On enseigne traditionnellement que le consentement doit être libre et éclairé. Le consentement n’est pas libre lorsqu’il est contraint par la violence. Il n’est pas éclairé lorsqu’il a été donné par erreur ou surpris par dol. L’ordonnance conserve ces trois vices du consentement et étend considérablement le vice de violence à travers la notion nouvelle « d’abus de l’état de dépendance » (art. 1143) qui accueille notamment, mais pas seulement, la violence économique.
Articles en vigueur au 1er octobre 2016 | Articles abrogés le 1er octobre 2016 |
Art. 1130.- L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. |
Art. 1109.- Il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol. |
Art. 1131.- Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat. | V. supra, art. 1109. |
Art. 1132.- L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. | Art. 1110, al. 1er.- L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. |
Art. 1133.- Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.
L’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie. L’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité. |
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Art. 1134.- L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. | Art. 1110, al. 2.- Elle n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. |
Art. 1135.- L’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement.
Néanmoins l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité. |
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Art. 1136.- L’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. | |
Art. 1137.- Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. |
Art. 1116.- Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. |
Art. 1138.- Le dol est également constitué s’il émane du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant.
Il l’est encore lorsqu’il émane d’un tiers de connivence. |
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Art. 1139.- L’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat. | |
Art. 1140.- Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. | Art. 1112.- Il y a violence lorsqu’elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent.
On a égard, en cette matière, à l’âge, au sexe et à la condition des personnes. Art. 1113.- La violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. |
Art. 1141.- La menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. | |
Art. 1142.- La violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. | Art. 1111.- La violence exercée contre celui qui a contracté l’obligation est une cause de nullité, encore qu’elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. |
Art. 1143.- Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. | |
Art. 1144.- Le délai de l’action en nullité ne court, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé. | Art. 1117.- La convention contractée par erreur, violence ou dol, n’est point nulle de plein droit ; elle donne seulement lieu à une action en nullité ou en rescision, dans les cas et de la manière expliqués à la section VII du chapitre V du présent titre.
Art. 1304.- Dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. Ce temps court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts. Le temps ne court, à l’égard des actes faits par un mineur, que du jour de la majorité ou de l’émancipation ; et à l’égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu’il était en situation de les refaire valablement. Il ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle ou de la personne faisant l’objet d’une habilitation familiale que du jour du décès, s’il n’a commencé à courir auparavant. |
L’erreur, le dol et la violence ne sont des causes de nullité que lorsqu’ils sont déterminants du consentement (art. 1130). Le texte précise ce qui est entendu par « caractère déterminant » : il faut prouver que la victime de l’erreur, du dol ou de la violence, sans eux, « n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes » (art. 1130, al. 1er). Cela évoque notamment la distinction entre dol principal et dol incident qui étaient tous deux des causes de nullité dans la jurisprudence antérieure à la réforme[1] et qui le demeurent donc. Peu importe que l’absence de vice du consentement aurait conduit le contractant à ne pas contracter ou à contracter à des conditions différentes : dans les deux cas il n’aurait pas conclu le contrat dans les conditions dans lesquelles il a été conclu, le vice était donc bien déterminant du consentement tel qu’il a été donné.
Le texte contient toutefois une subtilité : le « vice incident »[2] n’est une cause de nullité que si la victime de ce vice aurait, en son absence, contracté à des conditions « substantiellement » différentes. Si cette condition peut se comprendre pour l’erreur, qui n’est pas imputable à un comportement moralement répréhensible du cocontractant, elle l’est moins en matière de dol ou de violence. En effet, l’annulation du contrat suite à un vice du consentement porte atteinte à la sécurité juridique du cocontractant dont le consentement n’était pas vicié. Lorsque le vice résulte d’une simple erreur, le cocontractant n’y est pour rien et on comprend donc que l’on cherche à le protéger en maintenant le contrat si l’erreur n’a eu qu’une incidence réduite sur le consentement de la partie qui en est victime (c’est-à-dire si, sans l’erreur, cette partie aurait tout de même conclu le contrat, à des conditions certes légèrement différentes, mais non substantiellement différentes). En revanche, en présence d’un dol ou d’une violence, il y a chez le cocontractant l’intention d’exploiter le vice du consentement à son avantage, le cocontractant ne mérite donc pas d’être protégé dès lors que ce vice a été déterminant du consentement, fût-ce de façon marginale. Peut-être faut-il voir dans cette règle une application de la maxime de minimis et une sorte d’analyse économique du droit : dissuader les parties de saisir les tribunaux pour obtenir l’annulation d’un contrat que la partie dont le consentement a été vicié aurait conclu à des conditions certes différentes, mais très proches, si son consentement n’avait pas été vicié.
L’article 1130, alinéa 2, semble inviter à réaliser une appréciation in concreto du caractère déterminant du vice.
Les vices du consentement sont une cause de nullité relative (art. 1131). L’ordonnance consacre dans le Code civil la théorie moderne des nullités (V. infra, art. 1179 et s.). Les vices du consentement sont donc, sans surprise, une cause de nullité relative du contrat : cette nullité a pour finalité la protection de la partie dont le consentement a été vicié, et non la protection de l’intérêt général.
Le délai de l’action en nullité ne court, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé (art. 1144). L’ordonnance se contente ici de reprendre le point de départ flottant du délai de prescription de l’ancien article 1304.
Le régime de l’erreur de droit évolue (art. 1132). La jurisprudence antérieure admettait la nullité pour erreur de droit, mais son régime était incertain. Dans une affaire où le propriétaire d’un immeuble avait formulé une offre de vente à son occupant en pensant, à tort, que celui-ci était titulaire d’un droit légal de préemption, la Cour de cassation avait cassé l’arrêt d’appel qui avait exclu la nullité de l’offre en raison du caractère inexcusable de l’erreur de droit commise par le pollicitant. Selon la Cour de cassation, « le caractère inexcusable de l’erreur de droit à l’origine de la notification du droit de préemption est sans incidence sur la validité de l’offre »[3]. Ainsi, l’erreur de droit, même inexcusable, entraînait la nullité de l’offre. L’interprétation de l’arrêt était toutefois rendue délicate par son visa (anc. art. 1109 du Code civil, et non anc. art. 1110) et par le fait que la nullité ne visait pas directement le contrat en l’espèce, mais l’offre (acte unilatéral).
Le nouvel article 1132 soumet l’erreur de droit au même régime que l’erreur de fait. L’erreur de droit doit donc être excusable, ce qui rompt avec la solution de l’arrêt de 2010 précité. Rappelons que l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » ne rend aucunement l’erreur de droit systématiquement inexcusable : la portée de cet adage est en réalité très restreinte en droit positif et signifie simplement qu’une personne ne peut exciper de son ignorance d’une règle de droit pour échapper à sa sanction. L’erreur de droit doit par ailleurs porter sur les qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant. Ainsi, si l’erreur porte sur une règle légale, il faudra démontrer qu’elle a eu une incidence sur la représentation que se faisait la partie des qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant. Cette exigence devrait réduire le champ de la nullité pour erreur de droit.
La notion d’erreur sur la substance est abandonnée au profit de celle d’erreur sur les qualités essentielles de la prestation (art. 1132 et 1133). Le texte précise que l’erreur doit porter sur les qualités essentielles de la prestation « expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ». Il ne faut pas entendre par là que l’erreur doit avoir été partagée par les deux parties, ce qui serait une exigence très restrictive. La volonté du Gouvernement[4] était de mettre fin au débat sur la conception subjective ou objective des « qualités substantielles » de la chose objet du contrat[5]. Il n’est donc pas nécessaire que l’erreur ait été partagée par toutes les parties, mais elle doit porter sur une qualité essentielle de la prestation qui est entrée dans le champ contractuel.
L’alinéa 2 de l’article 1133 indique maladroitement que l’erreur d’une partie peut porter sur les qualités essentielles de sa propre prestation (prestation dont elle est débitrice), aussi bien que sur les qualités essentielles de la prestation de l’autre partie (prestation dont elle est créancière).
L’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité (art. 1133, al. 3). Ce point a fait l’objet d’une jurisprudence abondante relative à l’authenticité des œuvres d’art et, plus récemment, à la constructibilité des terrains[6]. L’ordonnance consacre cette jurisprudence : une partie qui a accepté l’aléa sur une qualité essentielle de la prestation ne peut solliciter la nullité du contrat pour erreur lorsque l’incertitude se dissipe postérieurement à la conclusion du contrat.
L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus intuitu personae, c’est-à-dire dans les contrats conclus en considération de la personne du cocontractant (art. 1134). Sur ce point l’ordonnance se contente de reprendre la règle de l’ancien article 1110, alinéa 2.
Le régime jurisprudentiel de l’erreur sur les motifs est consacré (art. 1135, al. 1er). La Cour de cassation a par exemple affirmé dans un arrêt de 2012 que « l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant, à moins qu’une stipulation expresse ne l’ait fait entrer dans le champ contractuel en l’érigeant en condition du contrat »[7]. L’article 1135, alinéa 1er, ne fait que reprendre cette solution.
La nullité pour absence de cause des contrats à titre gratuit est remplacée par une nullité pour erreur sur les motifs (art. 1135, al. 2). La Cour de cassation jugeait en effet que la cause objective d’une libéralité résidait dans le motif déterminant ayant motivé l’intention libérale[8], ce qui permettait, en cas d’erreur sur les motifs, de prononcer la nullité de la libéralité pour absence de cause sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil. Le Gouvernement a voulu supprimer la notion de cause, tout en conservant ses fonctions, on en a ici une illustration. C’est la raison pour laquelle l’article 1135, alinéa 2, prévoit que la nullité pour erreur sur les motifs peut être obtenue en matière de libéralités y compris si l’auteur de la libéralité n’a pas expressément fait entrer ces motifs dans le champ contractuel.
L’erreur sur la valeur n’est pas une cause de nullité du contrat, sauf si elle résulte d’une erreur sur les qualités essentielles de la prestation (art. 1136). Par exemple, si un contractant pensait acheter un chandelier en or massif, alors qu’il était seulement plaqué or, il y a certes une erreur sur la valeur, mais qui résulte d’une erreur sur les qualités essentielles de la prestation, la nullité pour erreur peut donc être admise. En revanche, si une personne achète un chandelier en or massif pour 10 000 euros, et qu’elle découvre plus tard qu’il n’en valait que 5 000, elle ne pourra pas obtenir la nullité du contrat de vente car il n’y a eu aucune erreur sur les qualités essentielles de la prestation, l’erreur portait exclusivement sur la valeur de la prestation. L’article 1136 ne fait que consacrer une solution jurisprudentielle classique[9].
Le dol est une erreur provoquée par des manœuvres positives stricto sensu, par des mensonges ou par la dissimulation intentionnelle d’une information par le cocontractant (art. 1137). L’élément intentionnel (l’intention de provoquer l’erreur du cocontractant) ainsi que l’élément matériel (manœuvre, mensonge ou réticence) sont maintenus.
L’auteur du dol (art 1138). L’article 1137 rappelle que le dol doit en principe émaner du cocontractant (V. anc. Art. 1116). Le dol émanant d’un tiers n’est donc pas, en principe, une cause de nullité mais devrait, comme auparavant, permettre d’engager la responsabilité civile délictuelle du tiers. L’article 1138 consacre la jurisprudence selon laquelle le représentant d’une partie[10] ou celui qui s’est porté fort d’une partie[11] ne sont pas considérés comme des tiers. L’ordonnance va plus loin en étendant ces solutions au gérant d’affaire et au préposé d’une partie ainsi qu’au tiers de connivence.
La réticence dolosive, invention de la jurisprudence, est consacrée dans le Code civil, mais ses conditions évoluent (art. 1137, al. 2). La réticence dolosive nécessitait auparavant la preuve de la violation volontaire par une partie d’une obligation d’information dans l’intention de provoquer l’erreur chez son cocontractant. L’exigence de la violation d’une obligation d’information est abandonnée. Il peut donc y avoir réticence dolosive en l’absence de toute obligation d’information, l’accent étant désormais mis sur l’élément intentionnel : il faut démontrer que le contractant a sciemment dissimulé une information dont il connaissait le caractère déterminant pour l’autre partie. Ce découplage de la réticence dolosive et de l’obligation d’information précontractuelle n’est pas anodin. En effet, l’obligation d’information de l’article 1112-1 ne s’applique pas à la valeur des prestations et ne s’applique qu’aux informations que l’autre partie pouvait « légitimement ignorer ». On ne retrouve pas ces exigences à l’article 1137, alinéa 2 : dès lors qu’une partie a intentionnellement gardé le silence afin de provoquer l’erreur chez son cocontractant, il suffira de prouver que l’information tue était déterminante du consentement de ce dernier, peu important que l’erreur soit inexcusable (le dol rend l’erreur toujours excusable[12]) ou que l’erreur porte sur la valeur. La nullité devrait donc pouvoir être obtenue lorsque l’acquéreur, qui connaissait la valeur réelle du bien vendu, n’a pas communiqué cette information au vendeur alors qu’il savait qu’il s’agissait d’une information déterminante de son consentement. La jurisprudence Baldus[13] semble donc fortement compromise. La Cour de cassation a en effet jugé que « l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis »[14], mais l’existence d’une obligation d’information n’étant plus une condition de la nullité pour réticence dolosive, celle-ci devrait pouvoir être admise lorsque l’information sciemment dissimulée porte sur la valeur du bien vendu…
Ce faisant, l’ordonnance consacre indirectement, à travers cette nouvelle notion de réticence dolosive, une nouvelle obligation d’information beaucoup plus large que celle de l’article 1112-1. En effet, le contrat pouvant être annulé sur le fondement de l’article 1137, alinéa 2, lorsqu’une partie n’a pas communiqué à son contractant une information qu’elle savait déterminante de son consentement, cela oblige le contractant à transmettre cette information s’il ne veut pas s’exposer à la sanction de la nullité, quand bien même cette information porterait sur la valeur et quand bien même l’erreur du cocontractant serait inexcusable[15]. Mme Garance Cattalano-Cloarec, Professeur à l’université d’Orléans et intervenante à l’IEJ Jean Domat de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, explique ce paradoxe dans la vidéo ci-dessous. [Le contenu de la vidéo n’étant plus d’actualité à la suite de l’adoption de la loi de ratification du 20 avril 2018, la vidéo a été retirée à la demande de l’auteure.]
Le dol rend l’erreur toujours excusable et le dol est une cause de nullité même lorsque l’erreur provoquée porte sur la valeur ou sur un motif extérieur au contrat (art. 1139). Ces deux principes, dégagés par la jurisprudence, sont classiques. Lorsqu’une partie est victime d’une erreur, la nullité du contrat permet de protéger son consentement, mais elle porte atteinte à la sécurité juridique de l’autre partie, c’est pourquoi l’action en nullité est restreinte par certaines conditions : l’erreur ne doit pas porter sur la valeur ou sur un motif extérieur au champ contractuel et elle ne doit pas être imputable à une légèreté blâmable du contractant (erreur inexcusable). En matière de dol la donne est différente puisque l’une des parties a adopté un comportement blâmable en provoquant et/ou en exploitant intentionnellement l’erreur de son cocontractant, il n’y a donc plus aucune raison de préserver sa sécurité juridique : le contrat est nul pour dol y compris si l’erreur était inexcusable ou si elle portait sur des motifs extérieurs au contrat ou sur la valeur de la prestation.
L’ancienne définition légale de la violence a été modernisée (art. 1140). L’ancien article 1112, alinéa 1er, invitait à procéder à une appréciation in abstracto de la violence en recherchant si elle était de nature à faire une impression sur « une personne raisonnable ». Mais l’alinéa 2, commandant de prendre en compte l’âge, le sexe et la condition des personnes, semblait au contraire commander de faire une appréciation in concreto de la violence… Le nouvel article 1140 supprime cette contradiction et opte pour une appréciation in concreto, comme l’avait fait la Cour de cassation antérieurement. On note que la référence surannée au sexe des contractants est abandonnée, cette référence sous-entendait qu’une personne de sexe féminin serait plus facilement impressionnée qu’une personne de sexe masculin.
La menace d’une voie de droit n’est pas une violence, sauf deux exceptions (art. 1141). Elle est constitutive d’une violence lorsqu’il y a abus de droit, c’est-à-dire lorsque la voie de droit est détournée de son but, ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. L’ordonnance se contente ici de reprendre une solution jurisprudentielle antérieure[16].
La violence est une cause de nullité même lorsqu’elle émane d’un tiers (art. 1142). La solution peut paraître inique pour le cocontractant lorsque la violence émane d’un tiers, car il a à subir les conséquences (l’annulation du contrat) d’une faute qu’il n’a pas commise. La règle est toutefois classique, l’ordonnance se contente ici de reprendre la substance de l’ancien article 1111.
La violence économique est consacrée et étendue à travers la notion nouvelle « d’abus de l’état de dépendance » (art. 1143). Bien que les arrêts soient rares, la possibilité d’une violence économique semblait acquise dans la jurisprudence antérieure à l’ordonnance. En effet, par un arrêt de 2000, la Cour de cassation a très clairement admis la possibilité d’une nullité pour violence (contrainte) économique[17], et par un arrêt de 2002 elle a précisé que la constatation d’une situation de dépendance économique n’était pas une condition suffisante et qu’il fallait par ailleurs établir que le cocontractant avait exploité abusivement cet état de dépendance[18]. La possibilité de caractériser une violence résultant de l’exploitation abusive d’un état de nécessité autre qu’économique était en revanche plus discutée, les arrêts étant encore plus rares. Au-delà de quelques arrêts des juges du fond, on pouvait citer un arrêt de la chambre des requêtes du 27 avril 1887 admettant le vice de violence en matière d’assistance maritime : un navire avait proposé son assistance à un autre et le capitaine de ce dernier n’avait eu d’autre choix que d’accepter l’offre, l’alternative étant de laisser son navire sombrer.
L’article 1143 dissipe ces incertitudes en consacrant la jurisprudence relative à la violence économique et en l’étendant plus généralement à tout « état de dépendance », ce qui ne se limite pas à l’état de dépendance économique. Afin de garantir une certaine sécurité juridique, le texte prévoit des conditions relativement strictes : il ne suffit pas de prouver l’état de dépendance d’une partie, il faut également démontrer que le cocontractant a abusé de cet état. Pour ce faire, deux conditions cumulatives sont exigées : il faut prouver que le cocontractant a obtenu de la partie se trouvant dans un état de dépendance un engagement qu’elle n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et qu’il en a tiré un avantage manifestement excessif. Ainsi il ne suffit pas de prouver, pour obtenir la nullité d’un contrat d’assistance maritime, que la seule alternative à l’acceptation du contrat d’assistance était, pour le capitaine, de laisser son navire sombrer et qu’il n’aurait pas conclu le contrat si cet état de dépendance n’avait pas existé. Il faut également démontrer que le cocontractant a abusé de cette situation en imposant des stipulations qui lui ont permis de retirer du contrat un « avantage manifestement excessif ». Ce dernier critère laisse la possibilité pour une partie d’exploiter l’état de nécessité de l’autre, cela est toléré tant que l’avantage tiré de cet état de nécessité n’est pas « manifestement excessif ». Là encore, la volonté est d’assurer la sécurité juridique des transactions, car les contrats conclus sous une forme plus ou moins forte de contrainte sont en pratique nombreux. On pourrait par exemple défendre l’idée qu’il existe un état de dépendance, dans le contexte économique actuel, entre le salarié qui cherche un emploi et l’employeur qui lui propose la conclusion d’un contrat de travail…
Pour aller plus loin
(Bibliographie non exhaustive)
- H. Barbier, « La violence par abus de dépendance », JCP G 2016, 421.
- D. Cuba et J. Dugne, « L’abus de faiblesse », La réforme du droit des contrats : actes de colloque, 1ère Journée Cambacérès, 3 juillet 2015, Montpellier, Université de Montpellier, 2015, p. 233.
- F. Dournaux, « La réforme des vices du consentement », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 57.
- M. Fabre-Magnan, « Le devoir d’information dans les contrats : essai de tableau général après la réforme », JCP G 2016, 706.
- C. Grimaldi, « Quand une obligation d’information en cache une autre : inquiétudes à l’horizon… », D. 2016, p. 1009.
- G. Guerlin, « Le dol (définition) », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 8 avr. 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/04/08/le-dol-definition/ [consulté le 03/06/2016].
- J.-F. Hamelin, « L’erreur sur les motifs », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 14 avr. 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/04/14/lerreur-sur-les-motifs/ [consulté le 03/06/2016].
- M. Latina, « La violence », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 11 mars 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/03/11/la-violence/ [consulté le 03/06/2016].
- G. Loiseau, « La consécration de la violence économique », Réforme du droit des contrats et pratique des affaires, dir. Ph. Stoffel-Munck, Dalloz, 2015, p. 33.
- G. Loiseau, « Les vices du consentement », Contrats, conc. consom. 2016, dossier 3 (n° 5, p. 16).
Notes de bas de page
[1] Cass. com., 30 mars 2016, n° 14-11.684.
[2] Si l’on peut s’exprimer ainsi, par analogie avec le dol incident.
[3] Cass. civ. 3e, 20 oct. 2010, n° 09-66.113.
[4] V. le Rapport remis au Président de la République.
[5] À propos de ce débat, V. Ch. Larroumet et S. Bros, Traité de droit civil, t. 3, Les obligations, Le contrat, 7e éd., Economica, 2014, p. 305 et s., nos 341 et s.
[6] V. par exemple Cass. civ. 3e, 13 nov. 2014, n° 13-24.027. En l’espèce un couple avait acquis un terrain en sachant qu’il était partiellement inconstructible car partiellement inondable. Postérieurement à la vente, le terrain avait été placé intégralement en zone non constructible. La Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir écarté la nullité pour erreur car les acheteurs « ne pouvaient ignorer l’enquête publique ordonnée dans le cadre de la révision du plan de prévention des risques naturels d’inondation », ils avaient donc nécessairement accepté l’aléa quant à la constructibilité du terrain, ou à défaut leur erreur était inexcusable car ils auraient dû avoir connaissance de cet aléa.
[7] Cass. com., 11 avr. 2012, n° 11-15.429.
[8] Cass. civ. 1re, 6 oct. 1959 ; D. 1960, p. 515, note Ph. Malaurie.
[9] Cass. com., 26 mars 1974, n° 72-14.791.
[10] Cass. civ. 3e, 29 avr. 1998, n° 96-17.540.
[11] Cass. com., 27 févr. 1996, n° 94-11.241.
[12] Le comportement des deux contractants est ici moralement répréhensible : une partie a fait preuve d’une légèreté blâmable en ne cherchant pas à s’informer alors qu’une personne normalement prudente et diligente l’aurait fait, l’autre a eu la volonté d’induire en erreur son cocontractant. Une faute semble toutefois plus grave que l’autre : la faute intentionnelle est traditionnellement considérée comme plus grave que la faute d’imprudence, ce qui explique que l’article 1137, al. 2, fasse primer les intérêts du cocontractant ayant commis une erreur inexcusable par rapport à ceux de l’autre partie qui a sciemment exploité cette erreur inexcusable pour obtenir la conclusion du contrat.
[13] Cass. civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-11.381.
[14] Cass. civ. 3e, 17 janvier 2007, n° 06-10.442.
[15] C. Grimaldi, « Quand une obligation d’information en cache une autre : inquiétudes à l’horizon… », D. 2016, p. 1009.
[16] Cass. civ. 3e, 17 janv. 1984, n° 82-15.753.
[17] Cass. civ. 1re, 30 mai 2000, n° 98-15.242 : « Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
[18] Cass. civ. 1re, 3 avr. 2002, n° 00-12.932 : « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (rendu au visa de l’ancien article 1112).