Présentation des articles 1221 à 1222 de la nouvelle sous-section 2 « L’exécution forcée en nature »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

L’exécution forcée en nature consiste à contraindre le débiteur à exécuter l’obligation qu’il n’a pas ou qu’il a mal exécutée. Par opposition, on parle parfois d’exécution forcée par équivalent à propos de la responsabilité civile contractuelle. Au lieu d’obtenir satisfaction en nature, le créancier obtient un équivalent monétaire : des dommages-intérêts. L’ordonnance modernise les dispositions relatives à l’exécution forcée en nature.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1221.- Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. Art. 1142.- Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur.
Art. 1222.- Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction.

Art. 1143.- Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu.

Art. 1144.- Le créancier peut aussi, en cas d’inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l’obligation aux dépens du débiteur. Celui-ci peut être condamné à faire l’avance des sommes nécessaires à cette exécution.

L’exécution forcée en nature est en principe de droit (art. 1221). L’action en exécution forcée ne peut toutefois être intentée, précise le texte, qu’après que le débiteur a été mis en demeure d’exécuter son obligation. L’ancien article 1142 prévoyait que la violation d’une obligation de faire ou de ne pas faire ne pouvait donner lieu qu’à une condamnation au paiement de dommages-intérêts. La jurisprudence a toutefois complètement inversé la règle en se fondant sur l’ancien article 1184, alinéa 2, selon lequel « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts » (nous soulignons)[1]. L’ordonnance a abandonné la distinction entre les obligations de faire, de ne pas faire et de donner et a donc érigé en principe la possibilité d’obtenir l’exécution forcée en nature d’une obligation inexécutée. Le texte prévoit toutefois deux limites à ce principe.

L’exécution forcée en nature est exclue « lorsqu’elle est impossible » (art. 1221). Là encore le texte ne fait que consacrer la jurisprudence antérieure. On distingue traditionnellement trois types d’impossibilités qui peuvent faire obstacles à une exécution forcée en nature.

L’impossibilité peut être matérielle. Par exemple le débiteur s’est engagé à rénover un bien qui a péri : le bien n’existant plus, il est matériellement impossible de forcer l’exécution en nature de l’obligation de faire.

L’impossibilité peut être morale. On donne en général l’exemple d’un artiste qui s’engage à peindre un tableau. On ne peut contraindre le peintre à exécuter son obligation de faire car on considère que cela serait trop attentatoire à ses libertés individuelles, en raison du caractère éminemment personnel de l’obligation.

L’impossibilité peut enfin être juridique. Voici un bailleur qui conclut successivement deux contrats de bail portant sur le même immeuble, mais avec deux preneurs distincts. Une fois le premier preneur installé dans l’immeuble, le second locataire ne peut plus obtenir l’exécution forcée en nature de l’obligation de faire (de mise à disposition) du bailleur, car cela nécessiterait d’expulser le premier preneur qui a tout autant droit à occuper les lieux puisqu’il bénéficie lui aussi d’un contrat de bail.

L’exécution forcée en nature est également exclue « s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier » (art. 1221). Il s’agit d’une nouveauté, la Cour de cassation ayant réaffirmé en 2015 que le coût « exorbitant » de l’exécution en nature n’était pas un motif permettant aux juges du fond de rejeter la demande d’exécution forcée en nature[2]. Selon le rapport remis au Président de la République, « cette nouvelle exception vise à éviter certaines décisions jurisprudentielles très contestées : lorsque l’exécution forcée en nature est extrêmement onéreuse pour le débiteur sans que le créancier y ait vraiment intérêt, il apparaît en effet inéquitable et injustifié que celui-ci puisse l’exiger, alors qu’une condamnation à des dommages et intérêts pourrait lui fournir une compensation adéquate pour un prix beaucoup plus réduit. Le texte proposé s’analyse en une déclinaison de l’abus de droit, formulée de façon plus précise, pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue. »

On pourrait imaginer l’exemple suivant : un particulier a commandé une voiture d’un certain modèle à un constructeur qui a ensuite cessé la production de ce modèle. Pour obtenir l’exécution forcée en nature des obligations du constructeur, il faudrait que celui-ci remette en service, pour une seule voiture, la chaîne de production de l’usine qui a probablement depuis été réaffectée à la production d’autres modèles. On considérerait vraisemblablement dans cette hypothèse qu’il y a une disproportion manifeste entre le coût de l’exécution en nature et son intérêt pour le créancier qui pourrait raisonnablement se contenter d’un modèle différent, mais aux caractéristiques similaires.

Autre exemple : un entrepreneur construit une annexe à une maison et cette annexe est mal positionnée de quelques centimètres par rapport à ce qui avait été contractuellement prévu. Si la destruction et la reconstruction de l’annexe est la seule solution possible pour que le contrat soit correctement exécuté, il est probable que le juge retienne une disproportion manifeste entre le coût de l’exécution en nature et son intérêt pour le créancier.

La notion « d’intérêt pour le créancier » laisse une marge d’appréciation importante au juge, qui est toutefois tempérée par l’exigence d’une « disproportion manifeste » avec le coût de l’exécution en nature.

Les dispositions relatives au remplacement et à la destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation sont légèrement retouchées (art. 1222). La faculté de remplacement devient unilatérale et extrajudiciaire : il n’est plus nécessaire d’obtenir l’autorisation préalable du juge pour faire exécuter l’obligation par un tiers et demander au débiteur le paiement des sommes engagées à cette fin (comp. anc. art. 1144). Trois conditions sont prévues par le texte. Le créancier doit d’abord mettre en demeure le débiteur. Il doit ensuite, après la mise en demeure, laisser un délai raisonnable au débiteur pour s’exécuter[3]. Enfin, le créancier ne peut faire exécuter l’obligation par un tiers que si cette exécution présente un coût raisonnable. Ce n’est qu’en cas de contestation au moment du remboursement que le juge, saisi par le créancier ou par le débiteur, pourra effectuer un contrôle, a posteriori, de ces conditions.

En revanche, l’exigence d’une autorisation préalable du juge est maintenue pour que le créancier puisse détruire lui-même (ou puisse faire détruire par un tiers) ce qui a été fait en violation de l’obligation. Comme pour la faculté de remplacement, le débiteur supportera le coût de cette destruction.

La possibilité pour le créancier d’obtenir une avance sur les frais de remplacement est conservée et est étendue aux frais de destruction (art. 1222, al. 2).

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

Notes de bas de page

[1] Cass. civ. 3e, 11 mai 2005, n° 03-21.136.

[2] Cass. civ. 3e, 11 mai 2005, n° 03-21.136 ; Cass. civ. 3e, 16 juin 2015, n° 14-14.612.

[3] La notion de « délai raisonnable » permet de prendre en compte l’éventuelle urgence qu’il peut y avoir pour le créancier à obtenir l’exécution de l’obligation. Il devrait même être possible selon nous, en cas d’extrême urgence, d’admettre une exception à l’exigence d’une mise en demeure préalable (ex. : immeuble qui menace de s’effondrer et le débiteur chargé de le consolider n’exécute pas son obligation).

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1221 à 1222 de la nouvelle sous-section 2 “L’exécution forcée en nature” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre3/​stitre1/​chap4/​sect5/​ssect2-execution-forcee/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 30/06/2016.
Dernière mise à jour le 30/06/2016.