Présentation des articles 1210 à 1215 de la nouvelle section 3 « La durée du contrat »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

Le Code civil ne comportait aucune disposition générale sur la durée des contrats et n’envisageait que la question du terme de l’obligation (art. 1185 et s.). Une section est désormais dédiée à la durée du contrat, elle consacre pour l’essentiel le régime construit par la jurisprudence.

Certains auteurs distinguaient la résiliation de la résolution. La résiliation du contrat était présentée comme la rupture du contrat par l’exercice d’un droit de rompre le contrat, alors que la résolution du contrat était présentée comme la rupture du contrat en guise de sanction d’une inexécution. L’effet était donc le même dans les deux cas (il est mis fin au contrat), seule la cause variait (l’exercice d’un droit dans un cas, une inexécution dans l’autre). La Cour de cassation ne retenait pas vraiment ces définitions et elle utilisait souvent le terme de résiliation pour désigner une rupture non rétroactive du contrat et le terme résolution pour désigner une disparition rétroactive du contrat. L’ordonnance n’emploie pas le terme « résiliation » dans cette section relative à la durée du contrat et lui préfère l’expression très générique « mettre fin au contrat ». Les termes « résiliation » et « résolution » sont en revanche utilisés par l’ordonnance à propos de la sanction de l’inexécution du contrat (art. 1229, alinéa 3), le Gouvernement a donc retenu l’usage terminologique de la Cour de cassation.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1210.- Les engagements perpétuels sont prohibés.

Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée.

Art. 1211.- Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable.
Art. 1212.- Lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l’exécuter jusqu’à son terme.

Nul ne peut exiger le renouvellement du contrat.

Art. 1213.- Le contrat peut être prorogé si les contractants en manifestent la volonté avant son expiration. La prorogation ne peut porter atteinte aux droits des tiers.
Art. 1214.- Le contrat à durée déterminée peut être renouvelé par l’effet de la loi ou par l’accord des parties.

Le renouvellement donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont la durée est indéterminée.

Art. 1215.- Lorsqu’à l’expiration du terme d’un contrat conclu à durée déterminée, les contractants continuent d’en exécuter les obligations, il y a tacite reconduction. Celle-ci produit les mêmes effets que le renouvellement du contrat.

Les engagements perpétuels sont prohibés (art. 1210, al. 1er). La Cour de cassation avait induit ce principe général de textes spéciaux tels que l’article 1780, alinéa 1er, (interdiction du louage de services à vie), l’article 1838 (interdiction des sociétés de plus de 99 ans), l’article 1709 (interdiction du bail perpétuel), l’article 1944 (interdiction du dépôt à durée illimitée) ou encore l’article 2003 (interdiction du mandat perpétuel). Le principe intègre désormais le droit commun des contrats dans le Code civil.

L’ordonnance ne définit pas ce qu’est un engagement perpétuel, ce qui permet de maintenir la jurisprudence antérieure. Un contrat débouche sur un engagement perpétuel lorsqu’il ne contient aucune limite de durée et que toute faculté de résiliation unilatérale est écartée ou rendue illusoire[1]. Il y a aussi engagement perpétuel lorsque le contrat est à durée déterminée, mais que cette durée est anormalement longue, ce qui laisse place à une jurisprudence assez casuistique[2].

La sanction des engagements perpétuels est clarifiée : la nullité totale est écartée, le contrat est requalifié en contrat à durée indéterminée et les clauses empêchant la résiliation unilatérale sont écartées (art. 1210, al. 2). La sanction des engagements perpétuels n’était pas clairement définie dans la jurisprudence antérieure. La Cour de cassation a notamment pu considérer que le vice de perpétuité était sanctionné par la nullité absolue[3], donc enfermée dans un délai de prescription de 30 ans avant la réforme de la prescription de 2008. Cette sanction a pu paraître inadaptée à de nombreux auteurs : une fois l’action en nullité prescrite, ce qui était le cas en l’espèce, l’engagement perpétuel ne pouvait plus être attaqué dès lors qu’il avait reçu un commencement d’exécution, puisque l’exception de nullité ne pouvait plus être opposée après la prescription de l’action en nullité si le contrat avait reçu un commencement d’exécution (règle jurisprudentielle consacrée par le nouvel art. 1185). Cela revenait à condamner le débiteur à exécuter perpétuellement son obligation sans qu’aucune échappatoire ne lui soit laissée. Dans d’autres arrêts, la Cour de cassation a pu retenir une nullité partielle limitée à la seule clause qui rendait l’engagement perpétuel, ce qui permettait de sauver le reste du contrat[4].

L’article 1210, alinéa 2, écarte la sanction de la nullité en prévoyant simplement que chaque contractant peut mettre fin au contrat perpétuel dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. La disposition manque de rigueur sur un plan technique dans la mesure où la nature juridique précise de la sanction n’est pas précisée. Il semblerait que ce soit ici la sanction du « réputé non écrit » qui est mise en œuvre : les clauses du contrat qui rendent l’engagement perpétuel sont réputées non écrites, si bien que le contrat, une fois dépouillé de ces clauses, est requalifié en contrat à durée indéterminée susceptible d’être résilié dans les conditions prévues à l’article 1211. L’avantage de cette sanction est qu’elle n’est soumise à aucune prescription : elle peut être invoquée à tout moment.

Vidéo : La durée du contrat dans la réforme du droit des contrats présentée par le Professeur Garance Cattalano-Cloarec (6 min).

Régime du contrat à durée indéterminée : chaque partie peut résilier unilatéralement le contrat sous réserve de respecter un certain préavis (art. 1211). Selon la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, tout contrat à durée indéterminée peut être résilié unilatéralement par l’une des parties[5], à condition de respecter un délai raisonnable de préavis ou le délai de préavis contractuellement prévu. Cette règle a même une valeur constitutionnelle puisque le Conseil constitutionnel a jugé que « si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants, l’information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant toutefois être garanties »[6].

L’ordonnance consacre cette faculté de résiliation unilatérale dans les contrats à durée indéterminée, mais le texte reste très laconique sur les conditions de l’exercice de cette faculté. Le texte indique qu’il faut respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable, mais ne dit pas ce qu’il advient si le délai contractuel de préavis est anormalement long. On peut supposer, puisque c’est le principe, que l’article 1211 est supplétif de volonté, mais dans une certaine mesure seulement, la limite étant celle de la prohibition des engagements perpétuels prévue à l’article 1210, alinéa 1er. Ainsi le contrat devrait pouvoir aménager les conditions de la rupture du contrat à durée indéterminée du moment que cet aménagement n’aboutit pas indirectement à rendre l’engagement perpétuel (par exemple en rendant l’exercice de la faculté unilatérale de résiliation excessivement onéreux).

Le texte reste également muet sur la possibilité de faire un usage abusif du droit de résiliation. La Cour de cassation reconnaissait jusqu’à maintenant que la résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée pouvait être abusive[7], par exemple lorsqu’elle intervenait dans des conditions vexatoires. La résiliation unilatérale n’en demeurait alors pas moins efficace, mais son auteur engageait sa responsabilité vis-à-vis de son cocontractant. Cette jurisprudence sera probablement maintenue, elle pourra facilement trouver un nouveau fondement dans le nouvel article 1104 du Code civil relatif à la bonne foi.

Régime du contrat à durée déterminée : le contrat ne peut être résilié avant son terme (art. 1212). La solution est classique. La disposition est supplétive de volonté, les parties peuvent donc prévoir un droit de résiliation unilatéral qui peut être soumis à diverses modalités (paiement d’une indemnité de résiliation, etc.). Par ailleurs, les parties peuvent toujours décider de rompre d’un commun accord le contrat avant son terme (art. 1193, c’est le mutuus dissensus).

La formule « nul ne peut exiger le renouvellement du contrat » (art. 1212, al. 2) signifie que le renouvellement d’un contrat à durée déterminée arrivé à son terme n’est pas, en principe, un droit.

Le texte distingue ensuite, pour les contrats à durée déterminée, la prorogation, le renouvellement et la tacite reconduction (art. 1213 à 1215). La prorogation est un report du terme du contrat (art. 1213). Le texte prévoit qu’elle doit nécessairement intervenir avant l’expiration du terme initial, car l’arrivée du terme met fin au contrat et il est impossible de continuer un contrat qui n’existe plus. La prorogation peut avoir lieu d’un commun accord, mais on peut également envisager l’hypothèse dans laquelle le contrat attribuerait une faculté de prorogation unilatérale à l’une des parties (à condition que cette faculté soit suffisamment encadrée pour qu’elle ne puisse pas aboutir à rendre l’engagement perpétuel).

Le renouvellement, contrairement à la prorogation, donne naissance à un nouveau contrat distinct du premier qui prend fin à l’arrivée du terme (art. 1214, al. 2). Cette différence n’est pas anodine, notamment en ce qui concerne le sort des accessoires, par exemple des garanties (l’accessoire suit le principal). Pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 dont le terme survient après le 1er octobre 2016, la loi applicable variera selon que le contrat aura été prorogé ou renouvelé. Si le contrat est prorogé, le terme est simplement reporté : la loi applicable est donc celle antérieure à l’ordonnance, le principe étant celui de la survie de la loi ancienne pour les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance (art. 9, al. 2, de l’ordonnance). En revanche, si le contrat est renouvelé, le contrat initial prend fin à l’arrivée du terme et un nouveau contrat est créé : l’ordonnance sera donc applicable à ce nouveau contrat, conclu par hypothèse après le 1er octobre 2016 (art. 9, al. 1er et 2, de l’ordonnance).

Le renouvellement peut avoir lieu par l’effet de la loi ou par l’accord des parties (art. 1214, al. 1er). Le nouveau contrat a un contenu en principe identique au précédent, mais sa durée devient indéterminée. Cette disposition est évidemment supplétive, puisque les parties peuvent, au moment du renouvellement, convenir de modifier certains éléments par rapport à l’ancien contrat, ou d’affecter un terme au contrat renouvelé.

La tacite reconduction, enfin, se produit lorsque les parties continuent d’exécuter le contrat alors qu’il est arrivé à son terme (art. 1215). Son régime est calqué sur celui du renouvellement (art. 1215), la tacite reconduction donne donc naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent à la différence près que le nouveau contrat est à durée indéterminée.

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

Notes de bas de page

[1] Cass. civ. 1re, 7 mars 2006, n° 04-12.914.

[2] Par exemple, Cass. civ. 1re, 31 janv. 1989, n° 87-10.092 : en l’espèce un agriculteur s’était engagé à céder sa récolte à une coopérative agricole pendant 50 ans, la Cour de cassation a jugé que cet engagement était contraire à la liberté individuelle car « un engagement d’une telle durée était d’un temps égal ou supérieur à la moyenne de la vie professionnelle ». V. aussi Cass. civ. 1re, 19 mars 2002, n° 99-21.209, inédit : « Attendu que la cour d’appel (Toulouse, 27 septembre 1999), ayant relevé que la clause du contrat conclu entre un praticien et la société exploitant une clinique précisait qu’il était conclu « pour la durée de la société », soit, à défaut de précision, pour 99 ans, a pu considérer que l’engagement ainsi pris par le praticien avait à son égard un caractère perpétuel, d’où elle a déduit, par des motifs non critiqués par le pourvoi, que, la stipulation de ce terme étant nulle, la convention devait être réputée conclue sans durée déterminée, et, par conséquent, avec faculté de résiliation unilatérale pour chacune des parties ».

[3] Cass. civ. 3e, 15 déc. 1999, n° 98-10.430.

[4] Cass. civ. 1re, 7 mars 2006, n° 04-12.914, en l’espèce il s’agissait d’un contrat de cautionnement.

[5] Cass. com., 6 nov. 2007, n° 07-10.620.

[6] Cons. const., 9 novembre 1999, DC n° 99-419.

[7] Cass. com., 8 avr. 1986, n° 84-12.943 : « Mais attendu que si, en l’absence de toute convention contraire, la Société Tim était en droit de mettre fin au contrat de concession conclu sans limitation de durée c’est à la condition que l’exercice de ce droit ne soit pas abusif ».

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1210 à 1215 de la nouvelle section 3 “La durée du contrat” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre3/​stitre1/​chap4/​sect3-duree-contrat/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 29/06/2016.
Dernière mise à jour le 29/06/2016.