Présentation des articles 1203 à 1209 de la nouvelle sous-section 2 « Le porte-fort et la stipulation pour autrui »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

L’article 1203 précise que l’on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même. Cela signifie que l’on ne peut pas, en dehors de l’hypothèse de la représentation[1], engager un tiers. Ainsi Primus ne peut-il pas convenir avec Secundus que Tertius vend sa voiture à Secundus (encore une fois, hypothèse de la représentation mise à part). S’ils le font, alors le contrat de vente ne produira aucun effet : Tertius ne deviendra ni créancier, ni débiteur de Secundus, il ne sera pas engagé par ce contrat. La promesse de porte-fort et la stipulation pour autrui, qui sont régies par les dispositions suivantes, ne sont pas réellement des exceptions à ce principe dans la mesure où aucun de ces deux mécanismes ne conduit à engager le tiers indépendamment de sa volonté. C’est pourquoi la formule de l’article 1203 diffère légèrement de celle de l’ancien article 1119, afin de ne plus présenter la promesse de porte fort et la stipulation pour autrui comme des exceptions.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1203.- On ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même. Art. 1119.- On ne peut, en général, s’engager, ni stipuler en son propre nom, que pour soi-même.
Art. 1204.- On peut se porter fort en promettant le fait d’un tiers.

Le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts.

Lorsque le porte-fort a pour objet la ratification d’un engagement, celui-ci est rétroactivement validé à la date à laquelle le porte-fort a été souscrit.

Art. 1120.- Néanmoins, on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci ; sauf l’indemnité contre celui qui s’est porté fort ou qui a promis de faire ratifier, si le tiers refuse de tenir l’engagement.
Art. 1205.- On peut stipuler pour autrui.

L’un des contractants, le stipulant, peut faire promettre à l’autre, le promettant, d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire. Ce dernier peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse.

Art. 1121, 1re phrase.- On peut pareillement stipuler au profit d’un tiers lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre.
Art. 1206.- Le bénéficiaire est investi d’un droit direct à la prestation contre le promettant dès la stipulation.

Néanmoins le stipulant peut librement révoquer la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée.

La stipulation devient irrévocable au moment où l’acceptation parvient au stipulant ou au promettant.

Art. 1121, 2e phrase.- Celui qui a fait cette stipulation ne peut plus la révoquer si le tiers a déclaré vouloir en profiter.
Art. 1207.- La révocation ne peut émaner que du stipulant ou, après son décès, de ses héritiers. Ces derniers ne peuvent y procéder qu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du jour où ils ont mis le bénéficiaire en demeure de l’accepter.

Si elle n’est pas assortie de la désignation d’un nouveau bénéficiaire, la révocation profite, selon le cas, au stipulant ou à ses héritiers.

La révocation produit effet dès lors que le tiers bénéficiaire ou le promettant en a eu connaissance.

Lorsqu’elle est faite par testament, elle prend effet au moment du décès.

Le tiers initialement désigné est censé n’avoir jamais bénéficié de la stipulation faite à son profit.

Art. 1208.- L’acceptation peut émaner du bénéficiaire ou, après son décès, de ses héritiers. Elle peut être expresse ou tacite. Elle peut intervenir même après le décès du stipulant ou du promettant.
Art. 1209.- Le stipulant peut lui-même exiger du promettant l’exécution de son engagement envers le bénéficiaire.

L’ordonnance ne contredit pas les solutions antérieurement consacrées par la jurisprudence quant au régime des promesses de porte-fort, mais ne lui consacre qu’un seul article fort lacunaire (art. 1204). La doctrine distingue classiquement deux types de promesses de porte-fort.

Le porte-fort de ratification, tout d’abord, est un contrat par lequel une personne (le promettant) s’engage envers une autre (le bénéficiaire) à ce qu’un tiers s’engage envers lui. Selon la définition de la Cour de cassation, il s’agit d’un « engagement personnel autonome d’une personne qui promet à son cocontractant d’obtenir l’engagement d’un tiers à son égard »[2]. L’article 1204 conserve le régime jurisprudentiel du porte-fort de ratification. Si le tiers accepte de ratifier l’engagement pris par le promettant, alors le promettant est libéré vis-à-vis du bénéficiaire (art. 1204, al. 2) et le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de façon rétroactive, c’est-à-dire à compter de la date à laquelle le porte-fort a été souscrit (art. 1204, al. 3)[3]. Si le tiers ne ratifie pas l’engagement pris par le promettant, alors ce dernier engage automatiquement sa responsabilité car la promesse de porte-fort recèle une obligation de résultat, à défaut il ne s’agirait pas d’une promesse de porte-fort[4]. En revanche, le tiers n’engage en aucun cas sa responsabilité (art. 1203)[5] et le promettant ne peut être condamné à exécuter le contrat à la place du tiers qui a refusé de le conclure : il peut seulement être condamné à des dommages-intérêts (art. 1204, al. 2).

Le porte-fort d’exécution, ensuite, est un contrat par lequel le promettant s’engage envers le bénéficiaire à ce qu’un tiers exécute un contrat qui a déjà été conclu entre ledit tiers et le bénéficiaire. Le porte-fort d’exécution est donc une forme de garantie, qui est toutefois distinguée du cautionnement en ce qu’il recèle une obligation de faire[6] autonome et non accessoire[7]. Lorsque le tiers n’exécute pas son engagement envers le bénéficiaire, le promettant n’est pas tenu d’exécuter le contrat à la place du tiers, mais doit indemniser le bénéficiaire des conséquences de l’inexécution[8].

Le rapport remis au Président de la République distingue trois types de porte-fort, ce qui est rarement fait dans les manuels de droit des obligations. Le rapport distingue le porte-fort de ratification stricto sensu du porte-fort « de conclusion ». Dans le porte-fort de ratification, « le promettant se porte fort d’obtenir le consentement à un acte qui est déjà négocié et conclu », la ratification de ce contrat par le tiers engage donc ce dernier de façon rétroactive à compter de la date de la conclusion du porte-fort (art. 1204, al. 3). En revanche, dans le porte-fort de conclusion, « le promettant s’engage auprès du bénéficiaire à ce qu’un tiers conclue un autre acte juridique », par conséquent la conclusion de cet acte juridique entre le tiers et le bénéficiaire du porte-fort « n’a pas à produire d’effet rétroactif ». Il est regrettable que ces trois types de porte-fort ne soient pas définis directement dans l’ordonnance.

Il faudrait donc désormais distinguer trois types de porte-fort : « le ‘porte-fort de ratification’ (c’est-à-dire lorsque le promettant se porte fort d’obtenir le consentement à un acte qui est déjà négocié et conclu), le porte-fort dit ‘de conclusion’ (lorsque dans un acte le promettant s’engage auprès du bénéficiaire à ce qu’un tiers conclue un autre acte juridique), [et] le ‘porte-fort d’exécution’ (c’est-à-dire lorsqu’il s’engage à ce qu’un tiers exécute un contrat conclu avec le bénéficiaire, à titre de ‘garantie’). »[9] Il reste à voir si la jurisprudence retiendra cette taxinomie qui ne figure que dans le rapport remis au Président de la République et pas dans le texte de l’ordonnance.

La stipulation pour autrui est définie par l’article 1205, alinéa 2. Il s’agit d’un contrat par lequel « l’un des contractants, le stipulant, [fait] promettre à l’autre, le promettant, d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire ». Alors que le porte-fort ne fait l’objet que d’un seul article lacunaire, la stipulation pour autrui fait l’objet de cinq articles. Ces dispositions se contentent de consacrer les apports de la jurisprudence. Ainsi, pour commencer, le bénéficiaire de la stipulation doit être déterminé ou déterminable (art. 1205, al. 2)[10].

La stipulation fait naître un droit direct au profit du bénéficiaire contre le promettant (art. 1206, al. 1er)[11]. Cela signifie que le droit qu’acquiert le bénéficiaire n’a jamais été dans le patrimoine du stipulant, il naît directement dans le patrimoine du tiers bénéficiaire qui n’est donc pas l’ayant cause du stipulant, ce qui a des conséquences importantes, notamment en droit des successions lorsque le stipulant décède.

La révocation de la stipulation par le stipulant demeure libre tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée (art. 1206, al. 2). Il s’agit ici d’une reprise de la règle de l’ancien article 1121.

L’acceptation de la stipulation par le tiers bénéficiaire est un acte unilatéral réceptice qui peut être adressé au promettant ou au stipulant (art. 1206, al. 3). La révocation est également un acte unilatéral réceptice, elle peut être adressée au promettant ou au tiers bénéficiaire (art. 1207, al. 3). Ainsi, en cas de révocation et d’acceptation simultanées, c’est celle des deux qui arrive en premier à son destinataire qui produit effet : si l’acceptation parvient en premier, elle rend la promesse irrévocable et la révocation est donc sans effet ; si la révocation parvient en premier, le tiers est censé n’avoir jamais bénéficié de la stipulation pour autrui (art. 1207, al. 5) et son acceptation postérieure sera donc sans effet.

Les articles 1207 et 1208 déterminent les conditions et formes dans lesquelles la révocation et l’acceptation peuvent être effectuées. Rappelons à cet égard qu’une loi de 2007 a aménagé le régime de l’acceptation en matière d’assurance vie. L’assurance vie s’analyse juridiquement en une stipulation pour autrui, si bien que l’acceptation de celle-ci par le tiers bénéficiaire empêche le stipulant (le souscripteur de l’assurance) de révoquer la stipulation pour récupérer les fonds investis dans le contrat d’assurance vie (on parle de « rachat » en matière d’assurance vie). Auparavant, pour éviter que cela ne se produise, les souscripteurs n’avaient qu’une solution : ne pas informer le tiers bénéficiaire de l’existence du contrat d’assurance vie afin d’éviter que celui-ci ne l’accepte. Désormais l’article L. 132-9, II, du Code des assurances dispose que « tant que l’assuré et le stipulant sont en vie, l’acceptation est faite par un avenant signé de l’entreprise d’assurance, du stipulant et du bénéficiaire. Elle peut également être faite par un acte authentique ou sous seing privé, signé du stipulant et du bénéficiaire, et n’a alors d’effet à l’égard de l’entreprise d’assurance que lorsqu’elle lui est notifiée par écrit. » Ainsi, en matière de contrat d’assurance vie, l’acceptation de la stipulation pour autrui n’est plus un acte unilatéral puisqu’elle nécessite le consentement du stipulant. La stipulation pour autrui ne peut donc plus être rendue irrévocable sans le consentement du stipulant (cela ne concerne que le contrat d’assurance vie qui déroge au droit commun sur ce point).

Le stipulant, bien qu’il ne soit pas créancier de la stipulation pour autrui (seul le bénéficiaire l’est), peut néanmoins agir en exécution forcée contre le promettant, au profit du bénéficiaire (art. 1209). Cette solution est issue d’une jurisprudence constante[12]. La jurisprudence antérieure reconnaissait également l’existence d’une action directe contre le promettant au profit du bénéficiaire[13], cette action est évidemment maintenue par l’ordonnance : bien que cela ne soit pas précisé expressément, on peut le déduire de l’article 1206, alinéa 1er.

L’ordonnance ne précisant pas davantage les effets de la stipulation pour autrui dans les différents rapports (stipulant-promettant, promettant-bénéficiaire et stipulant-bénéficiaire), on peut supposer que les solutions jurisprudentielles antérieures sont maintenues. Ainsi, même si le droit du bénéficiaire contre le promettant est un droit direct qui n’a jamais été dans le patrimoine du stipulant, il n’en demeure pas moins que ce droit a pour fondement le contrat contenant la stipulation pour autrui, le promettant peut donc opposer au bénéficiaire les exceptions tirées de ce contrat[14] et peut notamment agir en résolution du contrat.

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

Notes de bas de page

[1] S’il y a représentation, alors le représentant contracte au nom du représenté, et non en son propre nom.

[2] Cass. civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.694.

[3] Cass. civ. 1re, 8 juill. 1964, Bull. civ. I, n° 382.

[4] Cass. civ. 3e, 7 mars 1978, n° 76-14.534. Il est possible que le promettant ne contracte qu’une obligation de faire en s’engageant à faire tout son possible pour que le tiers conclut le contrat avec le bénéficiaire, mais dans ce cas il ne s’agit pas d’une promesse de porte-fort : on parle parfois, pour désigner de contrat, de promesse de bons offices.

[5] Cass. com., 25 janv. 1994, n° 91-21.582.

[6] Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890 : « Attendu qu’il résulte du premier de ces textes, que l’engagement de porte-fort constitue un engagement de faire, de sorte que le second ne lui est pas applicable ; » (les articles 1120 et 1326 anciens figuraient au visa).

[7] Cass. com., 1 avr. 2014, n° 13-10.629 : « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse, des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis ».

[8] Cass. com., 1 avr. 2014, n° 13-10.629.

[9] Rapport remis au Président de la République.

[10] Cass. civ., 28 déc. 1927.

[11] Cass. civ. 1re, 12 juill. 1956, n° 56-07.052 : « Attendu que si le tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui acquiert contre le promettant un droit propre et direct, le stipulant n’en possède pas moins une action en exécution de la promesse souscrite par le débiteur ; »

[12] V. par exemple l’arrêt précité : Cass. civ. 1re, 12 juill. 1956, n° 56-07.052 : « Attendu que si le tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui acquiert contre le promettant un droit propre et direct, le stipulant n’en possède pas moins une action en exécution de la promesse souscrite par le débiteur ».

[13] Cass. com., 7 oct. 1997, n° 95-18.119.

[14] Cass. civ. 1re, 15 déc. 1998, n° 96-20.885.

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1203 à 1209 de la nouvelle sous-section 2 “Le porte-fort et la stipulation pour autrui” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre3/​stitre1/​chap4/​sect2/​ssect2-porte-fort-stipulation-autrui/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 29/06/2016.
Dernière mise à jour le 29/06/2016.