Présentation des articles 1348 à 1348-2 de la nouvelle sous-section 2 « Règles particulières »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

L’ordonnance consacre dans cette sous-section de nouvelles dispositions spéciales relatives à la compensation judiciaire, la compensation de dettes connexes et la compensation conventionnelle. Ces dispositions codifient les apports de la jurisprudence, mais restent lacunaires sur certains points, notamment sur la notion de connexité qui n’est pas définie.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1348.- La compensation peut être prononcée en justice, même si l’une des obligations, quoique certaine, n’est pas encore liquide ou exigible. A moins qu’il n’en soit décidé autrement, la compensation produit alors ses effets à la date de la décision.
Art. 1348-1.- Le juge ne peut refuser la compensation de dettes connexes au seul motif que l’une des obligations ne serait pas liquide ou exigible.

Dans ce cas, la compensation est réputée s’être produite au jour de l’exigibilité de la première d’entre elles.

Dans le même cas, l’acquisition de droits par un tiers sur l’une des obligations n’empêche pas son débiteur d’opposer la compensation.

Art. 1348-2.- Les parties peuvent librement convenir d’éteindre toutes obligations réciproques, présentes ou futures, par une compensation ; celle-ci prend effet à la date de leur accord ou, s’il s’agit d’obligations futures, à celle de leur coexistence.

La compensation judiciaire (art. 1348). Elle n’était pas prévue par le Code civil, on la rattachait donc, jusqu’à maintenant, aux articles 70, alinéa 2, et 564 du Code de procédure civile. L’article 1348 consacre intégralement les solutions dégagées par la jurisprudence.

La compensation judiciaire permet de compenser deux obligations dont l’une n’est pas exigible ou liquide. On en déduit que la compensation judiciaire ne permet pas de surmonter l’absence de l’une des autres conditions de la compensation légale : les deux obligations doivent donc être réciproques, fongibles et certaines. L’exigence du caractère certain des deux obligations est d’ailleurs expressément mentionnée dans le texte.

La Cour de cassation avait admis que la compensation judiciaire permette de déroger à l’ancien article 1293[1]. La règle de cet article a été reprise au nouvel article 1347-2, mais l’ordonnance ne précise pas si la compensation judiciaire permet d’y déroger.

La compensation judiciaire produit ses effets à la date fixée par le juge ou, à défaut, à la date de sa décision. Cela renforce la thèse de l’autonomie de la compensation judiciaire. Un débat existait en effet en doctrine sur l’autonomie de la compensation judiciaire par rapport à la compensation légale. La question était la suivante : le juge, en compensant judiciairement deux obligations, opère-t-il réellement une compensation distincte de la compensation légale, ou ne se contente-t-il pas de rendre les deux obligations liquides et exigibles, permettant ainsi leur compensation légale ? En effet, pour pouvoir ordonner la compensation judiciaire entre une obligation liquide et une obligation qui ne l’est pas, le juge doit nécessairement liquider la créance qui n’est pas liquide (c’est-à-dire déterminer son quantum) afin de déterminer quelle est la plus faible des deux obligations et dans quelle mesure sera éteinte l’autre. À partir du moment où l’obligation qui n’est pas liquide est liquidée, les conditions de la compensation légale sont réunies et celle-ci peut donc intervenir, ce qui faisait douter de l’autonomie de la compensation judiciaire. La compensation judiciaire pouvant désormais produire ses effets à une date différente de celle du jugement selon le nouvel article 1348, il existe une différence certaine avec la compensation légale qui produit ses effets à la date où les deux obligations remplissent les conditions de l’article 1347-1.

L’article 1348 consacre également le caractère facultatif, pour le juge, de la compensation judiciaire[2]. On le déduit de l’emploi du verbe pouvoir. Cela signifie que le juge peut prononcer la compensation de deux obligations dont l’une n’est pas exigible ou liquide, mais il n’en est pas contraint, il ne s’agit que d’une faculté et il est donc libre d’en apprécier l’opportunité. La situation est différente lorsque les deux dettes sont connexes.

La compensation de dettes connexes (art. 1348-1). Lorsque les obligations réciproques sont connexes, le juge ne peut refuser de constater leur compensation, quand bien même l’une d’elles ne serait pas liquide ou exigible (al. 1er)[3]. La compensation rétroagit alors au jour de l’exigibilité de la première des deux obligations[4]. L’ordonnance ne fait ici que codifier les solutions jurisprudentielles antérieures[5].

L’acquisition de droits par un tiers sur l’une des obligations connexes n’empêche pas son débiteur d’opposer la compensation (al. 3). Là encore la solution est classique[6]. Cette dérogation au principe de l’article 1347-7 découle naturellement de la rétroactivité de la compensation de dettes connexes : la compensation intervenant rétroactivement au jour où la première des deux obligations est devenue exigible (al. 2), il importe peu que l’une des deux créances connexes ait été cédée avant que l’autre ne naisse. La fiction de la rétroactivité permet ainsi d’invoquer la compensation de deux dettes connexes qui n’ont en réalité jamais été réciproques. Voici par exemple un créancier qui cède sa créance. Le débiteur cédé devient, postérieurement à la notification de la cession, créancier du cédant. Il n’y a jamais eu de réciprocité entre la créance cédée et la créance du cédé contre le cédant : au moment où le cédé est devenu créancier du cédant, il n’était plus débiteur de celui-ci, mais était devenu débiteur du cessionnaire. Pourtant, si ces deux dettes sont connexes, leur compensation est possible et est opposable au cessionnaire.

Ainsi que le précise le rapport remis au Président de la République, la compensation de dettes connexes n’est pas nécessairement judiciaire. Si les conditions de la compensation légale sont réunies, alors c’est celle-ci qui se produit, que les dettes soient connexes ou non. En revanche, si les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies, mais que les dettes sont connexes, le juge est contraint de prononcer la compensation judiciaire même s’il y a un défaut de liquidité ou d’exigibilité (art. 1348-1, al. 1er), alors que la compensation judiciaire n’est que facultative dans cette situation lorsque les dettes ne sont pas connexes (art. 1348).

Le texte comporte une importante lacune en ce qu’il ne définit pas la connexité. Il ressort de la jurisprudence antérieure que la connexité résulte en substance d’une unité de source des obligations qui crée entre elles un lien d’interdépendance[7]. Il y a donc connexité, en premier lieu, entre deux créances réciproques issues d’un même contrat[8]. Il y a également connexité entre une créance issue directement d’un contrat et la créance de réparation issue de la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle suite à l’inexécution de ce contrat[9]. La jurisprudence a ensuite étendu la notion aux créances issues de deux contrats distincts, mais faisant partie d’un ensemble contractuel indivisible[10]. La connexité a enfin pu être retenue entre deux créances de réparation de nature extracontractuelle issues d’un même accident de la circulation[11]. La connexité est en revanche exclue lorsque les deux obligations ont une nature différente, par exemple entre une créance contractuelle et une créance de réparation résultant de la mise en œuvre de la responsabilité délictuelle[12]. Pour aller plus loin sur ces questions, on pourra utilement consulter le récent article de M. Frédéric Danos consacré à la connexité en matière de compensation[13].

La compensation conventionnelle (art. 1348-2). L’ordonnance consacre ici une pratique contractuelle ancienne et validée par les tribunaux. Les parties sont libres de décider de l’extinction de leurs obligations d’un commun accord dès lors que celles-ci sont disponibles ; la compensation est un mécanisme qui opère une double extinction de deux obligations réciproques ; les parties sont donc libres de déroger conventionnellement aux conditions de la compensation légale pour décider d’éteindre par compensation des obligations réciproques disponibles qui ne répondent pas aux conditions de la compensation légale. Les parties devraient ainsi pouvoir décider conventionnellement de la compensation de deux obligations réciproques non fongibles (par exemple une obligation de livrer une voiture et une obligation de livrer un camion).

Un arrêt de 2014 de la chambre commerciale semble avoir admis la possibilité d’une compensation conventionnelle entre deux dettes non réciproques issues d’un ensemble contractuel indivisible (l’une des parties était à la fois créancière et débitrice, mais de deux parties distinctes)[14]. Cet arrêt est toutefois inédit, sa portée est donc très incertaine. La formule du nouvel article 1348-2 semble par ailleurs rendre impossible le maintien d’une telle solution puisqu’il dispose que les parties peuvent librement convenir d’éteindre « toutes obligations réciproques ». La réciprocité des obligations est donc une condition de la compensation conventionnelle. Par ailleurs l’article 1348-1 prévoit que la connexité des obligations permet de contourner l’absence d’exigibilité ou de liquidité, mais le texte ne prévoit pas que la connexité permette de contourner l’absence de réciprocité des obligations. La connexité des obligations éteintes ferait ainsi partie de l’essence de la compensation.

Le texte indique enfin que la compensation conventionnelle prend effet à la date de l’accord ou, s’il s’agit d’obligations futures, à celle de leur coexistence. À défaut de précision contraire, on peut supposer qu’il s’agisse d’une disposition supplétive. En effet, on ne voit pas pourquoi les parties ne pourraient pas faire rétroagir la compensation conventionnelle, en précisant toutefois que cette rétroactivité ne pourrait pas nuire aux tiers, plus précisément à ceux ayant acquis un droit sur l’une des deux obligations compensées conventionnellement (la rétroactivité produirait alors ses effets inter partes).

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • L. Andreu, « L’extinction de l’obligation », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 86.
  • D. Robine, « Consolidation des ‘règles générales’ et consécration des ‘règles particulières’ de la compensation : un projet de réforme à parfaire », Dr. et patr. n° 249, juillet-août 2015, p. 59.

Notes de bas de page

[1] Cass. civ. 1re, 10 avr. 1973, n° 72-10.025.

[2] Cass. civ. 1re, 30 juin 1993, n° 91-16.162 : « Attendu que la compensation judiciaire peut s’opérer au moyen d’une demande reconventionnelle que forme la partie dont la créance ne réunit pas encore toutes les conditions requises pour la compensation légale et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle procède de la même cause que la demande principale ni même qu’elle se rattache à cette dernière par un lien suffisant ».

[3] Cass. civ. 3e, 20 nov. 2002, n° 00-14.423 : « Attendu que lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la demande de compensation au motif que l’une d’entre elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d’exigibilité ».

[4] Cass. com., 20 févr. 2007, n° 05-19.858 : « Mais attendu qu’ayant relevé que les créances réciproques étaient connexes, ce dont il résulte que l’effet extinctif de la compensation ordonnée était réputé s’être produit au jour de l’exigibilité de la première d’entre elles, c’est à bon droit que la cour d’appel a statué comme elle a fait ; que le moyen n’est pas fondé ».

[5] V. les deux notes de bas de page précédentes.

[6] Cass. civ. 3e, 12 juil. 1995, n° 93-18.182.

[7] F. Danos, « La connexité en matière de compensation », D. 2015, p. 1655.

[8] Cass. com., 11 mai 1960, Bull. civ. IV, n° 173.

[9] Cass. com., 27 janv. 2015, n° 13-18.656.

[10] Les arrêts en ce sens sont nombreux, V. par exemple Cass. com., 5 avr. 1994, n° 92-13.989.

[11] Cass. civ. 2e, 12 oct. 2000, n° 98-21.085.

[12] Cass. civ. 1re, 16 mai 2000, n° 97-16.628 ; Cass. com., 18 sept. 2007, n° 06-16.070.

[13] F. Danos, « La connexité en matière de compensation », D. 2015, p. 1655.

[14] Cass. com., 23 sept. 2014, n° 13-14.815, inédit.

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1348 à 1348-2 de la nouvelle sous-section 2 “Règles particulières” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre4/​chap4/​sect2/​sect2-compensation-regles-particulieres/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 19/07/2016.
Dernière mise à jour le 19/07/2016.