Présentation des articles 1304 à 1304-7 de la nouvelle section 1 « L’obligation conditionnelle »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

L’ordonnance opère une refonte des dispositions du Code civil relatives à la condition. Certaines dispositions étaient inutiles et ont ainsi été purement et simplement supprimées, c’est notamment le cas de celles distinguant les conditions selon qu’elles sont casuelles, mixtes ou potestatives[1]. D’autres ne reflétaient plus le droit positif et ont ainsi été actualisées, c’est notamment le cas de celles relatives aux conditions purement potestatives, même si le résultat n’est pas toujours à la hauteur des espérances.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1304.- L’obligation est conditionnelle lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain.

La condition est suspensive lorsque son accomplissement rend l’obligation pure et simple.

Elle est résolutoire lorsque son accomplissement entraîne l’anéantissement de l’obligation.

Art. 1168.- L’obligation est conditionnelle lorsqu’on la fait dépendre d’un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu’à ce que l’événement arrive, soit en la résiliant, selon que l’événement arrivera ou n’arrivera pas.

Art. 1181.- L’obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d’un événement futur et incertain, ou d’un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties.

Dans le premier cas, l’obligation ne peut être exécutée qu’après l’événement.

Dans le second cas, l’obligation a son effet du jour où elle a été contractée.

Art. 1183.- La condition résolutoire est celle qui, lorsqu’elle s’accomplit, opère la révocation de l’obligation, et qui remet les choses au même état que si l’obligation n’avait pas existé.

Elle ne suspend point l’exécution de l’obligation ; elle oblige seulement le créancier à restituer ce qu’il a reçu, dans le cas où l’événement prévu par la condition arrive.

Art. 1304-1.- La condition doit être licite. A défaut, l’obligation est nulle. Art. 1172.- Toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend.
Art. 1304-2.- Est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. Cette nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause. Art. 1170.- La condition potestative est celle qui fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher.

Art. 1171.- La condition mixte est celle qui dépend tout à la fois de la volonté d’une des parties contractantes, et de la volonté d’un tiers.

Art. 1174.- Toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige.

Art. 1304-3.- La condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement.

La condition résolutoire est réputée défaillie si son accomplissement a été provoqué par la partie qui y avait intérêt.

Art. 1178.- La condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement.
Art. 1304-4.- Une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n’est pas accomplie.
Art. 1304-5.- Avant que la condition suspensive ne soit accomplie, le débiteur doit s’abstenir de tout acte qui empêcherait la bonne exécution de l’obligation ; le créancier peut accomplir tout acte conservatoire et attaquer les actes du débiteur accomplis en fraude de ses droits.

Ce qui a été payé peut être répété tant que la condition suspensive ne s’est pas accomplie.

Art. 1180.- Le créancier peut, avant que la condition soit accomplie, exercer tous les actes conservatoires de son droit.
Art. 1304-6.- L’obligation devient pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive.

Toutefois, les parties peuvent prévoir que l’accomplissement de la condition rétroagira au jour du contrat. La chose, objet de l’obligation, n’en demeure pas moins aux risques du débiteur, qui en conserve l’administration et a droit aux fruits jusqu’à l’accomplissement de la condition.

En cas de défaillance de la condition suspensive, l’obligation est réputée n’avoir jamais existé.

Art. 1179.- La condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté. Si le créancier est mort avant l’accomplissement de la condition, ses droits passent à son héritier.

Art. 1182.- Lorsque l’obligation a été contractée sous une condition suspensive, la chose qui fait la matière de la convention demeure aux risques du débiteur qui ne s’est obligé de la livrer que dans le cas de l’événement de la condition.

Si la chose est entièrement périe sans la faute du débiteur, l’obligation est éteinte.

Si la chose s’est détériorée sans la faute du débiteur, le créancier a le choix ou de résoudre l’obligation, ou d’exiger la chose dans l’état où elle se trouve, sans diminution du prix.

Si la chose s’est détériorée par la faute du débiteur, le créancier a le droit ou de résoudre l’obligation, ou d’exiger la chose dans l’état où elle se trouve, avec des dommages et intérêts.

Art. 1304-7.- L’accomplissement de la condition résolutoire éteint rétroactivement l’obligation, sans remettre en cause, le cas échéant, les actes conservatoires et d’administration.

La rétroactivité n’a pas lieu si telle est la convention des parties ou si les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat.

Art. 1179.- La condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté. Si le créancier est mort avant l’accomplissement de la condition, ses droits passent à son héritier.

V. aussi supra, art. 1183 ancien (reproduit à l’art. 1304 nouveau).

La conception retenue de la condition est classique (art. 1304). « L’obligation est conditionnelle lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain » (al. 1er). On comprend par cette formule que la condition affecte l’existence même de l’obligation. Il s’agit d’une première différence avec le terme qui n’affecte pas l’existence de l’obligation, mais seulement son exigibilité. La seconde différence essentielle avec le terme est que la condition fait dépendre l’existence de l’obligation de la réalisation d’un événement futur et incertain, alors que le terme fait dépendre l’exigibilité de l’obligation de la réalisation d’un événement futur et certain. Autrement dit, seul un événement dont on n’est pas certain qu’il se réalisera peut en principe être érigé en condition. Ainsi, la mort d’une personne physique est un événement qui ne peut être érigé en condition, car toute personne est mortelle et il est donc certain que ladite personne mourra un jour. En résumé, la condition est un évènement futur et incertain dont la réalisation fera naître l’obligation (condition suspensive, art. 1304, al. 2) ou anéantira l’obligation (condition résolutoire, art. 1304, al. 3)[1].

La condition illicite entraîne toujours la nullité de l’obligation (art. 1304-1), mais le caractère impossible de la condition n’entraîne plus la nullité de l’obligation (ancien art. 1172). Ce n’est pas un oubli, mais une suppression volontaire. Lorsque la condition impossible est suspensive, il n’y a aucun sens à proclamer la nullité de l’obligation, puisque la condition suspend l’existence de l’obligation et, l’événement étant impossible, l’obligation ne pourra jamais exister : il n’y a aucun sens à annuler une obligation qui n’existe pas et qui ne pourra jamais exister. Lorsque la condition impossible est résolutoire, l’obligation existe ab initio et elle existera toujours puisque la réalisation de l’évènement est impossible. Dans cette hypothèse, il n’y a aucune raison de prononcer la nullité de l’obligation qui produit normalement ses effets. Si le caractère impossible de l’événement est constitutif d’une erreur ou a été accepté par une partie suite à un dol ou une violence, alors le contrat pourra être annulé, mais sur le fondement des dispositions relatives aux vices du consentement si leurs conditions sont réunies : il n’y a plus de nullité autonome en raison de l’impossibilité de la condition (art. 1172 anc.).

La sanction des conditions potestatives est conservée, sans que la nouvelle disposition ne soit véritablement plus convaincante que l’ancienne (art. 1304-2). Les anciens articles 1170 et 1174 du Code civil étaient très insatisfaisants : appliqués à la lettre, ils auraient dû conduire à la nullité de trop nombreuses conditions. La jurisprudence et la doctrine s’étaient donc efforcées de limiter le champ d’application de la nullité des conditions potestatives en recourant à des distinctions souvent byzantines, par exemple entre les conditions purement potestatives, seules soumises à la nullité, et les conditions simplement potestatives, qui échappaient à la nullité. Fallait-il supprimer la nullité des conditions potestatives ? Certains le pensaient, cette nullité étant jugée largement inutile[2]. Le Gouvernement a choisi de maintenir cette cause de nullité, même si l’expression « condition potestative » est formellement abandonnée : « Est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. » Il est pourtant permis de penser que cette nullité, même si la formule de la règle a été modernisée, demeure largement inutile.

Cette disposition permet de sanctionner l’hypothèse extrême et caricaturale dans laquelle le débiteur déclare s’engager s’il le veut[3]. C’est le fameux si voluero : « je m’engage, si je le veux » ; autant dire, dans une telle hypothèse, que le débiteur ne s’est en réalité pas engagé. La nullité de l’article 1304-2 est ici peu utile : si la réalisation de la condition dépend de la seule volonté du débiteur, c’est que le débiteur ne s’est pas réellement engagé et la nullité de l’obligation pourrait donc être obtenue pour absence de consentement réel[4]. La deuxième phrase de l’article 1304-2 n’est ici guère plus utile : « Cette nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause. » Le consentement du débiteur, qui faisait défaut du fait de l’existence d’une condition purement potestative, est tacitement acquis lorsque le débiteur exécute l’obligation en connaissance de cause.

Toutes les autres conditions potestatives, c’est-à-dire celles dont la réalisation ne dépend pas de la « seule volonté du débiteur », mais dépendent également d’un élément extérieur à la volonté du débiteur, ne sont pas soumises à la nullité de l’article 1304-2. Ainsi le contrat de vente conclu sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt n’est-il pas nul : le débiteur peut certes provoquer la défaillance de la condition suspensive en ne sollicitant pas de prêt auprès des banques, mais la « réalisation » de la condition ne dépend pas de sa « seule volonté » puisqu’elle dépend également de la volonté du banquier. Pourtant, on perçoit aisément le danger de ces contrats : l’acquéreur, qui aurait entre temps changé d’avis, pourrait ne pas déposer de demande de prêt auprès des banques, ce qui ferait défaillir la condition suspensive et lui permettrait ainsi d’échapper à bon compte à son engagement. Ce danger est toutefois totalement neutralisé par l’article 1304-3, alinéa 1er, il n’y a donc aucune raison de sanctionner ces conditions suspensives par la nullité.

Celui qui empêche la réalisation d’une condition suspensive ou provoque la réalisation d’une condition résolutoire alors qu’il y avait intérêt est sanctionné par l’article 1304-3. La condition est alors réputée, respectivement, accomplie (al. 1er) ou défaillie (al. 2), ce qui est une sanction très énergique puisqu’elle déjoue totalement l’objectif poursuivi par la partie qui a empêché ou provoqué la réalisation de la condition. Il s’agit d’une reprise de la règle de l’ancien article 1178 dont la formule est toutefois généralisée : l’ancien texte ne visait que l’hypothèse, trop restrictive, dans laquelle le débiteur a empêché la réalisation d’une condition suspensive. Le nouveau texte vise aussi bien la condition suspensive que la condition résolutoire et, au lieu de viser le débiteur ou le créancier, vise plus généralement celui qui « avait intérêt » à la défaillance ou à la réalisation de la condition (ce qui est particulièrement utile lorsque la condition affecte la totalité d’un contrat synallagmatique dans lequel chaque partie est à la fois créancière et débitrice de l’autre).

Ce texte conduit indirectement à faire peser une obligation de faire ou de ne pas faire sur celui des contractants qui a le pouvoir de contribuer à la défaillance ou à la réalisation de la condition. Ainsi, dans l’exemple précité du contrat de vente conclu sous condition suspensive d’obtention d’un prêt, la condition sera réputée accomplie si la non-obtention d’un prêt est imputable à l’acquéreur. Cela oblige indirectement l’acquéreur à faire son possible pour obtenir un prêt : il doit donc non seulement formuler une demande de prêt auprès d’une banque, mais il doit de surcroît le faire de bonne foi en formulant une demande réaliste, c’est-à-dire en n’exigeant pas un taux d’emprunt excessivement bas. En pratique les notaires insèrent dans les contrats de vente immobilière des clauses qui déterminent le nombre de banques que l’acquéreur doit démarcher, le montant du prêt qu’il doit solliciter, le taux en-deçà duquel l’acquéreur doit accepter l’offre de prêt qui lui est faite, etc. En cas de non-respect de ces conditions, la condition suspensive sera automatiquement réputée accomplie[5].

L’article 1304-4 met un terme aux hésitations de la Cour de cassation quant à la possibilité de renoncer au bénéfice d’une condition après sa réalisation. La doctrine considérait classiquement que la défaillance d’une condition suspensive entraînait la caducité du contrat et qu’il était donc impossible de renoncer au bénéfice d’une condition suspensive après sa réalisation : le contrat n’existe plus et il n’est évidemment pas possible de le « ressusciter ». Cette analyse classique a toutefois été remise en cause récemment par une série d’arrêts de la troisième chambre civile difficiles à interpréter. Elle a d’abord jugé en 2010, à propos d’une promesse synallagmatique de vente conclue sous condition suspensive de l’obtention d’un permis de construire dans un délai de deux mois, que les acquéreurs pouvaient « renoncer au bénéfice de cette condition dont la non-réalisation ne pouvait rendre caduque la promesse »[6]. La non-réalisation de la condition suspensive dans le délai convenu ne rendrait donc pas la promesse caduque, ce qui permettrait au bénéficiaire de ladite condition d’y renoncer. La même chambre, dans un arrêt inédit de 2011, a ensuite opéré une distinction byzantine entre la condition, qui était stipulée dans l’intérêt exclusif d’une seule partie, et le délai dans lequel devait intervenir la réalisation de cette condition, qui était lui stipulé dans l’intérêt des deux parties, de sorte que la non-réalisation de la condition dans le délai convenu entraînait la caducité du contrat et empêchait toute renonciation postérieure à la condition[7]. Enfin, dans un arrêt de 2015, la même chambre a jugé qu’une promesse synallagmatique de vente conclue sous la condition suspensive de l’obtention d’un permis de construire non affectée d’un délai exprès ne pouvait conduire à rendre l’engagement perpétuel et que la cour d’appel avait considéré souverainement qu’il était dans la commune intention des parties de fixer un délai raisonnable pour la réalisation de la condition suspensive si bien que la promesse était en l’espèce devenue caduque, rendant la renonciation à la condition impossible[8].

L’article 1304-4 met un terme à cette jurisprudence critiquée et opère un retour à la solution classique antérieure : « Une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n’est pas accomplie. » Une partie peut donc renoncer à une condition si : 1) elle a été stipulée dans son intérêt exclusif et 2) elle n’est pas encore « accomplie »[9]. Le rapport remis au Président de la République confirme cette analyse : « L’ordonnance privilégie ici une conception classique et objective de la condition : le contrat est automatiquement anéanti lorsque défaille la condition suspensive, afin d’éviter la remise en question du contrat bien après cette défaillance. » Toutefois, le Rapport se poursuit par une formule maladroite : « Bien sûr, la partie qui avait intérêt à la condition pourra toujours y renoncer après cette défaillance si elle obtient l’accord de son cocontractant. » Le contrat étant « automatiquement anéanti » en cas de défaillance de la condition suspensive, il ne devrait plus être possible de renoncer à la condition, y compris d’un commun accord. Un tel accord ne devrait pas s’analyser en une renonciation à la condition (ce qui n’est plus possible, le contrat étant anéanti), mais en la conclusion d’un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent (la condition retranchée).

Au-delà de cette controverse doctrinale et jurisprudentielle, le fait qu’une condition soit stipulée dans l’intérêt des deux parties n’empêche pas toute renonciation : il faut simplement que les deux parties y consentent.

Effets de la condition suspensive lorsque celle-ci est pendante (art. 1304-5). La règle de l’ancien article 1180 est conservée : le créancier peut, avant la réalisation de la condition suspensive, exercer tout acte conservatoire. Les actes conservatoires sont des actes qui visent à empêcher la perte du droit. L’ordonnance complète cette ancienne disposition en précisant que le débiteur doit s’abstenir de tout acte qui empêcherait la bonne exécution de l’obligation (ce qui découle déjà implicitement de l’exigence de bonne foi de l’article 1104) et que l’action paulienne est ouverte au créancier. Quant au débiteur, l’action en répétition de l’indu lui est ouverte tant que la condition suspensive ne s’est pas réalisée (art. 1304-5, al. 2), ce qui est une différence avec le régime du terme (art. 1305-2), différence logique dès lors que la condition affecte l’existence même de l’obligation (l’obligation n’existe pas tant que la condition suspensive ne s’est pas réalisée, le paiement est donc véritablement indu, c’est même un indu objectif).

Effets de la réalisation de la condition suspensive : abandon du principe de la rétroactivité (art. 1304-6, al. 1er et 2). La réalisation de la condition suspensive fait naître l’obligation qui devient pure et simple (son existence n’est plus affectée d’une condition ; al. 1er). La réalisation de la condition suspensive n’a donc, en principe, pas d’effet rétroactif, ce qui est une nouveauté par rapport à l’ancien article 1179 qui érigeait la rétroactivité en principe. Ainsi, dans l’hypothèse d’un contrat de vente conclu sous condition suspensive, les actes de disposition passés par l’acquéreur avant la réalisation de la condition sont des actes réalisés sans pouvoir puisque le vendeur demeure propriétaire tant que la condition est pendante. Lorsque la condition se réalise, ces actes demeurent invalides puisque la réalisation de la condition suspensive n’a plus, en principe, d’effet rétroactif, l’acquéreur ne devient donc propriétaire qu’à compter de la réalisation de la condition, sans rétroactivité. On notera toutefois que la nullité de l’article 1599 du Code civil se trouve dans cette hypothèse neutralisée, malgré l’absence de rétroactivité de la condition suspensive, puisque la Cour de cassation juge que la nullité de la vente de la chose d’autrui ne peut plus être invoquée lorsque le risque d’éviction a cessé, ce qui est le cas lorsque le vendeur a acquis la propriété de la chose vendue, même de façon non rétroactive[10].

Les conséquences de ce changement sont en pratique mineures dans la mesure où la rétroactivité de principe de la réalisation de la condition suspensive était auparavant tempérée par de nombreuses règles. Par exemple, en cas de vente conclue sous condition suspensive, la réalisation de la condition invalidait rétroactivement les droits consentis par le vendeur sur la chose vendue entre la conclusion du contrat de vente et la réalisation de la condition, mais les tiers au profit desquels ces droits avaient été consentis étaient alors protégés par les règles de la publicité foncière si la chose vendue était un immeuble et par l’article 2276 du Code civil s’il s’agissait d’un meuble…

Les parties peuvent déroger à ce nouveau principe en prévoyant « que l’accomplissement de la condition rétroagira au jour du contrat » (al. 2). On considèrera alors, fictivement, que l’obligation existait dès la conclusion du contrat et était pure et simple ab initio. Même si le texte ne mentionne que la possibilité pour les parties de faire rétroagir la réalisation de la condition au jour de la conclusion du contrat, rien ne devrait empêcher les parties de faire rétroagir la condition à une date différente de celle de la conclusion du contrat.

Si les parties ont prévu que la réalisation de la condition aurait un effet rétroactif, cette rétroactivité est triplement limitée par l’article 1304-6, alinéa 2, puisque la chose objet de l’obligation demeure aux risques du débiteur pour la période antérieure à la réalisation de la condition[11], les actes d’administration accomplis par le débiteur avant la réalisation de la condition demeurent valables[12] et le débiteur peut conserver les fruits perçus avant la réalisation de la condition[13]. Il est intéressant de noter que la deuxième phrase de l’article 1304-6, alinéa 2, concerne l’hypothèse d’un contrat translatif de propriété dont le transfert de propriété est affecté d’une condition suspensive. Le Gouvernement a souhaité abandonner la notion d’obligation de donner et considère le transfert de propriété comme un effet que la loi attache au contrat (V. art. 1196). L’article 1304-6 semble contradictoire avec cette volonté affichée du Gouvernement puisqu’il est question de « la chose, objet de l’obligation », comme si le transfert de propriété était ici le résultat d’une obligation (de donner) affectée d’une condition suspensive…

Effet de la défaillance de la condition suspensive : l’obligation est réputée n’avoir jamais existé (art. 1304-6, al. 3). En réalité l’obligation n’est pas « réputée » n’avoir jamais existé : elle n’a réellement jamais existé puisque la condition suspensive empêche l’obligation de naître tant que la condition n’est pas réalisée. Nul besoin, donc, de recourir ici à une fiction.

Si la condition n’affecte qu’une obligation du contrat, le sort de ce dernier devrait dépendre de la volonté des parties. Le contrat devrait être caduc si les parties ont entendu que le contrat ne puisse pas être exécuté indépendamment de l’obligation affectée d’une condition suspensive. Le contrat devrait être maintenu dans le cas contraire (ex. : s’il s’agit d’un contrat aléatoire ou si l’obligation affectée d’une condition suspensive est une obligation accessoire dont l’existence est non déterminante du consentement des parties).

Effets de la réalisation de la condition résolutoire : le principe de la rétroactivité est maintenu (art. 1304-7). Deux limites sont prévues à cette rétroactivité de principe : les actes conservatoires et d’administration conclus avant la réalisation de la condition ne sont pas affectés par la rétroactivité de la réalisation de la condition et demeurent donc valides. Ainsi, en cas de contrat de vente conclu sous condition résolutoire, les actes conservatoires et d’administration réalisés sur la chose par l’acquéreur entre la conclusion du contrat de vente et la réalisation de la condition résolutoire demeurent valables.

Ce principe demeure, comme dans la jurisprudence antérieure, supplétif. Les parties peuvent donc écarter la rétroactivité de la condition résolutoire d’un commun accord (art. 1304-7, al. 2). L’obligation (ou le contrat) prend alors fin sans rétroactivité à la date de la réalisation de la condition.

Le texte prévoit une nouvelle exception à la rétroactivité, calquée sur les effets de la résolution pour inexécution de l’article 1229 : « si les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat », alors la réalisation de la condition résolutoire ne met fin au contrat que pour l’avenir. L’avant-projet d’ordonnance avait retenu une formule différente, qui avait été critiquée pour son manque de précision : « la rétroactivité n’a pas lieu […] si l’économie du contrat le commande ». La nouvelle formule retenue ne semble guère plus satisfaisante, car prise à la lettre elle pourrait s’appliquer à des contrats à exécution instantanée tels que le contrat de vente : si la propriété a été transférée à l’acquéreur et que l’acquéreur a payé le prix au vendeur, « les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat »… Pourtant il n’est évidemment pas pertinent de neutraliser la rétroactivité naturelle de la condition résolutoire dans cette hypothèse, car elle revient à lui supprimer tout intérêt : le contrat de vente ayant été déjà intégralement exécuté, la réalisation non-rétroactive de la condition résolutoire n’emporterait aucune conséquence. Il faut donc se détacher de la lettre de l’article et se référer, finalement, à l’économie du contrat (ancienne formule de l’avant-projet). Cette disposition vise en réalité les contrats à exécution successive, tels que le contrat de bail : la condition résolutoire n’a pas, dans le contrat de bail, d’effet rétroactif. On peut supposer que cette limite légale au principe de la rétroactivité de la condition résolutoire est supplétive, permettant aux parties d’y déroger : si les parties ont souhaité que la condition résolutoire de leur contrat de bail ait un effet rétroactif, on ne voit pas ce qui justifierait de s’opposer à une telle volonté.

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • A. Aynès, « Terme et condition : simplification du régime de la condition et consolidation de celui du terme », Dr. et patr. n° 249, juillet-août 2015, p. 37.
  • M. Latina, « Le nouveau régime des obligations conditionnelles (Rapport français) », La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, dir. R. Schulze et alii, Société de législation comparée, 2015, p. 181.
  • M. Latina, « La condition (1re partie – Projet, art. 1304 et 1304-3 à 1304-7) », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 3 avr. 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/04/03/la-condition-1re-partie-projet-art-1304-et-1304-3-a-13407/ [consulté le 03/06/2016].
  • M. Latina, « La condition (2nde partie – Projet, art. 1304-1 et 1304-2) », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 7 avr. 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/04/07/la-condition-2nde-partie-projet-art-1304-1-et-1304-2/ [consulté le 03/06/2016].
  • O. Remien, « Le nouveau régime des obligations conditionnelles (Commentaire allemand) », La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, dir. R. Schulze et alii, Société de législation comparée, 2015, p. 223.

Notes de bas de page

[1] En pratique il est fréquent que les parties stipulent une condition qui affecte la totalité des effets du contrat et non simplement une obligation, par exemple lorsqu’un contrat de vente est conclu sous condition suspensive d’obtention d’un prêt. La doctrine considère souvent que la condition peut avoir pour objet aussi bien une obligation qu’un contrat. L’ordonnance ne prend pas en compte cette conception de la condition, mais elle ne l’exclut pas formellement pour autant : les nouvelles dispositions du Code civil peuvent s’appliquer, mutatis mutandis, aux conditions qui ont pour objet la totalité des effets du contrat. Certains diront qu’il est impossible que le contrat soit affecté d’une condition, car la condition résulte elle-même du contrat. Cet argument n’est en réalité pas dirimant (il suffit de distinguer le contrat de ses effets), mais on n’entrera pas ici dans des débats byzantins.

[2] W. Dross, « L’introuvable nullité des conditions potestatives », RTD civ. 2007, p. 701.

[3] Bien sûr cela est rarement formulé ainsi.

[4] La nullité aurait alors pu être fondée sur les nouveaux articles 1113 et suivants relatifs à l’offre et à l’acceptation qui doivent toutes les deux être fermes, c’est-à-dire qu’elles doivent manifester la volonté de leurs auteurs de s’engager, ce qui n’est pas le cas si l’une des parties dit, en substance, « je m’engage si je le veux ». L’article 1304-2 prévoit que seule l’obligation contractée sous une condition purement potestative est nulle, mais la nullité de l’obligation emportera avec elle la nullité de la totalité du contrat si l’obligation portait sur un élément essentiel du contrat (essentiel objectivement ou subjectivement). On aurait pu aboutir à la même solution sur le terrain de l’existence du consentement : si le débiteur s’est obligé sous une condition qui dépend de sa seule volonté, c’est en réalité qu’il ne s’est pas obligé, donc que l’obligation en question est inexistante faute de consentement. Cela peut emporter la nullité de la totalité du contrat si l’existence de cette obligation était déterminante du consentement de l’autre partie (critère subjectif) ou si cette obligation était essentielle à l’existence du contrat (par exemple l’obligation de délivrer la chose dans le contrat de vente, le contrat de vente ne peut exister sans cette obligation qui relève de son essence ; critère objectif).

[5] Cass. civ. 3e, 27 févr. 2013, n° 12-13.796.

[6] Cass. civ. 3e, 12 janv. 2010, n° 08-18.624.

[7] Cass. civ. 3e, 28 avr. 2011, n° 10-15.630 : « Mais attendu qu’ayant retenu que la mention manuscrite ajoutée par les parties suivant laquelle la condition suspensive relative au financement devait être obtenue au plus tard le 20 avril 2004, fixait le délai impératif dans lequel devait être réalisée la condition relative au financement sous peine de caducité, que si cette condition était stipulée dans l’intérêt du cessionnaire qui pouvait y renoncer, le délai dans lequel devait intervenir sa réalisation était en revanche stipulé dans l’intérêt des deux parties et que si les cessionnaires pouvaient renoncer à cette condition stipulée dans leur intérêt, la renonciation devait intervenir dans le délai fixé pour sa réalisation, ce qui n’était pas le cas puisqu’ils avaient renoncé par lettre du 11 mai 2004, après que les cédants avaient constaté par lettre du 30 avril 2004 la caducité de la promesse intervenue le 20 avril 2004, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la perfection de la vente ne pouvait être prononcée ».

[8] Cass. civ. 3e, 20 mai 2015, n° 14-11.851 : « Mais attendu qu’ayant relevé que le certificat d’urbanisme n’avait été demandé que plusieurs années après la signature du contrat de vente et postérieurement à l’introduction de l’instance et retenu, exactement, que la stipulation d’une condition suspensive sans terme fixe ne peut pour autant conférer à l’obligation un caractère perpétuel et, souverainement, qu’en l’absence d’indexation du prix et de coefficient de revalorisation, les parties avaient eu la commune intention de fixer un délai raisonnable pour la réalisation de la condition suspensive et que M. S. A. ne pouvait plus y renoncer, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la promesse de vente était caduque ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ».

[9] Le terme « accompli » n’est pas forcément le plus heureux : il manque de précision. Il faut considérer que le texte vise l’hypothèse dans laquelle la condition n’est ni réalisée, ni défaillie, c’est-à-dire l’hypothèse dans laquelle la condition est pendante.

[10] Cass. civ. 1re, 12 juillet 1962, Bull. civ. I, n° 370.

[11] En principe les risques pèsent sur le propriétaire de la chose et sont donc transférés en même temps que la propriété (art. 1196, al. 3). Si la condition suspensive rétroagit, le créancier est considéré rétroactivement comme propriétaire de la chose et il devrait donc en supporter les risques rétroactivement.

[12] Le créancier étant considéré rétroactivement comme propriétaire de la chose, les actes d’administration conclus sur la chose par le débiteur entre la conclusion du contrat et la réalisation de la condition devraient en principe être considérés rétroactivement comme des actes accomplis sans pouvoir.

[13] Les fruits reviennent au propriétaire de la chose, le créancier étant rétroactivement considéré comme propriétaire, le débiteur devrait en principe restituer les fruits perçus entre la conclusion du contrat et la réalisation de la condition.

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1304 à 1304-7 de la nouvelle section 1 “L’obligation conditionnelle” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre4/​chap1/​sect1-obligation-conditionnelle/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 16/07/2016.
Dernière mise à jour le 08/08/2016.