Présentation des articles 1196 à 1198 de la nouvelle sous-section 2 « Effet translatif »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

Une sous-section est consacrée à l’effet translatif du contrat. Elle synthétise les solutions dégagées par la jurisprudence sur la base de dispositions éparses. On note toutefois un changement théorique : le transfert de propriété n’est plus présenté comme l’exécution d’une obligation de donner[1], mais comme un effet légal du contrat, c’est-à-dire comme un effet attaché par la loi au contrat. La controverse était vive entre les partisans de l’obligation de donner et ses détracteurs[2]. Il n’est pas certain que la réforme marque la fin des débats dans la mesure où certaines dispositions introduites par l’ordonnance pourraient justifier que la jurisprudence continue de mobiliser la notion d’obligation de donner.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1196.- Dans les contrats ayant pour objet l’aliénation de la propriété ou la cession d’un autre droit, le transfert s’opère lors de la conclusion du contrat.

Ce transfert peut être différé par la volonté des parties, la nature des choses ou par l’effet de la loi.

Le transfert de propriété emporte transfert des risques de la chose. Toutefois le débiteur de l’obligation de délivrer en retrouve la charge à compter de sa mise en demeure, conformément à l’article 1344-2 et sous réserve des règles prévues à l’article 1351-1.

Art. 1138.- L’obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties contractantes.

Elle rend le créancier propriétaire et met la chose à ses risques dès l’instant où elle a dû être livrée, encore que la tradition n’en ait point été faite, à moins que le débiteur ne soit en demeure de la livrer ; auquel cas la chose reste aux risques de ce dernier.

 

Art. 1197.- L’obligation de délivrer la chose emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. Art. 1136.- L’obligation de donner emporte celle de livrer la chose et de la conserver jusqu’à la livraison, à peine de dommages et intérêts envers le créancier.

Art. 1137.- L’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables.

Cette obligation est plus ou moins étendue relativement à certains contrats, dont les effets, à cet égard, sont expliqués sous les titres qui les concernent.

Art. 1198.- Lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi.

Lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi.

Art. 1141.- Si la chose qu’on s’est obligé de donner ou de livrer à deux personnes successivement est purement mobilière, celle des deux qui en a été mise en possession réelle est préférée et en demeure propriétaire, encore que son titre soit postérieur en date, pourvu toutefois que la possession soit de bonne foi.

Art. 30, al. 1er, du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.- Les actes et décisions judiciaires soumis à publicité par application du 1° de l’article 28 sont, s’ils n’ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés, ou ont fait inscrire des privilèges ou des hypothèques. Ils sont également inopposables, s’ils ont été publiés, lorsque les actes, décisions, privilèges ou hypothèques, invoqués par ces tiers, ont été antérieurement publiés. [NB : l’ordonnance n’abroge pas cet article.]

Le transfert de propriété s’opère en principe solo consensu et de façon immédiate (art. 1196, al. 1er et 2). Il s’agit de deux questions distinctes, bien qu’elles soient souvent mélangées. Le transfert solo consensu signifie que la propriété est transférée par le seul échange des consentements : dès lors que les parties expriment la volonté de transférer la propriété, la loi attache cet effet à leur contrat sans qu’un formalisme quelconque doive être respecté. Le transfert immédiat de la propriété signifie que le transfert de propriété intervient en principe dès la conclusion du contrat. Ces deux principes, repris de l’ancien article 1138, sont supplétifs, les parties peuvent donc y déroger. Par exemple, en stipulant que le transfert de propriété interviendra au moment de la remise matérielle de la chose par le vendeur à l’acquéreur, les parties dérogent à la fois au principe du transfert solo consensu de la propriété (le transfert est conditionné à l’accomplissement d’une formalité : la remise matérielle de la chose, la traditio) et au principe du transfert immédiat. Autre exemple, en prévoyant que le transfert de propriété interviendra dix jours après la conclusion du contrat de vente, les parties dérogent au principe du transfert immédiat de la propriété, mais pas au principe du transfert solo consensu (la propriété sera transférée au bout de dix jours par le seul effet de la volonté des parties, sans que l’accomplissement d’une formalité quelconque soit nécessaire).

Les risques pèsent sur le propriétaire de la chose (res perit domino) ou, à titre exceptionnel, sur le débiteur si celui-ci a été mis en demeure de délivrer la chose (res perit debitori) (art. 1996, art. 1344-2). Le transfert de propriété étant en principe immédiat, les risques sont en principe immédiatement transférés à l’acquéreur : si la chose vient à périr, y compris avant qu’elle ne lui soit livrée, l’acquéreur devra néanmoins en payer le prix au vendeur, sauf si le vendeur avait été mis en demeure de délivrer la chose[3]. Il s’agit également d’une disposition supplétive de volonté, ce qui signifie que les parties peuvent y déroger en séparant la question du transfert de propriété de la question du transfert des risques. Ces règles sont classiques et découlaient notamment de l’ancien article 1138, alinéa 2.

Le débiteur de l’obligation de délivrer est responsable de la perte de la chose provoquée par sa faute (art. 1197). Le débiteur de l’obligation de délivrer a en effet l’obligation de conserver la chose jusqu’à sa délivrance en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable (ancien standard du bon père de famille). Ainsi si le propriétaire doit supporter les conséquences d’une perte de la chose par cas fortuit (res perit domino, art. 1196), il ne doit pas supporter les conséquences d’une perte de la chose provoquée par une faute du débiteur de l’obligation de délivrer (art. 1197). Là encore, la règle est classique, elle est reprise des anciens articles 1136 et 1137 dont la rédaction a été simplifiée.

L’article 1198 tranche les conflits entre ayants cause d’un même auteur revendiquant deux droits incompatibles sur un même bien. Les solutions antérieures sont derechef consacrées. En matière mobilière, l’alinéa 1er, faisant écho à l’article 2276 du Code civil, tranche le conflit en faveur de celui des deux acquéreurs qui entre le premier en possession du bien et ce quand bien même son contrat translatif de propriété serait postérieur, à condition toutefois qu’il soit de bonne foi. En matière immobilière, l’alinéa 2, faisant écho à l’article 30 du décret de 1955 régissant la publicité foncière, prévoit que celui des deux acquéreurs qui publie le premier son contrat translatif de propriété aux services de la publicité foncière est préféré, quand bien même son contrat serait postérieur, là aussi sous réserve de sa bonne foi. Cette dernière précision peut s’avérer lourde de conséquences : la Cour de cassation, dans le dernier état de sa jurisprudence, considérait que le second acquéreur d’un bien immobilier primait le premier s’il publiait son contrat de vente avant lui, même s’il avait eu connaissance de l’existence du premier contrat de vente au moment où il avait contracté (autrement dit, même s’il était de mauvaise foi), sauf collusion frauduleuse avec le vendeur. Il est probable que l’article 1198, alinéa 2, marque l’abandon de cette jurisprudence. Il faut toutefois noter que le rapport remis au Président de la République n’indique pas que le Gouvernement ait eu la volonté de briser cette jurisprudence et la Cour de cassation pourrait faire une interprétation extensive de la notion de bonne foi en cantonnant la mauvaise foi à l’hypothèse d’une collusion frauduleuse entre le vendeur et le second acquéreur. Une telle interprétation serait toutefois audacieuse, donc peu probable[4].

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • V. Streiff et C. Pommier, « Gestion des conflits entre acquéreurs successifs et publicité, la réforme du droit des contrats », JCP N 2016, 1170.

Notes de bas de page

[1] La typologie des obligations en fonction de leur objet (faire, ne pas faire ou donner) ayant par ailleurs été abandonnée (V. supra, art. 1101 et s.).

[2] V. par exemple le célèbre article de Muriel Fabre-Magnan, « Le mythe de l’obligation de donner », RTD civ. 1996, p. 85.

[3] Sauf hypothèse visée à l’article 1351-1.

[4] MM. Streiff et Pommier se sont posés cette question : « Est-ce à dire que la preuve de la mauvaise foi implique d’aller outre la démonstration de la seule connaissance qu’aurait le second acquéreur de l’existence de la première vente ? ». Ils estiment qu’une réponse négative est plus probable : « il ne nous semble donc pas nécessaire de vérifier si le second acquéreur a de surcroît entrepris des manœuvres, avec ou sans la complicité du vendeur. Si tel devait être le cas, c’est à une recherche élargie à la fraude aux droits du premier acquéreur, forme aggravée de la mauvaise foi, qu’il faudrait se livrer » (V. Streiff et C. Pommier, « Gestion des conflits entre acquéreurs successifs et publicité, la réforme du droit des contrats », JCP N 2016, 1170, spéc. nos 6 et 7).

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1196 à 1198 de la nouvelle sous-section 2 “Effet translatif” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre3/​stitre1/​chap4/​sect1/​ssect2-effet-translatif/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 29/06/2016.
Dernière mise à jour le 29/06/2016.