Présentation des articles 1352 à 1352-9 du nouveau chapitre V « Les restitutions »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

Le Code civil ne comportait aucune disposition générale relative aux restitutions. La jurisprudence s’est inspirée des dispositions relatives à la répétition de l’indu (anc. art. 1378 à 1381) pour en construire le régime. L’ordonnance corrige cette lacune en consacrant dix articles à cette question très importante en pratique. Ces dispositions ont vocation à s’appliquer à toutes les restitutions : qu’elles soient consécutives à une disparition d’un contrat (par annulation, résolution, résiliation ou caducité[1]) ou à l’exercice d’une action en répétition de l’indu.

La Cour de cassation conférait un fondement autonome aux restitutions, distinct de tout quasi-contrat comme la répétition de l’indu ou l’enrichissement sans cause[2]. Les restitutions pouvaient être expliquées par l’anéantissement rétroactif des obligations du contrat : les prestations matériellement exécutées devaient être restituées car elles avaient rétroactivement perdu leurs fondements juridiques[3]. Le Gouvernement affirme dans son rapport que « la question des restitutions est […] désormais détachée, formellement, de la rétroactivité, les restitutions devenant un effet de la loi »[4]. Pourtant, ainsi que nous l’avons vu, l’abandon de toute idée de rétroactivité n’est pas si clair que cela dans l’ordonnance et le Gouvernement lui-même fait référence, dans son rapport, à la rétroactivité lorsqu’il évoque les effets de la résolution du contrat[5]

Au-delà de cette question théorique, l’ordonnance modifie certaines solutions antérieurement retenues par la jurisprudence. La rédaction des nouvelles dispositions est globalement complexe et imparfaite, ainsi que nous allons le voir.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1352.- La restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution. Art. 1379.- Si la chose indûment reçue est un immeuble ou un meuble corporel, celui qui l’a reçue s’oblige à la restituer en nature, si elle existe, ou sa valeur, si elle est périe ou détériorée par sa faute ; il est même garant de sa perte par cas fortuit, s’il l’a reçue de mauvaise foi. [à propos de la répétition de l’indu]
Art. 1352-1.- Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. V. supra, art. 1379.
Art. 1352-2.- Celui qui l’ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente.

S’il l’a reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix.

Art. 1380.- Si celui qui a reçu de bonne foi a vendu la chose, il ne doit restituer que le prix de la vente. [à propos de la répétition de l’indu]
Art. 1352-3.- La restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée.

La valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce.

Sauf stipulation contraire, la restitution des fruits, s’ils ne se retrouvent pas en nature, a lieu selon une valeur estimée à la date du remboursement, suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation.

Art. 1378.- S’il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui a reçu, il est tenu de restituer, tant le capital que les intérêts ou les fruits, du jour du paiement. [à propos de la répétition de l’indu]
Art. 1352-4.- Les restitutions dues à un mineur non émancipé ou à un majeur protégé sont réduites à proportion du profit qu’il a retiré de l’acte annulé. Art. 1312.- Lorsque les mineurs ou les majeurs en tutelle sont admis, en ces qualités, à se faire restituer contre leurs engagements, le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engagements, payé pendant la minorité ou la tutelle des majeurs, ne peut en être exigé, à moins qu’il ne soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit.
Art. 1352-5.- Pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution. Art. 1381.- Celui auquel la chose est restituée, doit tenir compte, même au possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose. [à propos de la répétition de l’indu]
Art. 1352-6.- La restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l’a reçue.
Art. 1352-7.- Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. Art. 1378.- S’il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui a reçu, il est tenu de restituer, tant le capital que les intérêts ou les fruits, du jour du paiement. [à propos de la répétition de l’indu]
Art. 1352-8.- La restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie.
Art. 1352-9.- Les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme.

Restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent : la restitution « a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution » (art. 1352). Cette disposition consacre une solution classique et énonce une règle nouvelle.

La solution classique, d’abord, est que la restitution a en principe lieu en nature, mais qu’elle a lieu en valeur lorsqu’elle est impossible en nature[6]. Lorsque l’obligation de délivrer porte sur un corps certain, la restitution en nature est impossible si la chose a péri ou si celui qui l’a reçue en a transmis la propriété à un tiers et que ce tiers est protégé par une règle comme celle de l’article 2276. Lorsque l’obligation de délivrer porte sur une chose de genre autre qu’une somme d’argent, la restitution en nature est possible lorsque la chose de genre est toujours présente et individualisée dans le patrimoine de celui qui doit restituer. On peut supposer que la restitution en nature est également possible s’il y a dans le patrimoine de celui qui doit restituer des choses du même genre, mais que l’on ne peut pas déterminer si ce sont précisément celles-là qui ont été délivrées (car les choses délivrées n’ont pas été gardées individualisées et ont été mélangées à d’autres choses fongibles du même genre). En revanche, l’article 1352 ne nous éclaire pas sur la solution à adopter lorsqu’il n’existe plus, dans le patrimoine de celui qui doit restituer, des choses du même genre que celle qui a été livrée : celui qui doit restituer peut-il/doit-il se procurer une chose de même genre que celle délivrée afin de pouvoir la restituer ou peut-il/doit-il restituer en valeur ?

La règle nouvelle, ensuite, est que la valeur de la chose à restituer, en cas de restitution en valeur, est estimée au jour de la restitution. Il s’agit d’une solution nouvelle puisque la Cour de cassation avait jugé que la chose devait être évaluée au jour de la conclusion du contrat[7]. Cette nouvelle règle est défavorable à celui qui doit restituer en cas d’inflation, elle lui est au contraire favorable dans l’hypothèse, inverse, où la valeur de la chose a diminué entre la conclusion du contrat et la restitution. Ainsi que le relève Marc Mignot, l’application de cette disposition risque de s’avérer délicate en pratique : la valeur devant être estimée au jour de la restitution, le juge devra se projeter dans le futur lorsqu’il condamnera une personne à restituer une chose en valeur[8]. Cette projection sera rendue incertaine par deux éléments : d’abord il est difficile d’anticiper l’évolution de la valeur d’une chose, ensuite le juge ne peut pas savoir avec certitude la date à laquelle la restitution aura lieu (il peut fixer une date, mais rien ne dit qu’elle sera respectée).

Modalités de la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent : « Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. » (art. 1352-1). La rédaction de l’article est étrange : au lieu d’énoncer que celui qui doit restituer est responsable des dégradations et détériorations sauf s’il est de bonne foi et qu’elles ne sont pas dues à sa faute, il aurait été plus logique de dire qu’il n’en est pas responsable, sauf mauvaise foi ou faute. Cette solution est novatrice dans la mesure où la Cour de cassation jugeait antérieurement que celui qui devait restituer la chose était tenu de la restituer dans l’état où elle se trouvait avant l’exécution de l’obligation, même si la dégradation ou la détérioration n’étaient pas dues à sa faute[9].

Modalités de la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent : « Celui qui l’ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente. » (art. 1352‑2). La solution était auparavant énoncée à l’ancien article 1380 du Code civil, mais à propos de la seule répétition de l’indu. Cette règle n’avait jamais, à notre connaissance, était étendue par la jurisprudence aux restitutions consécutives à l’anéantissement rétroactif d’un contrat. L’ordonnance innove donc en généralisant la règle à tous les types de restitutions. La solution a, au premier abord, le mérite de la simplicité. Ainsi, si un contrat de vente est annulé et que l’acquéreur ne peut pas restituer la chose car il l’a revendue entre-temps, il n’est pas nécessaire de procéder à une estimation complexe de la valeur de la chose au jour de la restitution : si l’acquéreur est de bonne foi, il doit simplement restituer le prix de revente qu’il a perçu.

Le Gouvernement ne semble avoir envisagé, à travers cette disposition, que l’hypothèse dans laquelle le prix de vente est inférieur à la valeur de la chose au jour de la restitution : celui qui a reçu la chose ne doit restituer « que » le prix de vente. Partant, il existe une incertitude sur la solution à adopter lorsque le prix de revente est supérieur à la valeur de la chose au jour de la restitution. Celui qui doit restituer doit-il, dans cette hypothèse, restituer le prix de vente, ou peut-il ne restituer que la valeur et conserver ainsi la plus-value ? Le texte n’est pas clair.

Le deuxième alinéa de l’article 1352-2 est moins ambigu : si celui qui doit restituer a reçu la chose « de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix » (art. 1352-2, al. 2). La restitution porte alors sur la plus forte des deux sommes entre le prix de vente et la valeur de la chose au jour de la restitution. La faveur faite par l’alinéa 1er à celui qui doit restituer ne se justifie plus s’il a reçu la chose de mauvaise foi.

L’article 1352-2 crée un risque de fraude important : celui qui a reçu la chose, anticipant l’annulation ou la résolution du contrat, pourrait être tenté de la vendre à un complice à vil prix ou à un prix moindre que celui du marché afin de n’avoir à restituer que le prix de vente inférieur à la valeur de la chose. L’alinéa 2 de l’article 1352-2 traite de l’hypothèse dans laquelle celui qui doit restituer a reçu la chose de mauvaise foi, mais ne traite pas de l’hypothèse, différente, dans laquelle il aurait vendu la chose de mauvaise foi. On peut supposer, dans une telle situation, que la jurisprudence appliquera l’adage fraus omnia corrumpit pour déjouer la fraude et condamnera celui qui doit restituer à payer la valeur de la chose et non le prix de vente frauduleux.

Modalités de la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent : la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée (art. 1352‑3) à compter d’une date variable selon que la chose a été reçue de mauvaise foi ou de bonne foi (art. 1352‑7). En ce qui concerne la restitution des fruits, les solutions étaient antérieurement différentes selon la cause de la restitution. En matière de répétition de l’indu, l’ancien article 1380 prévoyait que les fruits ne devaient être restitués que s’ils avaient été reçus de mauvaise foi. Autrement dit les fruits pouvaient être conservés s’ils avaient été reçus de bonne foi. La solution de l’ancien article 1380, également énoncée de façon générale à l’article 549, avait été étendue par la jurisprudence aux restitutions consécutives à l’annulation d’un contrat[10]. En revanche, la règle ne s’est jamais véritablement imposée aux restitutions consécutives à la résolution pour inexécution d’un contrat : la restitution des fruits était alors souvent ordonnée sans que la mauvaise foi de celui qui les a reçues ne soit démontrée[11].

Si on se limite à l’article 1352-3, l’ordonnance semble abandonner la règle de l’ancien article 1380 : les fruits doivent être restitués, même s’ils ont été reçus de bonne foi. Mais cela est trompeur, car l’article 1352-3 ne peut être lu indépendamment de l’article 1352-7 : « Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. » L’ordonnance généralise donc en réalité la solution de l’ancien article 1380. Le fait de condamner celui qui a reçu la chose de bonne foi à restituer les fruits perçus à compter du jour de la demande est une solution inspirée de l’interprétation que faisait la Cour de cassation de l’article 549 du Code civil. Selon la Haute juridiction, « à compter de la demande en justice tendant à l’annulation de la vente, le possesseur ne peut invoquer la bonne foi »[12].

Les fruits peuvent être naturels (ex. : un arbre qui produit naturellement des fruits), industriels (ex. : les fruits produits par une terre cultivée) ou civils (ex. : les loyers lorsque la chose est louée). Traditionnellement, seuls les fruits nets doivent être restitués, c’est-à-dire que l’on doit déduire des fruits perçus les frais engagés pour les percevoir, ce qui crée des difficultés en pratique quand il s’agit de déterminer quels sont les frais qui peuvent être déduits des fruits[13].

En ce qui concerne la restitution de la valeur de la jouissance, qui doit ici s’entendre de l’usus, l’ordonnance s’éloigne davantage des solutions antérieures, du moins sur un plan théorique, car le résultat concret n’est pas très éloigné. Après de nombreuses hésitations, la Cour de cassation, réunie en chambre mixte, avait jugé en 2004 qu’aucune indemnité d’occupation n’était due en cas d’annulation rétroactive d’un contrat translatif de propriété[14]. Toutefois la Cour de cassation avait immédiatement tempéré cette solution en reconnaissant dans le même arrêt que « la partie de bonne foi au contrat de vente annulé peut […] demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu’elle a subi en raison de la conclusion du contrat annulé ». Celui qui était de mauvaise foi ne devait donc pas verser une indemnité de jouissance au titre des restitutions, mais pouvait être condamné, sur le fondement de l’ancien article 1382, à réparer le préjudice subi par celui qui a été privé de la jouissance de son bien jusqu’à ce qu’il lui soit restitué, ce qui aboutissait finalement plus ou moins au même résultat. Désormais, l’article 1352-3 prévoit que la restitution inclut la valeur de la jouissance que la chose a procurée (al. 1er) estimée par le juge au jour où il se prononce (al. 2), mais l’article 1352-7 prévoit que cette valeur de la jouissance n’est due qu’à compter du jour de la demande si l’accipiens a reçu la chose de bonne foi et à compter du paiement s’il l’a reçu de mauvaise foi. Ces solutions aboutissent à des résultats concrets finalement proches de ceux du droit antérieur, la différence étant qu’on ne passe plus par le mécanisme de la responsabilité civile délictuelle pour condamner celui qui a reçu la chose de mauvaise foi à verser une indemnité de jouissance : il s’agit désormais d’un effet propre au mécanisme des restitutions.

Enfin, l’article 1352-3 indique que celui qui a reçu la chose doit en restituer les fruits et la jouissance. Il est évident que si la chose est louée, la jouissance (usus) se confond avec les fruits (fructus) : celui qui a reçu la chose ne doit pas restituer, en sus des loyers perçus (fruits civils), une indemnité de jouissance, sauf, vraisemblablement, fraude (hypothèse dans laquelle le preneur serait complice et qu’un loyer dérisoire aurait été stipulé).

Aucune disposition ne règle la question de l’usure subie par la chose du fait de son utilisation normale entre la date de sa délivrance et la date de sa restitution. Il nous semble que l’usure ne puisse pas être considérée comme une « dégradation » ou une « détérioration » de la chose au sens de l’article 1352-1[15]. En outre, l’article 1352-3 impose déjà à celui qui doit restituer de verser une indemnité de jouissance. L’indemnité d’usure est certes différente de l’indemnité de jouissance : la première vise à indemniser la dépréciation subie par le bien du fait de son utilisation, la seconde vise à indemniser la jouissance de la chose dont a été privé celui à qui cette dernière est restituée. Les deux indemnités sont toutefois fortement liées : l’indemnité de jouissance couvre indirectement l’usure subie par la chose, car l’usure de la chose découle de son utilisation, c’est-à-dire de sa jouissance (au sens de l’usus)[16]. L’article 1352-3 prévoyant déjà le paiement d’une indemnité de jouissance, il n’y a pas lieu de prévoir, en plus, une indemnité d’usure. Il est dommage que l’ordonnance n’ait pas exclu expressément cette indemnité d’usure. Par une série d’arrêts rendus le 21 mars 2006, la Cour de cassation avait exclu la possibilité d’obtenir une indemnité d’usure lorsque le contrat était anéanti suite à l’exercice de l’action rédhibitoire (garantie des vices cachés)[17], mais l’avait au contraire admise lorsque le contrat était résolu pour défaut de conformité[18]. La Cour de cassation pourrait modifier sa jurisprudence suite à l’adoption de l’ordonnance, mais elle pourrait tout aussi bien la maintenir en considérant que le contrat de vente est doté d’un régime spécial de restitutions et que ce régime spécial, qui déroge au régime général, n’est pas affecté par l’ordonnance puisque le Gouvernement n’était pas habilité à réformer le droit des contrats spéciaux.

Celui qui doit restituer une chose doit être indemnisé des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution (art. 1352-5). L’ancien article 1381 prévoyait que celui à qui la restitution était due devait indemniser celui qui restituait « de toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose », règle qui avait été généralisée par la Cour de cassation à toutes les restitutions[19]. La Cour de cassation avait toutefois pris des libertés avec cette règle dans un arrêt de 2014. En l’espèce un contrat de vente d’un cheval avait été résolu car celui-ci, atteint d’une claudication, était partiellement inapte à sa destination : il était impropre à la compétition, mais ses facultés reproductrices pouvaient être exploitées. L’acquéreur demandait aux vendeurs le remboursement des frais de conservation de l’animal, mais l’arrêt de la Cour de cassation énonce que la cour d’appel « a exactement retenu qu’ils étaient la contrepartie de la jouissance du cheval dont [l’acquéreur] avait pu profiter hors compétition »[20]. Cette solution n’a plus de raison d’être maintenant que l’ordonnance règle le sort des fruits et de la valeur de la jouissance (art. 1352-3 et 1352-7) indépendamment du sort des dépenses de conservation et d’amélioration de la chose (art. 1352-5).

L’article 1352-5 adopte par ailleurs une rédaction plus claire que celle de l’ancien article 1381. Ce dernier visait « toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose ». On distingue traditionnellement les dépenses nécessaires, utiles et somptuaires (théorie des impenses). Les dépenses nécessaires sont celles qui permettent de conserver la chose, la formule « toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose » n’a donc pas de sens : si les dépenses sont faites pour la conservation de la chose, ce sont des dépenses nécessaires et non des dépenses utiles. L’article 1352-5 retient une formulation plus claire : les dépenses nécessaires à la conservation de la chose sont intégralement remboursées, les autres dépenses ne sont remboursées que si elles ont augmenté la valeur de la chose et dans la limite de la plus-value apportée à la chose (estimée au jour de la restitution). Par exemple, si celui qui doit restituer un immeuble a fait réparer la toiture afin d’éviter que l’eau ne s’infiltre, il sera intégralement indemnisé de sa dépense. S’il a fait installer un système de climatisation pour 20 000 euros, et que la présence de ce système a fait augmenter la valeur totale de l’immeuble de 10 000 euros au jour de la restitution, alors il ne sera indemnisé que de 10 000 euros.

Le texte énonce qu’il est « tenu compte » de ces dépenses pour « fixer le montant des restitutions ». Si la restitution se fait en valeur, le montant de la restitution sera diminué du montant des dépenses dans les conditions de l’article 1352-5 (sorte de compensation). Si la restitution se fait en nature, alors celui à qui la chose est restituée devra verser une indemnité à celui qui la restitue.

Modalités de la restitution d’une somme d’argent (art. 1352-6). L’argent est traité comme une chose de genre particulière pour plusieurs raisons : parce qu’il est toujours possible de le restituer en nature, parce que la question de la dégradation et de l’usure ne se pose pas, et parce que l’indemnisation de la privation de jouissance d’une somme d’argent est traditionnellement compensée en faisant produire des intérêts à la somme d’argent. C’est pourquoi les articles 1352 à 1352-3 et 1352-5 ne s’appliquent qu’à la restitution d’une chose « autre que d’une somme d’argent ». L’article 1352-6 prévoit que la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l’a reçue. Comme pour la restitution des fruits et de la valeur de la jouissance, cette disposition ne peut être lue indépendamment de l’article 1352-7 : les intérêts ne commencent à courir qu’à compter du jour de la demande si la somme d’argent a été reçue de bonne foi, à compter du paiement si elle a été reçue de mauvaise foi,

Modalités de la restitution d’une prestation de service (art. 1352-8). La restitution d’une prestation de service a lieu en valeur, ce qui est classique, et la valeur est appréciée à la date à laquelle la prestation a été fournie. L’expression « prestation de service » doit ici être entendue au sens large afin de couvrir toutes les restitutions consécutives à l’exécution d’obligations que l’on qualifiait autrefois de faire ou de ne pas faire. L’ordonnance reste très laconique sur le régime de l’estimation de la valeur de la prestation. Comment, par exemple, estimer la valeur de l’exécution d’une clause de non-concurrence ou d’une clause d’exclusivité ? L’ordonnance ne mettra pas fin à la casuistique jurisprudentielle sur ces questions d’évaluation.

Le sort des restitutions consécutive à l’annulation d’un contrat conclu avec un incapable : une erreur de rédaction de l’article 1352-4 ? Selon le rapport remis au Président de la République, « l’article 1352-4 reprend en le simplifiant l’actuel article 1312 du code civil sur les restitutions dues par un mineur ou un majeur protégé et prévoit la réduction de ces restitutions à proportion du profit retiré de l’acte annulé ». Pourtant, l’article 1352-4 énonce que « les restitutions dues à un mineur non émancipé ou à un majeur protégé sont réduites à proportion du profit qu’il a retiré de l’acte annulé ». La différence est lourde de sens. La règle de l’ancien article 1312 prévoyait que les mineurs et les majeurs en tutelle n’étaient tenus de restituer que ce qui avait tourné à leur profit lorsque le contrat était annulé en raison de leur incapacité. Concrètement, ils n’avaient pas à restituer ce qu’ils avaient dilapidé. En revanche, le cocontractant de l’incapable était tenu de restituer intégralement ce qu’il avait reçu de ce dernier. La nouvelle règle de l’article 1352-4 a un sens totalement inverse : ce sont les restitutions dues par le cocontractant de l’incapable qui sont réduites à proportion du profit retiré par l’incapable… Plus aucune règle ne prévoit que les restitutions dues par l’incapable sont réduites à proportion du profit qu’il a retiré de l’acte annulé. Il s’agit vraisemblablement d’une erreur de rédaction[21] et il est probable que le juge se détachera de la lettre du texte au profit de la ratio legis. Le rapport remis au Président de la République permet en effet de comprendre que la volonté du Gouvernement était de conserver la règle de l’ancien article 1312 (interprétation téléologique).

Au-delà de cette erreur vraisemblable de rédaction, on remarque que le champ d’application de la règle a été étendu. L’ancien article 1312 ne visait que les mineurs ou les majeurs en tutelle alors que le nouvel article s’applique, plus généralement, aux mineurs non émancipés et aux majeurs protégés, ce qui inclut tous les incapables, y compris les majeurs en curatelle et sous sauvegarde de justice.

Les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution ne soit privée du bénéfice du terme (art. 1352-9). Cette solution avait été retenue par la Cour de cassation pour les restitutions consécutives à l’annulation d’un contrat de prêt : « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable ; […] dès lors, le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte»[22]. Les fondements théoriques de cette solution étaient discutés par la doctrine. L’ordonnance consacre et généralise cette règle qui trouve donc, désormais, un fondement légal dans le nouvel article 1352-9.

Non-consécration de l’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Cet adage a un champ d’application très restreint en droit positif : il fait seulement obstacle aux restitutions consécutives à l’annulation d’un contrat pour cause ou objet immoral. Suivant les situations, ce sont les restitutions dues par l’une des parties ou par les deux parties qui sont paralysées. Les contours de cette règle sont très incertains : si de nombreuses études doctrinales ont été consacrées à cette règle, il existe très peu d’arrêts qui l’appliquent. L’ordonnance aurait pu consacrer cette règle en clarifiant ses modalités d’application, elle ne le fait pas. Elle n’exclut pas pour autant cette règle prétorienne, si bien que cette dernière pourrait parfaitement être maintenue par la Cour de cassation.

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • J. Klein, « Les restitutions », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 90.
  • M. Mignot, « Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (XI) », LPA 13 mai 2016, n° 96, p. 6.
  • S. Pellet, « Les restitutions : et si le dogmatisme avait du bon ? », JCP G 2016, 676.
  • J.-B. Seube, « Le juge et les restitutions », RDC 2016/2, p. 411.

Notes de bas de page

[1] Rappelons en effet que la caducité peut être rétroactive (V. notre commentaire de l’art. 1187, al. 2), de même que la résiliation (V. notre commentaire de l’art. 1229).

[2] Cass. civ. 1re, 24 sept. 2002, n° 00-21.278 : « Attendu que les restitutions consécutives à une annulation ne relèvent pas de la répétition de l’indu mais seulement des règles de la nullité ».

[3] J. Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, La formation du contrat, t. 2, L’objet et la cause, Les nullités, 4e éd., LGDJ, lextenso éditions, 2013, p. 1398, n° 2712 : « En matière d’annulation, la rétroactivité opère doublement. Elle atteint d’abord le contrat en tant qu’acte juridique créateur d’effets de droit. (…) Quant à ses effets matériels résultant des prestations fournies en exécution du contrat, ils sont également reconsidérés. Désormais privés de cause, on les requalifie afin d’en tirer de nouvelles conséquences de droit pour l’avenir : une restitution ».

[4] V. notre commentaire de l’art. 1228.

[5] Ibid.

[6] Cass. civ. 1re, 11 juin 2002, n° 00-15.297 : « Attendu que les restitutions réciproques, conséquences nécessaires de la nullité d’un contrat de vente, peuvent être exécutées en nature ou en valeur ».

[7] Cass. com., 14 juin 2005, n° 03-12.339 ; Cass. civ. 1re, 8 mars 2005, n° 02-11.594.

[8] M. Mignot, « Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (XI) », LPA 13 mai 2016, n° 96, p. 6.

[9] Cass. civ. 1re, 2 juin 1987, n° 84-16.624.

[10] Cass. civ. 3e, 12 févr. 2013, n° 11-27.030, inédit.

[11] Cass. civ. 3e, 22 juill. 1992, n° 90-18.667 ; Cass. civ. 3e, 29 juin 2005, n° 04-12.987.

[12] Cass. civ. 3e, 12 févr. 2013, n° 11-27.030, inédit.

[13] J. Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, La formation du contrat, t. 2, L’objet et la cause – Les nullités, LGDJ, lextenso éditions, 2013, n° 2902, p. 1564.

[14] Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302 : « Qu’en statuant ainsi, alors que le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

[15] Contra : S. Pellet, « Les restitutions : et si le dogmatisme avait du bon ? », JCP G 2016, 676.

[16] En ce sens, la formule d’un arrêt de la Cour de cassation est significative : « Mais attendu qu’en matière de garantie de vices cachés, lorsque l’acquéreur exerce l’action rédhibitoire prévue par l’article 1644 du code civil, le vendeur, tenu de restituer le prix reçu, n’est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l’utilisation de la chose vendue ou à l’usure résultant cette utilisation » (Cass. civ. 1re, 21 mars 2006, n° 03-16.075). La Haute juridiction distingue dans cet arrêt l’indemnité de jouissance (indemnité liée à l’utilisation de la chose) de l’indemnité d’usure, tout en reconnaissant un certain lien entre les deux : l’usure « résulte » de l’utilisation.

[17] V. par exemple l’arrêt précité : Cass. civ. 1re, 21 mars 2006, n° 03-16.075 (d’autres arrêts ont été rendus dans le même sens le même jour).

[18] Cass. civ. 1re, 21 mars 2006, n° 02-19.236 : « si l’effet rétroactif de la résolution d’une vente pour défaut de conformité permet au vendeur de réclamer à l’acquéreur une indemnité correspondant à la dépréciation subie par la chose en raison de l’utilisation que ce dernier en a faite, il incombe au vendeur de rapporter la preuve de l’existence et de l’étendue de cette dépréciation ».

[19] Par exemple, pour les restitutions consécutives à une nullité : Cass. com., 29 mars 1994, n° 92-14.245, inédit.

[20] Cass. civ. 1re, 19 févr. 2014, n° 12-13.668, inédit ; RTD civ. 2014, p. 363, obs. H. Barbier.

[21] Dans le même sens : S. Pellet, « Les restitutions : et si le dogmatisme avait du bon ? », JCP G 2016, 676.

[22] Cass. civ. 1re, 25 mai 1992, n° 90-21.031.

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1352 à 1352-9 du nouveau chapitre V “Les restitutions” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre4/​chap5-restitutions/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 19/07/2016.
Dernière mise à jour le 19/07/2016.