Les dispositions relatives à l’interprétation des contrats ont été modernisées. Les anciens articles 1158, 1159, 1160, 1163 et 1164, jugés inutiles ou peu utilisés par la jurisprudence, n’ont pas été conservés. L’ordonnance maintient ou crée néanmoins d’importantes zones d’ombre. Ainsi, rien n’est dit sur l’interprétation des actes unilatéraux et sur la force normative des nouveaux articles 1188 et suivants.
Articles en vigueur au 1er octobre 2016 | Articles abrogés le 1er octobre 2016 |
Art. 1188.- Le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. |
Art. 1156.- On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes. |
Art. 1189.- Toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier.
Lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. |
Art. 1161.- Toutes les clauses des conventions s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier. |
Art. 1190.- Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. | Art. 1162.- Dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation. |
Art. 1191.- Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun. | Art. 1157.- Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun. |
Art. 1192.- On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. |
Primauté est donnée à la recherche de l’intention des parties, mais avec un certain réalisme (art. 1188 et 1191). Le juge doit avant tout rechercher la commune intention des parties, sans s’arrêter au sens littéral des termes du contrat (art. 1188, al. 1er). Toutefois, cette quête de l’intention commune des parties s’avère parfois illusoire, car il existe une altérité irréductible entre les parties qui fait qu’elles peuvent avoir deux intentions différentes, divergentes. Il est aussi fréquent, notamment dans les contrats d’adhésion, qu’une clause soit rédigée par une partie, puis acceptée par l’autre alors qu’elle ne l’a pas véritablement lue[1]. Ainsi, lorsqu’il est impossible de déterminer l’intention commune des parties, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation (art. 1188, al. 2). L’article 1191 ajoute par ailleurs que « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun ». Ces textes reposent sur une présomption de rationalité des parties et devraient pouvoir être écartés lorsqu’il est établi que la commune intention des parties était de donner un sens différent à la clause que celui que lui aurait donné une personne raisonnable[2].
La difficile conciliation des articles 1188, alinéa 1er et 1192. Selon le premier texte, il faut rechercher la commune intention des parties sans s’arrêter au sens littéral des termes du contrat. Selon le second texte, on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. Les deux textes semblent ordonner des solutions antinomiques lorsqu’il est établi que l’intention commune des parties est différente des termes clairs et précis du contrat… à moins de considérer que le simple constat d’une divergence entre la réelle intention des parties et le sens littéral des termes du contrat rende ces derniers non clairs.
Le doute quant au sens à donner à une clause profite au débiteur dans les contrats de gré à gré et à celui qui a proposé le contrat dans les contrats d’adhésion (art. 1190). L’hypothèse dans laquelle le contrat d’adhésion ne serait pas rédigé par l’une des parties, mais par un tiers, est ainsi prise en compte : ce qui est déterminant n’est pas celui qui a rédigé le contrat d’adhésion, mais celui qui en a « proposé » la conclusion. On retrouve, pour les contrats d’adhésion, une règle similaire à celle prévue pour les contrats de consommation par l’article L. 133-2 du Code de la consommation.
Vidéo : La distinction entre les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion présentée par le Professeur Thierry Revet (7 min).
Les contrats d’un ensemble contractuel indivisible s’interprètent les uns par rapport aux autres (art. 1189, al. 2). C’est un autre élément classique du régime jurisprudentiel des ensembles contractuels indivisibles, avec celui de la caducité précédemment évoqué (art. 1186), qui est ici consacré.
Le texte ne règle pas la question, pourtant importante, de la force normative de ces directives d’interprétation. Les anciens articles 1156 et suivants étaient purement indicatifs pour les juges du fond : ceux-ci pouvaient choisir de s’en servir, ou pouvaient au contraire s’en écarter. Cela avait donné lieu à une formule devenue célèbre du doyen Carbonnier qui qualifiait ces dispositions de « petit guide-âne ». Le non-respect de ces règles par les juges du fond ne constituait donc pas un cas d’ouverture à cassation. Une limite s’imposait toutefois aux juges du fond dans leur office d’interprétation du contrat : la dénaturation. Les juges du fond ne pouvaient interpréter les clauses claires et précises d’un contrat, ce que la Cour de cassation contrôlait, la dénaturation étant un cas d’ouverture à cassation.
Selon le rapport remis au Président de la République, « l’article 1192 consacre la jurisprudence déjà ancienne de la Cour de cassation qui sanctionne la dénaturation de clauses claires et précises, par laquelle le juge refait le contrat en équité au prétexte de l’interpréter. Cette disposition rappelle l’importance de la force obligatoire du contrat et du respect de la volonté des parties. » On peut donc supposer que la Cour de cassation maintiendra son contrôle de la dénaturation et que l’article 1192 s’imposera par conséquent aux juges du fond. La question de la force normative des autres directives d’interprétation demeure en revanche entière.
Pour aller plus loin
(Bibliographie non exhaustive)
- G. Chantepie, « Interprétation du contrat (Projet, art. 1188 et 1189) », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 17 mars 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/03/17/interpretation-du-contrat-projet-art-1188-et-1189/ [consulté le 03/06/2016].
- G. Chantepie, « Interprétation du contrat (Projet, art. 1190 à 1193) », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 26 mars 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/03/26/interpretation-du-contrat-projet-art-1190-a-1193/ [consulté le 03/06/2016].
- A. Etienney-de Sainte Marie, « Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation », RDC 2016/2, p. 384.
- N. Ferrier, « La détermination par le juge du contenu du contrat », La réforme du droit des contrats : actes de colloque, 1ère Journée Cambacérès, 3 juillet 2015, Montpellier, Université de Montpellier, 2015, p. 109, spéc. p. 116-117.
- M. Mignot, « Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (IV) », LPA 22 mars 2016, n° 58, p. 6.
- R. de la Tour Jean, « Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation », RDC 2016/2, p. 392.
Notes de bas de page
[1] En principe on ne peut pas consentir à une clause dont on ne connait pas la teneur, en pratique il est très difficile de prouver qu’on n’a pas accepté une clause qui figure dans un écrit que l’on a signé…
[2] Cela est clairement le cas pour l’article 1188, al. 2, puisqu’il y a une subsidiarité entre la règle de l’alinéa 1er et celle de l’alinéa 2. Pour l’article 1191, c’est moins évident.