Si le créancier agissant peut en bénéficier, ce n’est qu’indirectement, du fait de l’augmentation du patrimoine de son débiteur. Ex. : si le créancier exerce l’action oblique pour agir en paiement contre le débiteur de son débiteur, il exerce cette action en paiement pour le compte et au nom de son propre débiteur : les sommes versées par le débiteur du débiteur tomberont donc dans le patrimoine du débiteur du créancier agissant. Le créancier agissant pourra, dans un second temps seulement, faire pratiquer une saisie de ces sommes, mais il sera alors susceptible d’entrer en concours avec d’autres créanciers de son débiteur, situation inconfortable s’il est simple créancier chirographaire. Autrement dit, tous les créanciers du débiteur profitent du bénéfice de l’exercice de l’action oblique, qu’ils aient exercé l’action ou non. Cela est différent de l’action paulienne qui profite au(x) seul(s) créancier(s) agissant(s).

L’action paulienne (art. 1341-2). L’action paulienne permet à un créancier d’attaquer les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits. Là encore, l’ordonnance apporte des précisions utiles qui ne figuraient pas dans l’ancien article 1167. Ce faisant, elle consacre les solutions dégagées antérieurement par la jurisprudence. Le texte demeure néanmoins incomplet et il faut donc se référer à la jurisprudence antérieure pour le compléter.

Sur le plan des conditions, il faut d’abord démontrer l’existence d’une fraude. La fraude exige traditionnellement l’intention de nuire, mais la Cour de cassation a assoupli cette exigence en jugeant que « la fraude paulienne résulte de la seule connaissance qu’a le débiteur du préjudice qu’il cause au créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité »[1]. L’ordonnance consacre par ailleurs la jurisprudence qui exigeait, lorsque l’acte frauduleux est à titre onéreux, que le cocontractant ait connaissance de la fraude. Il s’agit ici de protéger le cocontractant du débiteur : si l’acte frauduleux est à titre gratuit, son annulation n’entraînera aucun préjudice pour le cocontractant qui perdra seulement le bénéfice que cet acte lui avait conféré[2] ; en revanche, si l’acte frauduleux est à titre onéreux, son annulation obligera le cocontractant à agir en restitution contre le débiteur, qui est par hypothèse insolvable, l’action paulienne nuira donc au cocontractant, c’est pourquoi on exige que sa mauvaise foi soit démontrée. Bien que le texte ne le précise pas, lorsque l’acte frauduleux est un acte translatif de propriété et que l’acquéreur revend le bien, on considère traditionnellement que le créancier peut attaquer les deux actes translatifs de propriété s’ils ont tous deux été conclus à titre gratuit ou si l’acquéreur et le sous-acquéreur sont de mauvaise foi.

Le texte omet ensuite d’indiquer certaines conditions qui ont été dégagées par la jurisprudence et qui seront très probablement maintenues par celle-ci. Tout d’abord le débiteur doit être insolvable au jour de l’acte frauduleux[3] et doit toujours l’être au jour de l’introduction de la demande[4]. En effet, si le débiteur n’est pas insolvable au jour de l’acte frauduleux, alors cet acte n’est en réalité pas frauduleux car il ne nuit point au créancier. Si le débiteur est insolvable au jour de l’acte, mais ne l’est plus au jour de l’introduction de la demande, alors le créancier n’a plus d’intérêt à agir. Ensuite, l’acte frauduleux doit être un acte d’appauvrissement, c’est-à-dire qu’il doit entraîner l’insolvabilité du débiteur ou l’aggraver[5]. Rappelons que le débiteur est dit insolvable lorsque son passif excède son actif disponible, c’est-à-dire lorsqu’il n’a plus suffisamment de biens pour répondre de ses dettes. La jurisprudence a considérablement assoupli ces deux dernières exigences, de deux façons. D’une part, elle permet au créancier d’agir contre des actes qui n’appauvrissent pas le débiteur, mais qui font échapper un bien aux poursuites en lui substituant des fonds plus aisés à dissimuler. C’est par exemple le cas d’un contrat de vente d’un fonds de commerce conclu entre le débiteur et sa femme à un prix certes normal, mais facilement dissimulable[6]. D’autre part, l’action paulienne est admise lorsque l’acte ne rend pas le débiteur insolvable, mais fraude un droit spécial du créancier : « Mais attendu que le créancier investi de droits particuliers sur certains biens de son débiteur peut, hors le cas d’insolvabilité du débiteur, faire révoquer les actes frauduleux faits par celui-ci sur ces mêmes biens, dès lors que par cet acte, ce débiteur a réduit la valeur de ces biens de manière à rendre impossible ou inefficace l’exercice des droits des créanciers »[7]. En l’espèce l’action paulienne était exercée par un créancier hypothécaire contre un contrat de bail de 12 ans conclu par le débiteur sur l’immeuble hypothéqué, ce qui réduisait considérablement la valeur de l’immeuble « au point de rendre la sûreté illusoire ». Cette jurisprudence a été critiquée par certains auteurs. Même si l’ordonnance ne la consacre pas, elle ne l’exclut pas pour autant et devrait donc, vraisemblablement, être maintenue. Enfin, dernière condition non mentionnée par l’article 1341-2, le demandeur doit démontrer qu’il avait une créance certaine, au moins en son principe (à défaut d’être liquide), au jour de l’acte frauduleux[8]. La créance du demandeur doit donc être antérieure à l’acte frauduleux. Là aussi la jurisprudence a assoupli cette exigence en admettant que la créance soit postérieure à l’acte frauduleux, dès lors que l’acte avait pour finalité de frauder les droits des créanciers futurs. C’est par exemple le cas lorsque celui qui s’apprête à commettre une infraction pénale organise préalablement son insolvabilité afin de ne pas avoir à indemniser les victimes[9].

Sur le plan des effets, la nature de la sanction, précisée par la jurisprudence, figure désormais dans le texte : l’acte frauduleux est déclaré inopposable à l’égard du ou des créanciers agissants. Le texte précise en effet que le créancier agit « en son nom personnel », contrairement à l’action oblique qui est exercée « pour le compte de son débiteur » (art. 1341‑1), l’action ne profite donc qu’au ou aux créanciers agissants, l’acte n’étant déclaré inopposable qu’à leur égard. Cela signifie que les créanciers agissants, en cas de succès de leur action, peuvent se comporter comme si l’acte frauduleux n’existait pas. Ainsi, si cet acte est translatif de propriété, le créancier agissant peut exercer son droit de gage général sur le bien comme s’il n’avait jamais quitté le patrimoine de son débiteur.

Les actions directes (art. 1341-3). « Dans les cas déterminés par la loi, le créancier peut agir directement en paiement de sa créance contre un débiteur de son débiteur. » Cette nouvelle disposition n’apporte rien sur le fond, elle ne fait que rappeler dans le droit commun qu’il existe des actions directes spéciales. On peut citer à titre d’exemple l’action directe du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage, créée par une loi de 1975. Le rapport remis au Président de la République précise que cet article n’est « relatif qu’aux actions directes en paiement et ne concerne pas les actions directes en responsabilité ou en garantie, de sorte que les solutions jurisprudentielles actuelles, notamment sur les chaînes translatives de propriété, ne sont pas affectées par ce texte ».

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • Ph. Delebecque, « L’action oblique et l’action paulienne : nihil novi sub sole », Dr. et patr. n° 249, juillet-août 2015, p. 65.
  • M. Latina, « Les actions du créancier (Projet, art. 1331-1 et 1331-2) », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 15 avr. 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/04/15/les-actions-du-creancier-projet-art-1331-1-et-1331-2/ [consulté le 03/06/2016].
  • M. Mignot, « Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (IX) », LPA 26 avril 2016, n° 83, p. 6.

Notes de bas de page

[1] Cass. civ. 1re, 14 févr. 1995, n° 92-18.886.

[2] On entend par là que l’action paulienne ne causera au tiers aucun préjudice par rapport à la situation qui était la sienne avant la conclusion de l’acte frauduleux.

[3] Cass. civ. 1re, 6 mars 2001, n° 98-22.384.

[4] Cass. com., 14 nov. 2000, n° 97-12.708.

[5] Cass. civ. 1re, 14 févr. 1995, n° 92-18.886.

[6] Cass. com., 1 mars 1994, n° 92-15.425.

[7] Cass. civ. 1re, 18 juill. 1995, n° 93-13.681.

[8] Cass. civ. 1re, 13 avr. 1988, n° 86-14.682.

[9] Cass. civ. 1re, 7 janv. 1982, n° 80-15.960.

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1341 à 1341-3 du nouveau chapitre III “Les actions ouvertes au créancier” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre4/​chap3-actions-creancier/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 18/07/2016.
Dernière mise à jour le 18/07/2016.