La cession de contrat n’est pas un mécanisme inconnu du droit français, mais il n’était jusqu’à maintenant reconnu que dans des hypothèses particulières, de surcroît ces cessions avaient souvent lieu à titre accessoire[1]. La possibilité de céder des contrats à titre autonome est – enfin, diront certains – reconnue de façon générale dans le droit commun des contrats. L’avant-projet d’ordonnance ne consacrait qu’un seul article fort lacunaire à la cession de contrat. L’ordonnance finale contient davantage de dispositions, mais celles-ci demeurent incomplètes ou imparfaites : elles sont loin de résoudre toutes les questions que ce mécanisme soulève.
Articles en vigueur au 1er octobre 2016 | Articles abrogés le 1er octobre 2016 |
Art. 1216.- Un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé.
Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la cession produit effet à l’égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu’il en prend acte. La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité. |
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Art. 1216-1.- Si le cédé y a expressément consenti, la cession de contrat libère le cédant pour l’avenir.
A défaut, et sauf clause contraire, le cédant est tenu solidairement à l’exécution du contrat. |
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Art. 1216-2.- Le cessionnaire peut opposer au cédé les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes. Il ne peut lui opposer les exceptions personnelles au cédant.
Le cédé peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant. |
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Art. 1216-3.- Si le cédant n’est pas libéré par le cédé, les sûretés qui ont pu être consenties subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.
Si le cédant est libéré, ses codébiteurs solidaires restent tenus déduction faite de sa part dans la dette. |
C’est une analyse unitaire de la cession de contrat qui est retenue (art. 1216, al. 1er). Selon la thèse moniste, qui était défendue notamment par Laurent Aynès, la cession de contrat s’analyse en une cession de la « position contractuelle ». Cette analyse est clairement celle retenue par l’ordonnance puisqu’il est question à l’article 1216, alinéa 1er, de cession de « la qualité de partie au contrat ». L’analyse dualiste ou distributive de la cession de contrat est donc rejetée[2], celle-ci consistait à analyser la cession de contrat en une double cession : une cession des créances de la partie cédante d’une part (soumise au régime de la cession de créances) et une cession des dettes de la partie cédante d’autre part (soumise au régime de la cession de dettes). La Cour de cassation, à défaut de dispositions légales reconnaissant de façon générale la validité des cessions de contrat, avait tendance jusqu’à maintenant à en retenir une analyse distributive. Si le litige consécutif à la cession de contrat concernait une créance, la Cour de cassation appliquait le régime de la cession de créance (les formalités de l’ancien article 1690 devaient donc être accomplies pour rendre la cession opposable aux tiers)[3]. Si le litige concernait une dette, la cession de dette n’étant guère plus reconnue en droit français, à l’époque, que la cession de contrat, la Cour de cassation appliquait alors, à défaut de mieux, le régime de la délégation, mécanisme qui se rapproche le plus de la cession de dette[4]. Ces difficultés ne se présenteront plus puisque la cession de contrat dispose désormais d’un régime propre distinct de celui de la cession de créance, de la cession de dette et de la délégation.
La cession de contrat est un contrat tripartite (art. 1216, al. 1er). L’accord du cocontractant cédé est en effet érigé en condition de validité de la cession[5], ce qui signifie que l’absence de son consentement est une cause de nullité de la cession. La cession de contrat n’est donc pas un décalque total de la cession de créance, puisque cette dernière est un contrat bipartite qui ne nécessite pas le consentement du débiteur cédé. L’idée qui sous-tend cette différence de régime est que la personne du créancier est en principe indifférente au débiteur[6] alors que la personne du cocontractant n’est en général pas indifférente pour l’autre partie.
Ainsi, en ce qui concerne ses conditions de validité, la cession de contrat s’approche davantage de la délégation que de la cession de créance. L’exigence de consentement du cocontractant cédé est toutefois assouplie par l’article 1216, alinéa 2, qui admet la possibilité que ce consentement soit donné de manière anticipée. Les parties pourront ainsi prévoir, en concluant le contrat, que celui-ci pourra être cédé. Dans ce cas, l’article prévoit que la cession de contrat deviendra opposable au cédé lorsqu’elle lui aura été notifiée[7] ou lorsqu’il en aura pris acte[8].
La cession de contrat est un contrat solennel, puisque la formalité de l’écrit est une condition de sa validité (art. 1216, al. 3 ; art. 1109, al. 2).
Le cédant n’est libéré pour l’avenir que si le cédé a expressément consenti à cette libération (art. 1216-1). On retrouve ici un régime proche de celui de la délégation novatoire. Le consentement du cédé à la libération du cédant doit donc être exprès et ne peut pas être confondu avec le consentement à la cession de contrat[9]. Même lorsque ce consentement est acquis, le texte prévoit qu’il ne libère le cédant que pour l’avenir[10] et s’écarte donc sur ce point du régime de la délégation novatoire. La délégation novatoire éteint l’obligation fondamentale, le délégant est donc entièrement libéré. La cession de contrat n’entraîne pas la disparition du contrat initial et la naissance d’un nouveau contrat, mais opère un transfert de la qualité de partie tout en maintenant le contrat. Le texte demeure malheureusement très imprécis : « la cession de contrat libère le cédant pour l’avenir » (art. 1216-1, al. 1er). Il n’indique pas le critère qui permet de distinguer les obligations qui restent à la charge du cédant de celles qui pèsent sur le seul cessionnaire. La jurisprudence sera probablement amenée à préciser ce point lorsque les parties n’auront pas elles-mêmes réglées cette question dans leurs stipulations. Imaginons par exemple un contrat de bail avec un loyer mensuel de 310 euros payable le 1er de chaque mois. Le contrat de bail est cédé le 15 janvier et le cédé consent expressément à la libération du cédant. Dans ce cas on peut penser que la part du loyer pour le mois de janvier dont restera tenu le cédant sera déterminée au prorata : le cédant restera débiteur de tous les loyers échus au cours des mois antérieur et, pour le mois de janvier, il sera redevable de 15 jours de loyer sur 31, soit, au prorata, 150 euros. Certaines situations seront plus délicates à trancher, comme par exemple celle de la restitution du dépôt de garantie dans le cadre d’un contrat de bail cédé par le bailleur. La Cour de cassation a jugé en 2004 que le cédant était seul tenu de restituer au cédé son dépôt de garantie[11]. La solution semble équitable : c’est le cédant qui a reçu la somme, il est équitable que ce soit à lui de la restituer. Pourtant cette solution ne coïncide pas nécessairement avec la formule de l’article 1216-1, alinéa 1er : la cession libère le cédant pour l’avenir, or l’obligation de restitution du dépôt de garantie ne naît qu’à compter du jour où le contrat de bail prend fin, elle devrait donc être à la charge du cessionnaire. En pratique, en matière immobilière, les notaires règlent expressément le sort du dépôt de garantie dans le contrat de vente de l’immeuble loué : le vendeur s’engage à remettre la somme à l’acquéreur[12] qui, en contrepartie, s’engage à la restituer au preneur à la fin du contrat de bail. En outre, en matière de baux d’habitation, l’article 22 in fine de la loi du 6 juillet 1989 règle expressément la question depuis une loi du 25 mars 2009 : « En cas de mutation à titre gratuit ou onéreux des locaux loués, la restitution du dépôt de garantie incombe au nouveau bailleur. Toute convention contraire n’a d’effet qu’entre les parties à la mutation. »
Si le cédé n’a pas expressément libéré le cédant, alors l’article 1216-1, alinéa 2, prévoit que le cédant est tenu solidairement à l’exécution du contrat. La solidarité fait alors office de garantie pour le cocontractant cédé : la cession de contrat lui offre un nouveau débiteur qui est tenu solidairement avec l’ancien. L’ordonnance est là encore très imprécise : aucune disposition ne détermine l’étendue des obligations du cessionnaire. On sait que le cédant reste tenu solidairement, mais on ne sait pas si le cessionnaire est tenu de toutes les obligations du contrat, y compris celles qui sont nées antérieurement à la cession, ou s’il n’est tenu que des obligations nées postérieurement à la cession.
La question cardinale de l’assiette de la cession de contrat n’est pas expressément réglée par l’ordonnance. La question est la suivante : le cessionnaire n’est-il tenu que des dettes nées postérieurement à la cession et n’est-il titulaire que des créances nées postérieurement à la cession, ou la cession de contrat transfère-t-elle également au cessionnaire toutes les créances et dettes nées antérieurement à la cession ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune disposition de l’ordonnance ne permet d’apporter une réponse ferme à cette question pourtant essentielle…
La distinction entre exceptions inhérentes à la dette et exceptions personnelles au cédant, classique en matière de cession de créance, est transposée à la cession de contrat (art. 1216-2, al. 1er). Le cessionnaire peut opposer au cédé les exceptions inhérentes à la dette, mais pas les exceptions personnelles au cédant. Le texte est loin de résoudre toutes les difficultés. L’expression « exception inhérente à la dette » n’est pas nécessairement la plus adaptée à la cession de contrat qui ne se résume pas à une cession de créance. On peut se demander si l’expression « exception inhérente au contrat » n’aurait pas été plus adéquate[13]. Ensuite le texte ne donne aucun exemple d’exception personnelle au cédant[14] et classe de manière générale la nullité dans les exceptions inhérentes à la dette. Est-ce à dire que les vices du consentement sont tous des exceptions inhérentes à la dette ? La solution serait différente de celle retenue par la jurisprudence en matière de contrat de cautionnement, la chambre mixte a en effet jugé que la nullité relative pour dol était une exception purement personnelle au débiteur principal et ne pouvait donc être invoquée par la caution[15].
Le texte énonce ensuite que le cédé peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant (art. 1216-2, al. 2). La formule est probablement un peu trop générale. Prise à la lettre, elle signifierait que le cédé pourrait opposer au cessionnaire une remise de dette consentie par le cédant après la cession de contrat : cela semblerait profondément inique. Il aurait été plus opportun de reprendre la même distinction que celle opérée par l’article 1216-2, alinéa 1er, à propos des exceptions que le cessionnaire peut opposer au cédé. La remise de dette consentie par le cédant après la cession serait ainsi considérée comme une exception personnelle : elle pourrait être opposée par le cédé au cessionnaire si elle a été consentie par le cédant avant la cession de contrat, elle ne pourrait pas lui être opposée si elle a été consentie par le cédant après la cession.
Le sort des sûretés (art. 1216-3). Les sûretés visent à garantir le créancier contre le non-paiement de l’obligation par le débiteur. Les garants s’engagent donc nécessairement en considération de la personne du débiteur, car en cas de défaillance de celui-ci ils devront payer le créancier. Il est donc logique que les sûretés soient maintenues lorsque la cession de contrat ne libère pas le cédant (art. 1216-3, al. 1er) : le cédant restant débiteur (désormais solidaire, art. 1216-1, al. 2), il n’y a aucune raison de libérer les garants. La cession de contrat ne fait, dans cette hypothèse, qu’ajouter un nouveau débiteur solidaire aux obligations du contrat (le cessionnaire) et augmente donc les chances que ces obligations soient exécutées[16].
La deuxième phrase de l’article 1216-3, alinéa 1er, précise ensuite que si la cession de contrat libère le cédant, alors « les sûretés consenties par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord ». Le texte est ambigu, il faut probablement entendre par là que les sûretés sont maintenues pour les obligations nées avant la cession, mais ne subsistent pour les obligations postérieures qu’avec l’accord des garants. Autrement dit, en cas de libération du cédant par la cession, les garants continuent de garantir les dettes dont est tenu le cédant (puisque le cédant n’est libéré que pour l’avenir, art. 1216-1, al. 1er), mais ne garantissent pas les dettes du cessionnaire, sauf s’ils y consentent. On remarque que le texte ne vise ici que les « sûretés consenties par des tiers », il faudrait donc en déduire, a contrario, que les sûretés consenties par le cédant sont maintenues y compris lorsque la cession libère le cédant (le cédant ne serait alors plus tenu vis-à-vis du cédé en tant que débiteur principal, mais demeurerait tenu à titre accessoire en tant que garant).
Enfin, le deuxième alinéa de l’article 1216-3 prévoit que « si le cédant est libéré, ses codébiteurs solidaires restent tenus déduction faite de sa part dans la dette ». Cette disposition, également ambiguë, vise l’hypothèse dans laquelle le contrat cédé contient plus de deux cocontractants dont certains sont tenus solidairement. Lorsque l’un des cocontractants solidaires décide de céder le contrat, les autres cocontractants solidaires bénéficient d’une remise partielle de solidarité dans le sens où ils ne sont plus tenus de la part du cédant qui a été transférée au cessionnaire. On peut se demander si cette remise partielle de solidarité ne concerne que les obligations nées postérieurement à la cession (ce qui serait logique) ou si elle s’étend également aux obligations nées antérieurement dont le cédant est toujours tenu (art. 1216-1, al. 1er). Quoi qu’il en soit, le texte précise que cette remise partielle de solidarité ne joue que dans l’hypothèse où la cession de contrat libère le cédant, à défaut ses cocontractants solidaires demeurent tenus solidairement avec le cédant.
Pour aller plus loin
(Bibliographie non exhaustive)
- L. Aynès, « La cession de contrat », Dr. et patr. n° 249, juillet-août 2015, p. 73.
- Ch. Gijsbers, « Les opérations translatives », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 76.
- R. Mortier, « La nouvelle cession de contrat au service des sociétés », Dr. sociétés 2016, comm. 51 (n° 4, p. 19).
- Ph. Simler, « Cession de créance, cession de dette, cession de contrat », Contrats, conc. consom. 2016, dossier 8 (n° 5, p. 42).
Notes de bas de page
[1] Ainsi la loi prévoit-elle la cession automatique du contrat de bail d’habitation entre le vendeur et l’acquéreur lorsque l’immeuble objet du bail est vendu : le contrat de bail est transféré en tant qu’accessoire de l’immeuble (art. 1743 du Code civil).
[2] Ce que le rapport remis au Président de la République confirme expressément.
[3] Cass. civ. 1re, 15 févr. 2009, n° 08-10.230 : « c’est à bon droit que l’arrêt retient qu’une cession de portefeuille s’analyse en une cession de contrats, c’est-à-dire une cession de créances, et non en une cession de clientèle comme le prétend la société Groupe Mercure ; qu’en énonçant qu’un tel acte était soumis aux formalités de l’article 1690 du code civil, qui exigent la signification du transport faite au débiteur, loin de violer ce texte, la cour d’appel en a au contraire fait l’exacte application ».
[4] Cass. civ. 3e, 12 décembre 2001, n° 00-15.627 : en l’espèce il s’agissait d’une substitution d’un tiers à l’une des parties par l’exercice d’une faculté conventionnelle de substitution, la Cour de cassation applique le régime de la délégation à cette substitution de partie.
[5] Si l’article 1216, alinéa 1er, pouvait faire hésiter entre condition d’efficacité et condition de validité, le rapport remis au Président de la République explique que l’accord du cocontractant cédé est une condition de validité de la cession. Cette dernière est donc nulle si le cocontractant cédé n’a pas donné son accord.
[6] Bien que cette affirmation puisse être contestée.
[7] La notification, ainsi que nous le verrons à propos de la cession de créance, ne doit pas nécessairement être effectuée par exploit d’huissier.
[8] Il y a prise d’acte lorsque le contractant cédé reconnaît qu’il a été informé de la cession de contrat. La prise d’acte devrait pouvoir être expresse comme tacite et résulter, par exemple, de l’exécution du contrat par le cédé au profit du cessionnaire.
[9] Le consentement du cédé à la cession de contrat entraîne uniquement la validité de la cession de contrat, elle ne libère aucunement le cédant. Pour que le cédant soit libéré, le cédé doit exprimer un deuxième consentement, distinct du premier et exprès, ayant cette fois pour objet la libération du cédant.
[10] Toutefois, rien n’empêche en principe le cédé de consentir également à libérer le cédant pour le passé, mais il faudra alors veiller à ce que cette volonté soit clairement exprimée.
[11] Cass. civ. 3e, 25 févr. 2004, n° 02-16.589.
[12] Solution logique puisque c’est l’acquéreur qui, à compter de la vente de l’immeuble, devient créancier des loyers et supporte donc le risque d’impayé.
[13] En ce sens : M. Mignot, « Commentaire article par article de l’ordonnance 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (V) », LPA 30 mars 2016, n° 64, p. 7 et s.
[14] On peut supposer que la compensation de dettes non connexes est une exception personnelle au cédant, puisque seule la compensation de dettes connexes est envisagée parmi les exceptions inhérentes à la dette.
[15] Cass. ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602.
[16] Uniquement pour les obligations nées postérieurement à la cession, puisque le cédant demeure seul tenu des obligations antérieures.