Présentation des articles 1217 à 1218 de la nouvelle section 5 « L’inexécution du contrat »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

La section commence par deux dispositions liminaires. L’une énumère les différentes sanctions de l’inexécution qui sont détaillées dans les sous-sections qui suivent. L’autre définit la force majeure en matière contractuelle et précise son régime.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1217.- La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;

– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;

– solliciter une réduction du prix ;

– provoquer la résolution du contrat ;

– demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.

Art. 1218.- Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

Art. 1148.- Il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Art. 1150.- Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée.

 

Les sanctions de l’inexécution reconnues jusqu’à maintenant par la loi et la jurisprudence sont respectivement conservées et consacrées par l’ordonnance (art. 1217). Il y a ainsi l’exception d’inexécution, l’exécution forcée en nature de l’obligation, la résolution du contrat et la responsabilité civile contractuelle. On note que l’exécution forcée en nature de l’obligation est désormais admise par principe, la jurisprudence avait fini par inverser le principe énoncé à l’ancien article 1142[1].

La réfaction est une sanction qui est désormais admise dans le droit commun des contrats (art. 1217, al. 4). Cette sanction n’était auparavant admise qu’en droit commercial.

Les sanctions peuvent être cumulées, sauf incompatibilité (art. 1217, in fine). Il est ainsi impossible, en principe, de cumuler la résolution du contrat et l’exécution forcée en nature de l’obligation, car on ne peut solliciter l’exécution d’un contrat qui a été rétroactivement anéanti[2]. Le texte précise que la condamnation au paiement de dommages-intérêts est compatible avec toutes les autres sanctions précédemment énumérées (exception d’inexécution, exécution forcée en nature, réfaction et résolution).

Selon le rapport remis au Président de la République, l’ordonnance se contente de consacrer la définition jurisprudentielle de la force majeure. « Le texte reprend la définition prétorienne de la force majeure en matière contractuelle, délaissant le traditionnel critère d’extériorité, également abandonné par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2006 (Ass. Plén. 14 avr. 2006, n° 04-18902 et n° 02-11168), pour ne retenir que ceux d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. L’imprévisibilité, tout d’abord, doit s’apprécier au jour de la conclusion du contrat (contrairement à la matière extracontractuelle, où ce critère doit être apprécié au jour du fait dommageable) : en effet, si l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, on suppose que le débiteur a entendu en supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation. L’événement doit également être irrésistible, tant dans sa survenance (inévitable) que dans ses effets (insurmontables). » Cette présentation ne semble pourtant pas correspondre à la lettre de l’article 1218 et ce à plusieurs égards.

L’ordonnance redéfinit en réalité la force majeure en matière contractuelle en retenant quatre critères cumulatifs : l’extériorité (dont la définition est précisée) de l’événement, l’imprévisibilité de l’événement au jour de la conclusion du contrat, l’inévitabilité des effets de l’événement et l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter son obligation (art. 1218, al. 1er). L’extériorité de l’événement par rapport à la personne du débiteur est un critère classique, mais dont l’application était souvent délicate. Plutôt que d’utiliser le terme d’extériorité, l’ordonnance énonce que l’événement doit « échapper au contrôle du débiteur ». Ainsi le fait d’un préposé du débiteur n’échappe-t-il pas au contrôle du débiteur, en revanche une maladie peut, en principe, être considérée comme un événement qui échappe au contrôle du débiteur. Alors même que le rapport indique que le critère d’extériorité a été abandonné, on peut analyser ce premier critère en une forme d’extériorité : l’événement doit être extérieur à la sphère de contrôle du débiteur, c’est d’ailleurs plus ou moins en ces termes que la Cour de cassation envisageait jusqu’à maintenant le critère d’extériorité.

Le critère de l’imprévisibilité de l’événement, dégagé par la jurisprudence à partir de l’ancien article 1150, est conservé. En matière contractuelle l’imprévisibilité de l’événement ne s’apprécie pas au jour de sa réalisation, mais au jour de la conclusion du contrat. Cela n’est pas nouveau, mais l’ordonnance ne précise pas si c’est le type d’événement qui doit être imprévisible au jour de la conclusion du contrat, ou l’événement particulier qui s’est réalisé, ce qui peut avoir son importance. Par exemple les grèves sont des phénomènes fréquents, il est donc parfaitement prévisible au jour de la conclusion du contrat qu’une grève puisse avoir lieu au cours de l’exécution de celui-ci. En revanche, si l’on cherche à déterminer si la grève particulière qui a eu lieu en cours d’exécution du contrat était prévisible au jour de la conclusion du contrat, la réponse sera souvent négative, car si l’on peut prévoir la possibilité qu’une grève quelconque survienne en cours d’exécution du contrat, il est souvent impossible de prévoir à quelle occasion une telle grève surviendra, quelles seront son ampleur et sa durée, etc. L’ordonnance indique qu’il y a force majeure si l’événement « ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat », ce qui ne tranche pas la question mais indique qu’il faut procéder à une appréciation abstraite de l’imprévisibilité : il faut se demander si une personne normalement prudente et diligente aurait pu, au jour de la conclusion du contrat, prévoir l’événement.

Enfin, il n’y a force majeure que si les effets de l’événement extérieur et imprévu « ne peuvent être évités par des mesures appropriées » et si cet événement « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Cela ne correspond pas à ce qu’affirme le Gouvernement dans son rapport remis au Président de la République : « l’événement doit également être irrésistible, tant dans sa survenance (inévitable) que dans ses effets (insurmontables) ». Le Gouvernement semble faire référence dans son rapport, de façon maladroite, à une distinction proposée par Paul-Henri Antonmattéi entre l’inévitabilité de l’événement (le comportement du débiteur est apprécié avant la réalisation de l’événement), l’irrésistibilité stricto sensu de l’événement (le comportement du débiteur est apprécié pendant la réalisation de l’événement) et l’impossibilité d’exécuter créée par l’événement (le comportement du débiteur est apprécié après la réalisation de l’événement)[3]. La lettre de l’article 1218 est simple : il faut démontrer l’existence d’un événement « dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées [et qui] empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Deux conditions sont donc énoncées : l’inévitabilité des effets de l’événement et l’impossibilité d’exécuter[4]. Ainsi, si un ouragan non raisonnablement prévisible au jour de la conclusion du contrat renverse une grue sur un chantier de rénovation et entraîne la destruction de l’immeuble à rénover, la possibilité d’exonération dépend de l’inévitabilité des effets de l’ouragan et de l’impossibilité d’exécuter qui y est consécutive. Si les services météorologiques ont prévenu plusieurs jours auparavant de l’arrivée de l’ouragan et de sa violence, le débiteur pouvait démonter la grue et ainsi éviter le dommage, l’ouragan ne peut donc pas être considéré comme un cas de force majeure. En revanche si l’ouragan a été prévu trop tardivement pour démonter la grue, alors le dommage était inévitable, l’ouragan sera donc considéré comme un cas de force majeure exonérant le débiteur puisque la destruction de l’immeuble, inévitable, a rendu sa rénovation impossible. Si la lettre de l’article 1218 est simple, elle est peut-être aussi simpliste, car elle ne résout pas de nombreuses difficultés. Par exemple, comment doit s’apprécier l’inévitabilité des effets de l’événement ? Dans notre exemple précédent, les effets de l’ouragan seront-ils considérés comme évitables même si le coût de démontage de la grue était très onéreux et/ou si le démontage de la grue était dangereux ? Autrement dit, l’inévitabilité des effets de l’événement doit-elle être absolue, ou s’agit-il d’une inévitabilité relative déterminée par référence au standard de la personne raisonnable ? La même question se pose pour l’impossibilité d’exécuter consécutive à l’événement : doit-il s’agir d’une impossibilité absolue, ou l’impossibilité est-elle admise dès lors que l’exécution aurait un coût excessivement onéreux ? Si la dernière solution était retenue, il y aurait un risque d’introduire, par le biais de la force majeure, une possibilité de contourner la procédure de révision pour imprévision de l’article 1195[5].

Les effets de la force majeure varient selon que celle-ci empêche temporairement ou définitivement l’exécution de l’obligation (art. 1218, al. 2). Lorsque l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est simplement suspendue et celle-ci devient de nouveau exigible dès que la force majeure cesse de faire obstacle à l’exécution. Une exception est toutefois prévue dans les contrats où le retard justifie la résolution du contrat (ex. : un contrat de location d’un smoking pour un mariage ; si un cas de force majeure empêche temporairement d’exécuter ledit contrat pour la date du mariage, cela justifie la résolution même si l’empêchement n’est que temporaire). Lorsque l’empêchement est définitif, le débiteur est libéré dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351‑1, mais le texte prévoit que l’autre partie l’est également et que le contrat est résolu de plein droit. Cette solution est sans doute trop générale et les contrats translatifs devraient faire l’objet d’un traitement distinct. L’article 1196, alinéa 3, prévoit en effet que le transfert de propriété emporte transfert des risques (res perit domino), mais que les risques sont de nouveau transférés au débiteur si celui-ci est mis en demeure de délivrer la chose (res perit debitori). Si les risques pèsent sur le débiteur, il est logique que la perte de la chose entraîne la résolution rétroactive du contrat : s’il s’agit d’un contrat à titre onéreux, c’est-à-dire un contrat de vente, le débiteur (le vendeur) doit alors restituer au créancier (l’acquéreur) le prix de vente, cependant que l’acquéreur n’aura rien à lui restituer puisque qu’il ne lui a rien remis (la chose a péri alors que le vendeur n’avait pas encore exécuté son obligation de délivrance). En revanche, si les risques pèsent sur le créancier (de l’obligation de délivrance), alors il n’y a aucune raison de résoudre le contrat : le vendeur devrait être libéré de son obligation de délivrance, mais devrait conserver sa créance de prix, sinon l’article 1196, alinéa 3, serait privé de tout effet.

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • Chr. Albiges, « L’inexécution du contrat », La réforme du droit des contrats : actes de colloque, 1ère Journée Cambacérès, 3 juillet 2015, Montpellier, Université de Montpellier, 2015, p. 181.
  • N. Ancel, « Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat », RDC 2016/2, p. 408.
  • A. Aynès, « Accroissement du pouvoir de la volonté individuelle », Dr. et patr. n° 259, juin 2016, p. 49.
  • H. Boucard, « Le nouveau régime de l’inexécution contractuelle (Rapport français) », La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, dir. R. Schulze et alii, Société de législation comparée, 2015, p. 153.
  • M. Brochier, « Les nouveaux rôles du juge dans l’inexécution du contrat », Dr. et patr. n° 259, juin 2016, p. 44.
  • S. Bros, « La force majeure », Dr. et patr. n° 259, juin 2016, p. 40.
  • Ph. Delebecque, « L’articulation et l’aménagement des sanctions de l’inexécution du contrat », Dr. et patr. n° 259, juin 2016, p. 62.
  • P. Grosser, « Les sanctions de l’inexécution », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 70.
  • B. Gsell, « Le nouveau régime de l’inexécution du contrat (Commentaire allemand) », La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, dir. R. Schulze et alii, Société de législation comparée, 2015, p. 171.
  • Y.-M. Laithier, « Les sanctions de l’inexécution du contrat », RDC 2016, n° Hors-série d’avril 2016, p. 39.
  • H. Lécuyer, « L’inexécution du contrat », Contrats, conc. consom. 2016, dossier 7 (n° 5, p. 38).
  • M. Mekki, « Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat », RDC 2016/2, p. 400.

Notes de bas de page

[1] « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »

[2] Sous réserve des clauses qui ont vocation à survivre à la résolution, art. 1230.

[3] P.-H. Antonmattéi, « Ouragan sur la force majeure », JCP G 1996, I 3907.

[4] À travers ces deux critères, l’ordonnance semble inviter à apprécier le comportement du débiteur, avant, pendant et après la réalisation de l’événement. S’il était possible d’empêcher la réalisation de l’événement c’est a fortiori que ses effets pouvaient être évités. S’il était impossible d’empêcher la réalisation de l’événement, ses effets pouvaient-ils être évités ? Si ce n’est pas le cas, cela a-t-il rendu l’exécution de l’obligation impossible ?

[5] On est en effet dans une hypothèse d’imprévision lorsqu’un événement imprévu rend l’exécution du contrat non pas absolument impossible, mais excessivement onéreuse.

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1217 à 1218 de la nouvelle section 5 “L’inexécution du contrat” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre3/​stitre1/​chap4/​sect5/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 30/06/2016.
Dernière mise à jour le 30/06/2016.