Présentation des articles 1347 à 1347-7 de la nouvelle sous-section 1 « Règles générales »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

La présente sous-section traite de la compensation en général et de la compensation légale, la sous-section suivante traitant de la compensation judiciaire, de la compensation conventionnelle et de la compensation de dettes connexes. Le Gouvernement a entendu mettre fin à un débat doctrinal persistant en exprimant clairement dans l’ordonnance que la compensation ne s’opère pas de plein droit, mais doit être invoquée pour produire ses effets (art. 1347, al. 2). Ce faisant, l’ordonnance crée de nouvelles difficultés puisqu’elle ne précise pas qui a le pouvoir d’invoquer la compensation, question très importante en présence de codébiteurs solidaires ou d’une caution. Sur le reste du régime de la compensation, les solutions retenues par l’ordonnance sont classiques.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1347.- La compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes.

Elle s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies.

Art. 1289.- Lorsque deux personnes se trouvent débitrices l’une envers l’autre, il s’opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, de la manière et dans les cas ci-après exprimés.

Art. 1290.- La compensation s’opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs ; les deux dettes s’éteignent réciproquement, à l’instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives.

Art. 1347-1.- Sous réserve des dispositions prévues à la sous-section suivante, la compensation n’a lieu qu’entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles.

Sont fongibles les obligations de somme d’argent, même en différentes devises, pourvu qu’elles soient convertibles, ou celles qui ont pour objet une quantité de choses de même genre.

Art. 1291.- La compensation n’a lieu qu’entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d’argent, ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce et qui sont également liquides et exigibles.

Les prestations en grains ou denrées, non contestées, et dont le prix est réglé par les mercuriales, peuvent se compenser avec des sommes liquides et exigibles.

Art. 1347-2.- Les créances insaisissables et les obligations de restitution d’un dépôt, d’un prêt à usage ou d’une chose dont le propriétaire a été injustement privé ne sont compensables que si le créancier y consent. Art. 1293.- La compensation a lieu, quelles que soient les causes de l’une ou l’autre des dettes, excepté dans le cas :

1° De la demande en restitution d’une chose dont le propriétaire a été injustement dépouillé ;

2° De la demande en restitution d’un dépôt et du prêt à usage ;

3° D’une dette qui a pour cause des aliments déclarés insaisissables.

Art. 1347-3.- Le délai de grâce ne fait pas obstacle à la compensation. Art. 1292.- Le terme de grâce n’est point un obstacle à la compensation.
Art. 1347-4.- S’il y a plusieurs dettes compensables, les règles d’imputation des paiements sont transposables. Art. 1297.- Lorsqu’il y a plusieurs dettes compensables dues par la même personne, on suit, pour la compensation, les règles établies pour l’imputation par l’article 1256.
Art. 1347-5.- Le débiteur qui a pris acte sans réserve de la cession de la créance ne peut opposer au cessionnaire la compensation qu’il eût pu opposer au cédant. Art. 1295.- Le débiteur qui a accepté purement et simplement la cession qu’un créancier a faite de ses droits à un tiers, ne peut plus opposer au cessionnaire la compensation qu’il eût pu, avant l’acceptation, opposer au cédant.

A l’égard de la cession qui n’a point été acceptée par le débiteur, mais qui lui a été signifiée, elle n’empêche que la compensation des créances postérieures à cette notification.

Art. 1347-6.- La caution peut opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et le débiteur principal.

Le codébiteur solidaire peut se prévaloir de la compensation intervenue entre le créancier et l’un de ses coobligés pour faire déduire la part divise de celui-ci du total de la dette.

Art. 1294.- La caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal ;

Mais le débiteur principal ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à la caution.

Le débiteur solidaire ne peut pareillement opposer la compensation de ce que le créancier doit à son codébiteur.

Art. 1347-7.- La compensation ne préjudicie pas aux droits acquis par des tiers. Art. 1298.- La compensation n’a pas lieu au préjudice des droits acquis à un tiers. Ainsi celui qui, étant débiteur, est devenu créancier depuis la saisie faite par un tiers entre ses mains, ne peut, au préjudice du saisissant, opposer la compensation.

Définition de la compensation (art. 1347). « La compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes » (al. 1er), l’extinction se faisant à hauteur du montant de la moindre des deux créances (al. 2 : « à due concurrence »). La compensation ne peut donc intervenir, en principe, qu’entre deux personnes qui sont simultanément créancières et débitrices l’une de l’autre. Par exemple si Primus a une créance de 100 contre Secundus et que Secundus a une créance de 80 contre Primus, les deux obligations peuvent potentiellement se compenser à hauteur de 80, si bien qu’il ne restera in fine qu’une seule créance de 20 de Primus contre Secundus.

Si les deux obligations impliquent trois personnes, c’est qu’elles ne sont pas réciproques, la compensation est donc en principe exclue. Par exemple si Primus est débiteur de 100 à l’égard de Secundus et créancier de 100 à l’égard de Tertius, il ne peut pas obtenir la compensation de ces deux obligations. On verra toutefois que cette exigence de réciprocité n’est pas absolue et qu’il peut y avoir compensation entre deux dettes connexes qui ne sont pas ou plus réciproques du fait du transfert de l’une d’elles, par exemple par une cession de créance (V. art. 1348-1, al. 3). Un arrêt de 2014 de la chambre commerciale semble par ailleurs avoir admis la possibilité d’une compensation conventionnelle entre deux dettes non réciproques issues d’un ensemble contractuel indivisible (l’une des parties était à la fois créancière et débitrice, mais de deux parties distinctes)[1]. Cet arrêt est toutefois inédit, sa portée est donc très incertaine, et l’ordonnance semble exclure la possibilité d’un maintien d’une telle solution (V. infra, art. 1348-2).

La compensation apparaît comme une garantie pour celui qui peut s’en prévaloir. Imaginons un créancier chirographaire, Primus, qui possède une créance de 100 contre Secundus qui est insolvable. Primus est par ailleurs débiteur de 100 à l’égard de Secundus. S’il paie sa dette de 100 à l’égard de Secundus, il ne pourra pas, ensuite, obtenir le paiement de sa propre créance de 100 : Secundus étant insolvable, et Primus n’étant qu’un créancier chirographaire, il entrera en concours, lorsqu’il exercera son droit de gage général, avec les autres créanciers de Secundus. La compensation, en éteignant simultanément les deux obligations, permet à Primus de ne pas subir les conséquences de l’insolvabilité de Secundus.

La compensation est aussi un outil de simplification : elle permet de faire l’économie d’une double exécution inutile. Si on prend l’exemple de deux obligations réciproques de sommes d’argent d’un montant de 100 chacune, il n’y aucun intérêt à verser 100 à une personne et à recevoir en parallèle 100 de celle-ci.

La compensation n’opère que si elle est invoquée, elle agit alors rétroactivement (art. 1347, al. 2). L’ancien article 1290 du Code civil disposait que « la compensation s’opère de plein droit, par la seule force de la loi, même à l’insu du débiteur ». Ce texte était contradictoire avec d’autres articles du Code civil, comme l’ancien article 1294, alinéa 3, qui prévoyait que « le débiteur solidaire ne peut […] opposer la compensation de ce que le créancier doit à son codébiteur ». Or, si la compensation s’opérait de plein droit, elle éteindrait automatiquement la dette solidaire, si bien que tous les codébiteurs auraient pu s’en prévaloir. Même constat pour l’ancien article 1295, alinéa 1er : « Le débiteur qui a accepté purement et simplement la cession qu’un créancier a faite de ses droits à un tiers, ne peut plus opposer au cessionnaire la compensation qu’il eût pu, avant l’acceptation, opposer au cédant. » Si la compensation se produisait de plein droit, la dette serait automatiquement éteinte et le débiteur ne devrait donc rien avoir à payer au cessionnaire, quand bien même il aurait accepté purement et simplement la cession. Cela a conduit certains auteurs à considérer l’article 1290 comme un « contresens historique » et à considérer que la compensation ne produit en réalité effet qu’à condition d’être invoquée[2]. D’autres, au contraire, continuaient à considérer que l’effet automatique de la compensation était le principe[3]. L’ordonnance retient la solution prônée par les premiers. La formule de l’ancien article 1290 est donc abandonnée et le nouvel article 1347, alinéa 2, indique que la compensation opère « sous réserve d’être invoquée ». Une fois invoquée, la compensation rétroagit « à la date où ses conditions se trouvent réunies ».

Le Gouvernement explique dans le rapport remis au Président de la République que « la jurisprudence exige, dans une interprétation contraire au texte [l’article 1290], qu’elle [la compensation] soit invoquée » et que le nouvel article 1347 a vocation à mettre fin au débat doctrinal en consacrant dans la loi cette solution jurisprudentielle. Pourtant, la jurisprudence antérieure n’était pas aussi claire que le prétend le Gouvernement, l’existence de débats doctrinaux à ce sujet en témoigne. Lionel Andreu écrit ainsi : « À notre connaissance aucun arrêt n’a jamais indiqué que la compensation devait être ‘invoquée’ »[4]. Le nouvel article 1347 ne se contente donc pas de consacrer une solution jurisprudentielle classique : il tranche un débat doctrinal persistant en énonçant une règle générale nouvelle qui pourra susciter des difficultés d’application. Par exemple, « l’invocation constituant sans doute un acte juridique, l’extinction des obligations supposera la capacité et le pouvoir de l’opérer – avec son lot de difficultés en présence d’un débiteur incapable, soumis à un dessaisissement, compensant avec l’aide d’un mandataire ou d’un préposé, etc.[5] »

Les conditions classiques de la compensation sont conservées : les obligations réciproques doivent être fongibles, certaines, liquides et exigibles (art. 1347-1). Le Gouvernement omet de mentionner, parmi ces critères, la disponibilité des obligations[6]. Il ne faut sans doute pas y voir la volonté d’abandonner cette exigence. L’obligation est certaine lorsqu’il n’y a aucun doute sur son existence, par exemple la créance de prix de vente est incertaine, dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente, tant que le bénéficiaire de la promesse n’a pas levé l’option. La créance est liquide lorsque son quantum est déterminé de façon définitive. Elle est exigible lorsqu’elle n’est pas affectée d’un terme suspensif. Si une créance est affectée d’une condition suspensive pendante, la compensation est impossible non pas parce que cette créance est non exigible, mais, plus radicalement, parce qu’elle est incertaine. Rappelons en effet que la condition n’affecte pas l’exigibilité, mais l’existence même de l’obligation qui dépend d’un événement futur et incertain: l’obligation n’existe pas tant que la condition suspensive ne s’est pas réalisée, elle n’existe qu’en germe (art. 1304). Enfin, la créance est en principe disponible sauf exception, il y a en effet des hypothèses dans lesquelles le créancier ne peut pas disposer de la créance, par exemple si elle fait l’objet d’une saisie.

La compensation rétroagit au jour où les deux dettes réciproques étaient toutes deux certaines, liquides, exigibles et disponibles, sous réserve des exceptions prévues aux articles 1348 et suivants.

La compensation ne peut avoir lieu qu’entre deux obligations réciproques (V. supra, art. 1347, al. 1er) et fongibles. La fongibilité est définie à l’article 1347-1, alinéa 2. Les obligations de sommes d’argent sont évidemment fongibles y compris, précise le texte, si elles sont en différentes devises, pourvu qu’elles soient convertibles. Les obligations ayant pour objet une quantité de choses de même genre (autrement dit, des choses fongibles) peuvent également se compenser (par exemple deux obligations réciproques de livrer une tonne de blé peuvent se compenser).

Certaines créances, énumérées à l’article 1347-2, ne peuvent pas être compensées, sauf si le créancier y consent. Il s’agit d’une reformulation à droit constant de l’ancien article 1293 du Code civil. Les créances insaisissables ne peuvent ainsi, en principe, pas être compensées. Les créances de salaire, par exemple, sont partiellement insaisissables (les fractions insaisissables des créances de salaire sont déterminées par décret, V. l’art. R. 3252-2 du Code du travail). Ne peuvent également pas être compensées les créances de restitution d’un dépôt, d’un prêt à usage ou d’une chose dont le propriétaire a été injustement privé. La compensation de telles créances n’est de toute façon envisageable que si elles portent sur des choses fongibles et que le créancier est lui-même débiteur d’une obligation réciproque portant sur des choses fongibles du même genre. Autant dire que cette disposition a un intérêt pratique quasi-nul.

Le délai de grâce ne fait pas obstacle à la compensation (art. 1347-3). Il s’agit d’une reprise à droit constant de l’ancien article 1292. La compensation joue un rôle de garantie (V. supra les développements sous l’article 1347). Si le juge a accordé des délais de grâce au débiteur, c’est que celui-ci est dans une situation économique difficile, c’est-à-dire qu’il est insolvable ou qu’il risque de le devenir (V. art. 1343-5). Si les délais de grâce faisaient obstacle à la compensation, cela obligerait le créancier à payer sa dette réciproque dès lors que celle-ci est exigible, il perdrait alors le bénéfice de la compensation dont l’intérêt est précisément de faire office de garantie lorsque le débiteur est dans une situation économique compromise.

Lorsqu’il y a plusieurs dettes compensables de montants différents, l’ordre de la compensation est déterminé par application des règles relatives à l’imputation des paiements (art. 1347-4). Selon l’article 1342-10, alinéa 1er, « le débiteur de plusieurs dettes peut indiquer, lorsqu’il paie, celle qu’il entend acquitter ». L’article 1347, alinéa 2, prévoit que la compensation ne produit effet qu’à condition d’être invoquée. La combinaison de l’article 1347-4 avec les articles 1342-10, alinéa 1er, et 1347, alinéa 2, est donc délicate. Imaginons que Primus ait une créance de 100 contre Secundus et ait trois dettes de 50 chacune envers Secundus. Primus étant « le débiteur de plusieurs dettes », il devrait pouvoir choisir lesquelles de ses trois dettes sont éteintes par la compensation (art. 1342-10, al. 1er). Cela ne pose guère de difficulté si c’est Primus qui « invoque » le premier la compensation. Mais quid si c’est Secundus qui invoque le premier la compensation ? L’invocation est un acte juridique unilatéral et la compensation produit rétroactivement ses effets dès qu’elle est invoquée (art. 1347, al. 2), si bien qu’elle éteint immédiatement et rétroactivement les obligations réciproques : Primus n’a donc pas l’occasion d’exprimer son choix. Dans cette hypothèse il faut vraisemblablement considérer que ce sont les règles supplétives de l’article 1342-10, alinéa 2, qui doivent s’appliquer : ce sont d’abord les dettes échues de Primus qui sont éteintes par la compensation ; parmi celles-ci, celles que le Primus avait le plus d’intérêt à acquitter ; à égalité d’intérêt, la compensation éteint la plus ancienne des dettes ; toutes choses égales, la compensation éteint les dettes proportionnellement.

Rappelons que si certaines de ces dettes sont des dettes de somme d’argent productives d’intérêts, alors la compensation éteint d’abord le capital sans que Primus ne puisse décider du contraire (art. 1343-1, al. 1er).

La prise d’acte sans réserve de la cession de créance empêche le débiteur d’opposer au cessionnaire la compensation qu’il eût pu opposer au cédant (art. 1347-5). Il s’agit ici d’une reprise de la règle de l’ancien article 1295.

Jusqu’à maintenant l’opposabilité de la cession de créance aux tiers était soumise à l’accomplissement de l’une des formalités de l’article 1690 : la signification de la cession au débiteur cédé ou l’acceptation par acte authentique de la cession par le débiteur cédé. L’acceptation du débiteur cédé ne signifiait pas que celui-ci consentait à la cession, car son consentement n’a jamais été requis, mais signifiait qu’il reconnaissait avoir été informé de la cession. L’ancien article 1295 prévoyait que l’acceptation sans réserve de la cession empêchait le débiteur cédé d’opposer l’exception de compensation au cessionnaire. Seule l’acceptation sans réserve avait donc cet effet, la signification n’était pas concernée.

L’opposabilité de la cession de créance au débiteur cédé n’est désormais plus soumise à l’accomplissement des formalités de l’article 1690 : la cession doit simplement être notifiée au débiteur cédé ou celui-ci doit en prendre acte (art. 1324). Là encore, la prise d’acte n’est pas un consentement du débiteur cédé, celui-ci n’ayant toujours pas à consentir à la cession. La prise d’acte signifie simplement que le débiteur cédé reconnaît avoir été informé de l’existence de la cession. L’article 1347-5 ne vise que la prise d’acte sans réserve de la cession : la notification de la cession au débiteur cédé n’empêche donc pas ce dernier d’opposer l’exception de compensation au cessionnaire. En outre, le texte visant la prise d’acte « sans réserve » de la cession, le débiteur cédé peut, pour se ménager la faculté d’opposer la compensation au cessionnaire, mentionner cette compensation au moment où il prend acte de la cession. Concrètement, le débiteur pourra utiliser dans l’écrit constatant sa prise d’acte une formule du type « Je prends acte de la cession intervenue le X entre A et B, mais je me réserve la possibilité d’invoquer la compensation avec ma créance contre A en date du… ».

L’article 1347-5 est malheureusement aussi imprécis que l’ancien article 1295. Rappelons que la compensation légale ne s’opère pas de plein droit, mais opère sous réserve d’être invoquée (art. 1347, al. 2). On peut donc considérer que l’article 1347-5 empêche le débiteur cédé qui a pris acte sans réserve de la cession d’invoquer, postérieurement à la prise d’acte, la compensation entre la créance cédée et une créance antérieure qu’il possède lui-même contre le cédant. En revanche, si le débiteur cédé avait invoqué la compensation avant la cession de créance, alors celle-ci a déjà opéré, elle a déjà éteint la créance qui ne peut donc plus être transférée au cessionnaire : dans cette hypothèse, la prise d’acte sans réserve de la cession ne devrait pas empêcher le débiteur cédé d’opposer la compensation au cessionnaire pour refuser de le payer.

La prise d’acte sans réserve de la cession, si cette interprétation de l’article 1347-5 est retenue, devrait donc s’analyser en une forme de renonciation tacite au droit d’invoquer la compensation entre la créance cédée et une obligation antérieure existante entre le cédé et le cédant. Si la compensation a été invoquée avant la prise d’acte de la cession, l’article 1347-5 est donc sans effet : une renonciation au droit d’invoquer la compensation est inconcevable puisque ce droit a déjà été exercé et la compensation a déjà produit ses effets. Pareillement, si une dette connexe réciproque naît après la prise d’acte, le débiteur cédé devrait pouvoir l’opposer au cessionnaire même s’il a pris acte sans réserve de la cession : sa prise d’acte sans réserve de la cession ne peut s’analyser en une renonciation tacite à un droit dont il ignorait l’existence (le droit d’invoquer la compensation de dettes connexes ne prenant naissance qu’au moment où la seconde dette connexe naît). L’article 1348-1, alinéa 3, ne traite pas directement de cette question (il traite de la compensation pour dettes connexes en l’absence de prise d’acte sans réserve de la cession).

La doctrine se demandait si l’ancien article 1295 ne concernait que l’exception de compensation, ou s’il s’étendait à toutes les exceptions antérieures à la cession que le cédé eût pu opposer au cédant. L’ordonnance ne tranche pas explicitement la question (la lettre de l’article 1347-5 semble indiquer que seule l’exception de compensation est concernée, mais c’était déjà le cas de la lettre de l’ancien article 1295).

La caution peut opposer au créancier la compensation « intervenue » entre ce dernier et le débiteur ; le codébiteur solidaire peut se prévaloir de la compensation « intervenue » entre le créancier et l’un de ses coobligés pour faire déduire la part divise de celui-ci du total de la dette (art. 1347-6). La rédaction de cet article est très mauvaise, car l’article 1347, alinéa 2, dispose que la compensation « opère » sous réserve d’être « invoquée », et l’article 1347-6 emploie une terminologie totalement différente. Que signifie pouvoir opposer ou se prévaloir d’une compensation « intervenue » ? À en croire l’article 1347, alinéa 2, pour qu’une compensation soit « intervenue » entre le créancier et le débiteur principal, il faut que quelqu’un l’ait « invoquée ». Mais cela ne fait que décaler le problème : qui a le pouvoir « d’invoquer » la compensation ? La compensation doit-elle nécessairement être invoquée par le créancier ou par le débiteur principal pour pouvoir produire ses effets, ou la caution peut-elle également l’invoquer ? La Cour de cassation admettait antérieurement que la caution puisse invoquer la compensation entre la dette principale et une créance réciproque du débiteur principal[7]. La rédaction de l’article 1347-6, alinéa 1er, qui s’écarte de celle de l’ancien article 1294, alinéa 1er, ne permet toutefois pas de savoir si le Gouvernement a entendu maintenir cette solution. L’ancien texte disposait que « la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal ». Si le créancier « doit » quelque chose au débiteur principal, c’est que la compensation n’est pas encore intervenue, car la compensation a pour effet d’éteindre les obligations réciproques : la caution peut donc bien « invoquer » la compensation, provoquer son double effet extinctif. Le nouveau texte dispose que « La caution peut opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et le débiteur principal. » Si la compensation est déjà « intervenue », c’est que quelqu’un l’a préalablement invoquée : l’ordonnance n’indique pas qui a le pouvoir de l’invoquer.

La même question se pose pour le codébiteur solidaire : peut-il invoquer la compensation entre la dette solidaire et une créance réciproque détenue par l’un de ses coobligés, ou ne peut-il opposer la compensation qu’une fois qu’elle a été invoquée par le créancier commun ou par le coobligé disposant d’une créance réciproque ?

La Cour de cassation considérait jusqu’à maintenant, contre la lettre de l’ancien article 1290, que l’effet extinctif de la compensation ne se produisait, rétroactivement, que si elle était invoquée par l’un des créanciers/débiteurs réciproques. Ainsi, tant que le codébiteur solidaire disposant d’une créance réciproque vis-à-vis du créancier commun n’avait pas invoqué la compensation, celle-ci n’éteignait pas la dette à hauteur du montant de la moindre des deux obligations, et par conséquent ses codébiteurs solidaires ne pouvaient pas opposer au créancier commun cette exception de compensation (anc. art. 1294, al. 3). La compensation était donc, à ce stade, une exception purement personnelle. Ce n’était que si le codébiteur disposant d’une créance réciproque vis-à-vis du créancier commun avait invoqué la compensation que les autres codébiteurs pouvaient, dans un second temps, se prévaloir de cette exception de compensation qui devenait alors inhérente à la dette (la compensation éteignant totalement ou partiellement la dette, elle produit le même effet qu’un paiement).

Le nouvel article 1347, alinéa 2, énonce que la compensation s’opère sous réserve d’être invoquée, mais il ne précise pas qui peut l’invoquer. L’article 1347-6 ne règle pas la question, pas plus que l’article 1315. Selon ce dernier, « lorsqu’une exception personnelle à un autre codébiteur éteint la part divise de celui-ci, notamment en cas de compensation ou de remise de dette, il peut s’en prévaloir pour la faire déduire du total de la dette ». D’abord, l’article est mal rédigé dans la mesure où la compensation n’éteint pas que la part divise du codébiteur qui dispose d’une créance contre le créancier commun : elle éteint les deux obligations réciproques à hauteur du quantum de la moindre des deux, indépendamment de la part indivise du coobligé concerné (le texte mélange la question de l’obligation à la dette avec celle de la contribution à la dette[8]). Ensuite, l’article dispose que les codébiteurs solidaires peuvent se prévaloir de la compensation dans la mesure où elle « éteint » la part indivise, ce qui signifie que la compensation a déjà opéré, donc qu’elle a déjà été invoquée (art. 1347, al. 2). Ce faisant, l’article 1315 ne traite pas de la question essentielle : les codébiteurs solidaires ont-ils le pouvoir « d’invoquer » cette compensation, ou seul le codébiteur disposant d’une créance réciproque peut-il l’invoquer ?

Seule la jurisprudence future pourra préciser le sens de ces textes.

« La compensation ne préjudicie pas aux droits acquis des tiers. » (art. 1347-7) Par exemple, en cas de saisie d’une créance, le débiteur ne peut opposer au saisissant la compensation de cette créance avec une obligation née postérieurement à la saisie entre lui et le créancier saisi.

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • L. Andreu, « L’extinction de l’obligation », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 86.
  • D. Robine, « Consolidation des ‘règles générales’ et consécration des ‘règles particulières’ de la compensation : un projet de réforme à parfaire », Dr. et patr. n° 249, juillet-août 2015, p. 59.

Notes de bas de page

[1] Cass. com., 23 sept. 2014, n° 13-14.815.

[2] J. François, Traité de droit civil, t. 4, Les obligations, Régime général, 3e éd., Economica, 2013, nos 70 et s.

[3] L. Andreu, « De l’effet automatique de la compensation », Mélanges Didier R. Martin, LGDJ, 2015, p. 1.

[4] L. Andreu, « L’extinction de l’obligation » (Dossier « Le nouveau droit des obligations »), Dr. et patr. 2016, n° 258, p. 86.

[5] Ibid.

[6] Pour être complet, il faudrait aussi ajouter que la créance doit être compensable. Il est en effet impossible d’opposer la compensation à l’État ou aux collectivités territoriales.

[7] Cass. civ. 3e, 27 nov. 2007, n° 06-18.714.

[8] Sur la différence entre obligation et contribution à la dette, V. les développements consacrés à l’obligation solidaire sous les articles 1310 et suivants.

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1347 à 1347-7 de la nouvelle sous-section 1 “Règles générales” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre4/​chap4/​sect2/​sect1-compensation-regles-generales/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 19/07/2016.
Dernière mise à jour le 19/07/2016.