Présentation des articles 1153 à 1161 du nouveau paragraphe 2 « La représentation »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

L’ordonnance introduit dans le Code civil un droit commun de la représentation, c’est une nouveauté. Ce droit commun s’inspire largement du régime du contrat de mandat qui est l’archétype de la représentation. Les articles relatifs au mandat (art. 1984 et s. du Code civil) qui ont inspiré ces nouvelles dispositions sont reproduits dans la colonne de droite du tableau ci-dessous. L’ordonnance n’abroge pas ces articles qui demeurent applicables au contrat de mandat.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles relatifs au mandat
Art. 1153.- Le représentant légal, judiciaire ou conventionnel n’est fondé à agir que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés. Art. 1989.- Le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat : le pouvoir de transiger ne renferme pas celui de compromettre.

[NB : l’ordonnance n’abroge pas cet article.]

Art. 1154.- Lorsque le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté, celui-ci est seul tenu de l’engagement ainsi contracté.

Lorsque le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom, il est seul engagé à l’égard du cocontractant.

Art. 1998, al. 1er.- Le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné.

[NB : l’ordonnance n’abroge pas cet article.]

Art. 1155.- Lorsque le pouvoir du représentant est défini en termes généraux, il ne couvre que les actes conservatoires et d’administration.

Lorsque le pouvoir est spécialement déterminé, le représentant ne peut accomplir que les actes pour lesquels il est habilité et ceux qui en sont l’accessoire.

Art. 1988.- Le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration.

S’il s’agit d’aliéner ou hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès.

[NB : l’ordonnance n’abroge pas cet article.]

Art. 1156.- L’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.

Lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité.

L’inopposabilité comme la nullité de l’acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représenté l’a ratifié.

Art. 1998, al. 2.- Il [le mandant] n’est tenu de ce qui a pu être fait au-delà [du pouvoir du mandataire], qu’autant qu’il l’a ratifié expressément ou tacitement.

Art. 2005.- La révocation notifiée au seul mandataire ne peut être opposée aux tiers qui ont traité dans l’ignorance de cette révocation, sauf au mandant son recours contre le mandataire.

[NB : l’ordonnance n’abroge pas ces articles.]

Art. 1157.- Lorsque le représentant détourne ses pouvoirs au détriment du représenté, ce dernier peut invoquer la nullité de l’acte accompli si le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer.
Art. 1158.- Le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.

L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte.

Art. 1159.- L’établissement d’une représentation légale ou judiciaire dessaisit pendant sa durée le représenté des pouvoirs transférés au représentant.

La représentation conventionnelle laisse au représenté l’exercice de ses droits.

Art. 1160.- Les pouvoirs du représentant cessent s’il est atteint d’une incapacité ou frappé d’une interdiction. Art. 2003, al. 1 et 4.- Le mandat finit : […]

Par la mort, la tutelle des majeurs ou la déconfiture, soit du mandant, soit du mandataire.

[NB : l’ordonnance n’abroge pas cet article.]

Art. 1161.- Un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté.

En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié.

L’article 1153 énumère les sources de la représentation: la loi (par exemple l’article 388-1-1 selon lequel « l’administrateur légal représente le mineur dans tous les actes de la vie civile […] »), une décision de justice (par exemple celle qui désigne un mandataire ad hoc pour représenter une société en cas de mésentente entre ses associés) ou un contrat (par exemple un contrat de mandat). L’article 1154 distingue ensuite ce que la doctrine appelle la représentation parfaite, de la représentation imparfaite.

Il y a représentation parfaite lorsque le représentant agit au nom et pour le compte du représenté et dans la limite de ses pouvoirs (art. 1154, al. 1er). Le représenté est alors seul engagé par les actes du représentant.

Il y a représentation imparfaite lorsque le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais qu’il contracte en son nom propre (art. 1154, al. 2). Le représentant est alors le seul engagé vis-à-vis du cocontractant. Le contrat de commission, régit par le Code de commerce, est par exemple une forme de représentation imparfaite.

La pratique contractuelle est parfois un peu plus complexe que la dichotomie de l’article 1154. Ainsi la « déclaration de command » consiste pour une personne, le command, à faire acheter un bien par une autre, le commandé, qui déclare traiter pour autrui, mais sans en révéler l’identité. S’il en révèle l’identité dans un certain délai, le command sera seul tenu, à défaut le commandé sera seul tenu. On peut voir dans la déclaration de command une forme de représentation qui peut être parfaite ou imparfaite selon que le commandé révèle ou non l’identité du command, situation que l’article 1154 ne permet pas d’appréhender. On pourrait aussi, pour analyser juridiquement l’opération de command, exclure toute idée de représentation et y voir une simple clause de substitution dans le contrat conclu par le commandé : cette clause permettrait au commandé de se substituer le command. La déclaration de command est notamment utilisée en matière de vente aux enchères pour des questions de discrétion.

Le pouvoir défini en des termes généraux ne couvre que les actes conservatoires et d’administration, les actes de disposition nécessitent un pouvoir spécial (art. 1155). Le régime du mandat est ici transposé au droit commun de la représentation, à une subtilité près : le pouvoir de disposer ne doit pas nécessairement être « exprès », contrairement à ce qui est prévu pour le mandat (art. 1988, al. 2). Cela laisse la possibilité qu’un pouvoir de disposer soit conféré tacitement, la seule chose qui importe étant que ce pouvoir soit spécial.

La théorie du mandat apparent est consacrée dans la loi (art. 1156, al. 1er). L’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé en 1962 que « le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs »[1]. L’alinéa 1er de l’article 1156 consacre cette solution. Si la croyance légitime en l’existence d’une représentation peut résulter d’une faute du pseudo-représenté, ce n’est qu’une possibilité permettant de caractériser la croyance légitime et aucunement une condition nécessaire, le texte précisant « notamment ».

Une option est ouverte au contractant ayant légitimement cru à l’existence d’une représentation (art. 1156, al. 1er et 2). Il peut choisir d’opposer le contrat au représenté apparent (al. 1er) ou de solliciter la nullité du contrat conclu sans pouvoir (al. 2). On retrouve une option comparable, bien que non identique, à celle qui est ouverte aux tiers en cas de simulation (si aucune action en nullité n’est ouverte aux tiers en cas de simulation, ceux-ci peuvent choisir de se prévaloir de l’acte apparent ou de la contre-lettre ; V. art. 1201 et 1202).

La ratification couvre le vice d’absence de pouvoir (art. 1156, al. 3). Le pseudo-représenté est alors définitivement engagé, rétroactivement, vis-à-vis du cocontractant du pseudo-représentant. Il s’agit d’une généralisation de la solution prévue à l’article 1998, alinéa 2, pour le contrat de mandat.

Le détournement de pouvoir par le représentant ouvre une action en nullité au représenté si deux conditions sont réunies (art. 1157). Le représenté doit prouver que ce détournement de pouvoir s’est fait à son détriment d’une part (ce qui devrait être aisé à démontrer) et que le tiers en avait connaissance ou aurait dû en avoir connaissance d’autre part. On est ici dans une hypothèse différente de celle de l’absence de pouvoir visée à l’article 1156. Le détournement de pouvoir signifie que le représentant a bien agi dans les limites matérielles de ses pouvoirs (il n’a donc pas agi sans pouvoir), mais a utilisé ses pouvoirs dans un intérêt autre que celui du représentant (en général dans son intérêt personnel, mais cela peut aussi être dans l’intérêt d’un tiers).

Ex. : un agent immobilier a reçu le pouvoir de vendre un immeuble à un prix minimum de 80 000. Ne cherchant pas à obtenir un meilleur prix de vente, il conclut immédiatement un contrat de vente avec sa propre fille pour un prix de 80 000. Le représentant a bien agi dans les limites matérielles de son pouvoir (il avait le pouvoir de vendre le bien à un prix de 80 000), mais il a agi dans un intérêt distinct de ceux du représenté : plutôt que de chercher un acheteur acceptant d’acquérir l’immeuble à plus de 80 000, il en a immédiatement proposé la conclusion à sa fille au prix plancher fixé par le représenté. Le représenté ne pourra alors solliciter la nullité du contrat de vente que s’il prouve que la fille du représentant avait connaissance du détournement de pouvoir ou ne pouvait l’ignorer.

Afin de garantir la sécurité juridique du tiers, une action interrogatoire lui est ouverte (art. 1158). L’article 1157 prévoit en effet la nullité du contrat lorsque le tiers avait connaissance du détournement de pouvoir ou « ne pouvait l’ignorer ». Ainsi, si le tiers a le moindre doute, il lui est conseillé d’exercer cette action interrogatoire (ou « interpellation interrogatoire » selon l’expression d’Alain Bénaben, V. supra notre commentaire de l’article 1123). Celle-ci est également ouverte lorsque le tiers soupçonne non pas un détournement de pouvoir mais, de façon plus radicale, une absence de pouvoir.

L’établissement d’une représentation légale ou judiciaire dessaisit pendant sa durée le représenté des pouvoirs transférés au représentant (art. 1159, al. 1er). Cela signifie que le représentant ne peut plus accomplir lui-même les actes juridiques pour lesquels le représenté s’est vu confier un pouvoir par la loi ou par une décision de justice. Il s’agit d’une règle générale, qui peut donc être écartée par diverses dispositions spéciales en application de l’adage speciala generalibus derogant qui est consacré à l’article 1105, alinéa 3.

La représentation conventionnelle laisse au représenté l’exercice de ses droits (art. 1159, al. 2). Ainsi le mandant peut-il toujours conclure lui-même les actes pour la conclusion desquels il a confié un pouvoir au mandataire. Le rapport remis au Président de la République précisant que les dispositions de l’ordonnance sont supplétives sauf indication contraire, les parties devraient avoir la possibilité de déroger à cette disposition en prévoyant que le contrat de mandat dessaisit le mandant[2].

Les pouvoirs du représentant cessent s’il est atteint d’une incapacité ou frappé d’une interdiction (art. 1160). Les causes de cessation de la représentation prévues par cet article sont très restreintes et ne concernent que le représentant. Il faut rappeler que l’article 1160 est un texte général et qu’il peut donc être précisé par des textes spéciaux, comme le fait l’article 2003 pour le contrat de mandat.

Le sort des contrats conclus avec soi-même est réglé par l’article 1161. Lorsque le représentant représente les deux parties, ou lorsqu’il conclut le contrat au nom du représenté d’une part et en son nom propre d’autre part, la doctrine parle de « contrat conclu avec soi-même ». Il y a un conflit d’intérêts qui, jusqu’à maintenant, était réglé au cas par cas. Il y avait notamment des dispositions éparses, par exemple l’article 1596 du Code civil interdisait au mandataire du vendeur de se porter acquéreur du bien qu’il a pour mission de vendre ; les contrats conclus par un mandataire social avec la société qu’il représente sont soumis à un régime d’autorisation ou d’approbation, etc. L’article 1161, alinéa 1er, interdit désormais de façon générale au représentant de conclure un « contrat avec soi-même ». L’alinéa 2 prévoit toutefois deux importantes exceptions : il s’agit d’une disposition supplétive, qui peut donc être écartée si le représenté en manifeste la volonté, et il s’agit d’une disposition générale à laquelle des dispositions légales spéciales peuvent déroger (ce qui n’est qu’un rappel de l’article 1105, alinéa 3), ce qui est notamment le cas en droit des sociétés où un régime spécifique d’autorisation/approbation est prévu pour les « contrats conclus avec soi-même ».

L’applicabilité de ces dispositions au droit du société. M. François-Xavier Lucas, Professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur de l’IEJ Jean Domat, évoque dans la vidéo ci-dessous (2e partie) la question de l’application aux sociétés de ces nouvelles dispositions générales relatives à la représentation. Compte tenu des conséquences qu’une telle application pourrait entraîner, il émet le souhait que ces textes soient considérés « inapplicables à l’hypothèse de la représentation au sein des sociétés ».

Vidéo : La capacité des personnes morales après la réforme du droit des contrats présentée par le Professeur François-Xavier Lucas (13 min).

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • D. Boulaud, P. Marcou et J. Pudico, « L’action interrogatoire », La réforme du droit des contrats : actes de colloque, 1ère Journée Cambacérès, 3 juillet 2015, Montpellier, Université de Montpellier, 2015, p. 221.
  • Ph. Didier, « La représentation dans le nouveau droit des obligations », JCP G 2016, 580
  • N. Dissaux, « La représentation : notion », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 29 avr. 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/04/29/la-representation-notion/ [consulté le 03/06/2016].
  • N. Dissaux, « La représentation : le régime », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 30 avr. 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/04/30/la-representation-regime/ [consulté le 03/06/2016].

Notes de bas de page

[1] Cass. ass. plén., 13 déc. 1962, n° 57-11.569.

[2] Un tel dessaisissement conventionnel du mandant serait probablement jugé inopposable aux tiers, mais produirait néanmoins des effets entre les parties au contrat de mandat. Le mandant qui aurait conclu un acte juridique en méconnaissance de ce dessaisissement pourrait ainsi engager sa responsabilité contractuelle vis-à-vis du mandataire (cet acte pourrait lui avoir fait manquer un gain, notamment si la rémunération du mandataire était conditionnée à la conclusion de l’acte juridique par ce dernier).

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1153 à 1161 du nouveau paragraphe 2 “La représentation” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre3/​stitre1/​chap2/​sect2/​ssect2/​para2-representation/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 30/05/2016.
Dernière mise à jour le 30/05/2016.