Application dans le temps de l’ordonnance

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

La question des conflits de lois dans le temps est particulièrement sensible en matière contractuelle puisque le contrat est un outil de prévision, il est donc souhaitable que le législateur ne déjoue pas les prévisions des parties.

L’entrée en vigueur de l’ordonnance

La date d’entrée en vigueur d’une loi est la date de sa « mise en application », le « moment où le texte devient obligatoire »[1]. Selon l’article 1er du Code civil, les lois « entrent en vigueur à la date qu'[elles] fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication ». En l’occurrence, l’article 9 de l’ordonnance prévoit que toutes les dispositions de celle-ci entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Ces dispositions ne pourront donc pas être appliquées avant le 1er octobre 2016. Cela ne signifie cependant pas que toutes ces dispositions deviendront applicables à tous les contrats dès le 1er octobre 2016, des distinctions doivent être faites.

Selon l’article 2 du Code civil, « La loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif. » Suite aux propositions de Roubier, doctrine et jurisprudence raisonnent désormais essentiellement en termes de situations juridiques. Le principe est celui de l’application immédiate des lois nouvelles aux effets futurs des situations juridiques en cours. Toutefois, le contrat étant un outil de prévision, les situations juridiques contractuelles sont traitées différemment. La jurisprudence écarte le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle et lui substitut un principe dit de « survie de la loi ancienne ». Tous les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle restent donc en principe régis par la loi en vigueur à l’époque de leur conclusion, aussi bien en ce qui concerne leurs conditions de validité que leurs effets passés et futurs[2]. Seuls les contrats conclus après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle sont donc, en principe, régis par celle-ci.

Le législateur peut toutefois déroger à ces règles en prévoyant des dispositions transitoires, dans la mesure où l’article 2 du Code civil n’a qu’une valeur légale[3]. C’est ce que le Gouvernement a fait avec l’ordonnance du 10 février 2016 dont l’article 9 dispose que :

« Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.

« Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.

« Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.

« Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation. »

La disposition n’est pas des plus claires, mais une interprétation littérale de celle-ci permet de comprendre les éléments suivants.

L’alinéa 1er prévoit que l’ordonnance ne pourra commencer à être appliquée qu’à compter du 1er octobre 2016, c’est ce que l’on vient de voir.

L’alinéa 2 ne fait que rappeler le principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle : les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent régis par la loi qui était en vigueur au moment de leur conclusion, y compris pour leurs effets postérieurs au 1er octobre 2016. Cet alinéa n’est cependant pas superfétatoire, car s’il existe un principe jurisprudentiel de survie de la loi ancienne en matière contractuelle, la Cour de cassation lui a reconnu quelques exceptions. Elle juge notamment que la loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets légaux des contrats conclus avant son entrée en vigueur[4]. L’alinéa 2 de l’article 9 de l’ordonnance semble exclure expressément cette exception : l’ordonnance ne s’appliquera pas aux contrats conclus avant le 1er octobre sans que l’on ait à distinguer entre leurs effets contractuels et leurs effets légaux.

L’alinéa 3 consacre trois exceptions au principe de survie de la loi ancienne posé à l’alinéa 2 : les actions interrogatoires introduites en matière de pactes de préférence (art. 1123, al. 3 et 4), de représentation (art. 1158) et de nullités (art. 1183) sont applicables « dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance ». Il faut comprendre par là que ces dispositions seront applicables à tous les contrats, passés comme futurs, à compter du 1er octobre 2016. Cette dérogation au principe de survie de la loi ancienne semble raisonnable dès lors que ces actions interrogatoires visent uniquement à renforcer la sécurité juridique des tiers ou des parties sans déjouer les prévisions initiales de celles-ci. On est ici dans une hypothèse d’application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours et non dans une hypothèse de rétroactivité, puisque les effets produits par les contrats avant le 1er octobre 2016 demeurent régis par la loi ancienne[5].

L’alinéa 4, enfin, précise que l’ordonnance ne s’applique pas aux instances en cours et aux instances introduites avant le 1er octobre 2016. Cet alinéa semble superfétatoire puisque l’alinéa 2 dispose que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent régis par la loi ancienne… La seule hypothèse que pourrait viser cet alinéa est celle dans laquelle une action serait introduite avant le 1er octobre 2016 sur le fondement d’un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 et pour laquelle l’une des actions interrogatoires visées à l’alinéa 3 serait exercée, en cours d’instance, après le 1er octobre… L’hypothèse semble hautement improbable.

L’article 9 ne règle pas toutes les questions relatives à l’application dans le temps de l’ordonnance, puisqu’il ne traite directement que des situations contractuelles alors que l’ordonnance est plus large : elle réforme également le droit de la preuve et le régime général de l’obligation. Pour les situations non contractuelles il faudra donc appliquer l’article 2 du Code civil et le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle : l’ordonnance s’appliquera aux situations juridiques nées à compter du 1er octobre 2016 et aux effets futurs[6] des situations juridiques non contractuelles nées avant le 1er octobre 2016.

Même en matière contractuelle, des problématiques non directement résolues par l’article 9 de l’ordonnance se présenteront certainement. Cette disposition transitoire devrait par exemple conduire à appliquer le droit antérieur à un contrat-cadre conclu en 2015, mais à appliquer le droit nouveau à un contrat d’application conclu après le 1er octobre 2016 : que faire si, sur une question donnée, l’application du droit antérieur au contrat-cadre et du droit nouveau au contrat d’application conduit à deux solutions incompatibles ? Nul doute que les arrêts sur ces questions de conflits de lois dans le temps seront nombreux.

Il est par ailleurs possible que la Cour de cassation fasse évoluer sa jurisprudence antérieure, c’est-à-dire celle applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, pour aligner progressivement certaines solutions sur les dispositions nouvelles introduites par l’ordonnance. Cela conduirait de facto à attribuer une certaine rétroactivité aux dispositions de l’ordonnance.

La ratification de l’ordonnance

L’article 38, alinéa 2, de la Constitution prévoit que les ordonnances « entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation ». Le texte contient une subtilité, souvent exploitée sous la Ve République, qui permet au Gouvernement d’assurer l’efficacité de son ordonnance sans avoir à obtenir sa ratification par le Parlement. L’ordonnance ne devient en effet caduque que si elle n’est pas déposée au Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation, mais la Constitution ne prévoit aucun délai pour sa ratification. Le Gouvernement ayant une large maitrise de l’ordre du jour des assemblées (c’est un peu moins vrai depuis la révision constitutionnelle de 1995 qui a créé une « niche parlementaire »[7]), il peut s’arranger pour que la question de la ratification ne soit jamais débattue au Parlement.

Dès lors, trois hypothèses sont désormais possibles.

Première hypothèse, la ratification de l’ordonnance n’est jamais débattue au Parlement. Dans ce cas l’ordonnance entrera néanmoins en vigueur le 1er octobre 2016, mais conservera une valeur réglementaire. En pratique cela signifie que le Conseil constitutionnel ne pourra pas contrôler la constitutionnalité de l’ordonnance, y compris dans le cadre d’une QPC, et que le Conseil d’État sera compétent pour contrôler à la fois sa légalité[8] et sa constitutionnalité[9].

Seconde hypothèse, le Parlement ratifie l’ordonnance, dans ce cas elle acquiert une valeur légale : la loi de ratification pourra être contrôlée par le Conseil constitutionnel. Dans cette hypothèse le Parlement aura la possibilité, au moins théorique, de modifier les dispositions de l’ordonnance en amendant le projet de loi de ratification.

Troisième hypothèse, le Parlement refuse de ratifier l’ordonnance, elle deviendrait alors caduque. Il s’agit là d’une hypothèse purement théorique : cela ne s’est jamais produit en pratique dans l’histoire de la Ve République.

La Garde des Sceaux de l’époque, Mme Taubira, avait annoncé lors des débats sur la loi d’habilitation que l’ordonnance serait soumise à la ratification dans les six mois de sa publication afin que les parlementaires puissent l’amender. Il faut toutefois noter que Mme Taubira a quitté ses fonctions récemment et que les attentats de janvier et novembre 2015 ont eu lieu depuis. Dans ce contexte particulier, il n’est pas certain que la promesse puisse être tenue. Si l’ordonnance peut être débattue au Parlement, il est très peu probable que celui-ci refuse de la ratifier, ce cas de figure ne se produisant jamais[10].

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • G. Bricker, « Réformer le Code civil par ordonnance ? Point de vue publiciste », Dr. et patr. n° 247, mai 2015, p. 48.
  • C. François, « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D. 2016, p. 506.
  • C. François, « L’application dans le temps de la réforme du droit des obligations », Blog de Clément François, billet du 11 févr. 2016, http://www.clementfrancois.fr/droit-transitoire-ordo-reforme-contrats-rgo/ [consulté le 20/06/2016].
  • S. Gaudemet, « Dits et non-dits sur l’application dans le temps de l’ordonnance du 10 février 2016 », JCP G 2016, 559.
  • L. Leveneur, « Présentation générale de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations », Contrats, conc. consom. 2016, dossier 2 (n° 5, p. 7).

Notes de bas de page

[1] Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, G. Cornu (dir.), 10e éd., PUF, 2014, v° « vigueur ».

[2] Cass. civ. 3e, 3 juill. 1979, n° 77-15.552. Ce principe a encore été rappelé récemment par la Cour de cassation : Cass. civ. 1re, 12 juin 2013, n° 12-15.688.

[3] Si le législateur peut déroger à l’article 2 du Code civil, il y a en revanche des limites constitutionnelles et conventionnelles (essentiellement la Convention EDH) de plus en plus importantes à la rétroactivité de la loi.

[4] Par « effet légal du contrat » il faut entendre « effet attaché par la loi au contrat », c’est-à-dire un effet que le contrat produit indépendamment de la volonté de ses parties. La Cour de cassation a par exemple jugé en 1981 que l’action directe consacrée par la loi nouvelle en matière de sous-traitance était un effet attaché par la loi au contrat et non un effet contractuel stricto sensu et en a conclu que les dispositions de la loi nouvelle relatives à l’action directe devaient s’appliquer immédiatement aux contrats en cours : Cass. ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12.125.

[5] Une action interrogatoire exercée avant le 1er octobre 2016 ne produirait donc aucun effet.

[6] Par « effets futurs » il faut entendre « effets juridiques produits par ces situations à compter du 1er octobre 2016 ».

[7] V. le pénultième alinéa de l’article 48 de la Constitution.

[8] CE, 12 févr. 1960, Société Eky.

[9] Cons. constit., déc. n° 2011-219 QPC du 10 févr. 2012, Patrick E.

[10] M. Verpeaux, Droit constitutionnel français, 2e éd., PUF, 2015, p. 571-572, n° 333. Les deux décisions précitées sont extraites de cet ouvrage.

Comment citer cet article ?

C. François, « Application dans le temps de l’ordonnance », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​application-dans-le-temps-de-lordonnance/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 26/06/2016.
Dernière mise à jour le 26/06/2016.