La cession de dette à titre autonome n’existait pas dans le droit commun. Il existait des mécanismes permettant de s’en approcher, comme la délégation novatoire, mais ces mécanismes n’opéraient jamais un transfert de la dette (dans la délégation novatoire, la dette du délégant est éteinte et une nouvelle dette est créée à la charge du délégué). La cession de dette est donc un apport majeur de l’ordonnance. Il ne faut toutefois pas exagérer la portée de cette nouveauté qui reste timorée à bien des égards.
Articles en vigueur au 1er octobre 2016 | Articles abrogés le 1er octobre 2016 |
Art. 1327.- Un débiteur peut, avec l’accord du créancier, céder sa dette. | |
Art. 1327-1.- Le créancier, s’il a par avance donné son accord à la cession ou n’y est pas intervenu, ne peut se la voir opposer ou s’en prévaloir que du jour où elle lui a été notifiée ou dès qu’il en a pris acte. | |
Art. 1327-2.- Si le créancier y consent expressément, le débiteur originaire est libéré pour l’avenir. A défaut, et sauf clause contraire, il est tenu solidairement au paiement de la dette. | |
Art. 1328.- Le débiteur substitué, et le débiteur originaire s’il reste tenu, peuvent opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes. Chacun peut aussi opposer les exceptions qui lui sont personnelles. | |
Art. 1328-1.- Lorsque le débiteur originaire n’est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.
Si le cédant est déchargé, ses codébiteurs solidaires restent tenus déduction faite de sa part dans la dette. |
Point terminologique. La cession de dette est une opération tripartite qui implique un créancier et deux débiteurs. Pour distinguer les deux débiteurs, l’ordonnance utilise les expressions débiteur originaire et débiteur substitué. L’expression débiteur substitué n’est pourtant pas toujours pertinente. Nous verrons en effet que les deux débiteurs restent en principe tenus solidairement de la dette (art. 1327-2), c’est-à-dire qu’ils sont tous deux tenus à titre principal, il n’y a donc pas de substitution de débiteur à strictement parler lorsque le créancier n’a pas expressément déchargé le débiteur originaire.
On notera que l’article 1328-1, alinéa 2, est le seul à utiliser le terme cédant pour désigner le débiteur originaire. On pourrait, selon la même logique, qualifier le débiteur substitué de cessionnaire.
La cession de dette nécessite l’accord du créancier (art. 1327 et 1327-1). Cette prudence du législateur peut sembler excessive dans la mesure où la cession de dette n’a pas, en principe, pour effet de libérer le débiteur. La cession apporte seulement au créancier un nouveau débiteur qui est tenu solidairement avec l’ancien (V. infra, art. 1327-2).
Le créancier peut donner son accord par avance (par exemple par une clause du contrat qui fait naître la dette) ou même après que le débiteur substitué et le débiteur substituant ont convenu de la cession, puisque l’article 1327-1 envisage l’hypothèse dans laquelle le créancier « prend acte » de la cession.
Il ne fait guère de doute que les consentements du débiteur originaire et du débiteur substitué sont requis, la cession de dette répond donc à la définition du contrat énoncée à l’article 1101. Le fait que l’accord du créancier soit érigé par l’article 1327 en condition de validité de l’opération pourrait en faire un contrat tripartite. Toutefois la formule de l’article 1327-1 peut en faire douter puisqu’elle envisage l’hypothèse dans laquelle le créancier « n’est pas intervenu » à la cession. La cession de dette pourrait ainsi s’analyser en un contrat bipartite nécessitant l’accord du créancier pour être efficace.
Date d’opposabilité de la cession de dette au créancier (art. 1327-1). Si le créancier est intervenu à l’acte de cession pour donner son accord, la cession lui est évidemment opposable dès sa conclusion. S’il a donné son accord par avance, la cession doit lui être notifiée pour lui être rendue opposable, ou il doit en prendre acte. S’il donne son accord a posteriori, sous la forme d’une prise d’acte, la cession lui devient opposable au jour de la prise d’acte.
Le débiteur originaire et le débiteur substitué sont en principe tenus solidairement de la dette vis-à-vis du créancier (art. 1327-2). Le créancier peut demander paiement au codébiteur solidaire de son choix (art. 1313, al. 2). Ainsi, dans ce schéma, on n’a pas de cession de dette stricto sensu, car la dette n’est pas transférée, du moins pas sur un plan externe. L’opération conduit à offrir un nouveau codébiteur solidaire au créancier et constitue donc une garantie pour le créancier (au stade de l’obligation à la dette), plus qu’une cession. S’il y a une cession de dette, elle est purement interne, car la charge finale de la dette reposera sur le débiteur « substitué » (au stade de la contribution à la dette)[1].
Le débiteur originaire est libéré si le créancier y consent expressément (art. 1327-2). Il faut donc un consentement distinct du consentement donné à la cession (consentement évoqué à l’article 1327) et ce consentement ne peut être tacite, car il emporte des effets graves pour le créancier : il ne pourra plus agir contre le débiteur originaire, même si le débiteur substitué est insolvable. Ce n’est en réalité que lorsque le débiteur originaire est libéré que l’on a un véritable transfert total de la dette, donc une véritable cession de dette.
Le créancier peut, sans libérer le débiteur originaire, consentir à ce que la solidarité soit écartée (art. 1327-2). Le texte précise en effet que le débiteur originaire, s’il n’est pas expressément libéré par le créancier, est tenu solidairement au paiement de la dette « sauf clause contraire ». Si la solidarité est écartée, l’obligation ne peut être que conjointe, ce qui signifie que le créancier doit diviser ses recours, chaque codébiteur n’étant tenu que de sa part (art. 1309, al. 2), sauf si la dette est indivisible (dans quel cas il est peu utile d’écarter la solidarité, puisque l’indivisibilité produit des effets très proches et même plus radicaux à certains égards). On ne voit ainsi pas bien l’intérêt pour les parties d’écarter conventionnellement la solidarité : cela conduirait en réalité, sauf indivisibilité de la dette, à une cession partielle de la dette. Si les parties veulent procéder à une cession partielle de dette, il semble plus simple d’opérer ab initio une cession partielle de dette avec libération du cédant plutôt que de procéder à une cession totale de dette en stipulant que la solidarité est écartée et en stipulant les parts respectives du débiteur originaire et du débiteur substitué dans l’obligation conjointe…
Le texte signifie peut-être que les parties peuvent prévoir que le débiteur originaire reste tenu en tant que garant et non en tant que codébiteur. Le débiteur originaire ne serait alors tenu que d’une obligation accessoire ce qui lui permettrait notamment d’invoquer le bénéfice de discussion (le créancier serait contraint de poursuivre vainement le créancier substitué avant d’assigner le débiteur originaire).
Quoi qu’il en soit, cette « clause contraire » doit évidemment être acceptée par les trois parties à l’opération pour être efficace.
Le régime de l’opposabilité des exceptions (art. 1328). Comme pour la cession de créance (art. 1234, al. 2), le texte distingue les exceptions inhérentes à la dette, dont il donne des exemples, des exceptions personnelles. Le débiteur substitué peut évidemment opposer au cessionnaire toutes les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité de la dette ou l’exception d’inexécution si la dette est issue d’un contrat synallagmatique et que le créancier n’exécute pas ses obligations à l’égard du débiteur originaire. Le texte prévoit que le débiteur substitué peut également opposer au créancier les exceptions qui lui sont personnelles, telles que la nullité de la cession de dette. Le texte semble en revanche lacunaire en ce qu’il prévoit les mêmes règles d’opposabilité des exceptions lorsque le débiteur originaire demeure tenu solidairement. Or il serait plus opportun, dans cette hypothèse, de renvoyer aux règles d’opposabilité des exceptions propres à la solidarité passive (art. 1315). En effet, l’article 1328 suggère que la compensation de dettes non connexes est une exception personnelle, en ne visant que la compensation de dettes connexes comme exemple d’exception inhérente à la dette. Le débiteur substitué ne pourrait donc pas opposer au créancier la compensation intervenue entre la dette et une créance du débiteur originaire. Pourtant, on ne voit pas pourquoi le débiteur substitué ne pourrait pas profiter de cette compensation si elle est intervenue avant la cession de dette ou si elle est intervenue après la cession mais que le débiteur originaire demeurait tenu solidairement (V. l’art. 1315).
Le sort des sûretés (art. 1328-1, alinéa 1er). Les garants s’engagent nécessairement intuitu personae, c’est-à-dire en considération de la personne du débiteur, car le risque qu’ils supportent (le non-paiement de l’obligation) est plus ou moins important selon la personne du débiteur. L’article 1328-1, alinéa 1er, 2e phrase, prévoit donc logiquement que les sûretés consenties par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord lorsque le débiteur originaire est déchargé par le créancier : si le débiteur substitué a une situation économique moins viable que celle du débiteur originaire, les garants courent un risque plus important. A contrario, si le débiteur originaire n’est pas expressément déchargé par le créancier, il demeure tenu solidairement avec le débiteur substitué (art. 1327-2). Dans cette hypothèse la situation des garants est en réalité améliorée : les chances que le créancier soit payé sont augmentées puisque la cession de dette lui offre un second débiteur. Le risque supporté par les garants diminue, il n’y a donc aucune raison de les décharger, c’est ce que prévoit l’article 1328-1, alinéa 1er, 1re phrase. Dans le silence du texte, on peut supposer que les garanties consenties par le débiteur originaire ne sont pas éteintes par la cession de dette, sauf, vraisemblablement, clause contraire.
Le sort des codébiteurs solidaires (art. 1328-1, alinéa 2). Si l’obligation était solidaire (solidarité passive) et que l’un des codébiteurs solidaires effectue une cession de dette acceptée par le créancier, alors les effets de cette cession sur les codébiteurs solidaires varient selon que le débiteur cédant est déchargé ou non.
Si le débiteur cédant n’est pas libéré, ce qui est le principe (art. 1327-2), alors la situation des codébiteurs solidaires demeure inchangée. La logique est la même que pour les sûretés : la cession de dette ne fait dans ce cas qu’augmenter les chances que le créancier soit payé, puisqu’elle lui ajoute un nouveau débiteur sans lui en retirer un, elle n’augmente donc pas le risque supporté par les codébiteurs solidaires.
Si le créancier libère expressément le débiteur cédant, alors il est possible que la situation des codébiteurs solidaires soit aggravée : le codébiteur substitué peut être moins solvable que le débiteur originaire. En effet, l’insolvabilité d’un codébiteur solidaire est supportée par les codébiteurs solvables (art. 1317, al. 3). L’article 1328-1, alinéa 2, prévoit donc logiquement que les codébiteurs solidaires sont, dans cette hypothèse, déchargés de la part du débiteur cédant dans la dette. Imaginons par exemple une obligation solidaire de 90 comportant trois codébiteurs A, B et C tenus solidairement à parts égales. Si A cède sa dette à D et que le créancier consent à la libération de A, alors D est tenu solidairement de 90, mais B et C ne sont plus tenus solidairement que de 60. Le créancier ne pourra donc exiger que 60 à B et C. Si D désintéressé totalement le créancier, c’est-à-dire qu’il lui paie les 90, il pourra naturellement agir en contribution contre B et C à hauteur de 30 chacun dans la mesure où B et C sont déchargés de la part de A, mais ne sont pas déchargés de leurs propres parts.
Pour aller plus loin
(Bibliographie non exhaustive)
- J. François, « Les opérations sur la dette », RDC 2016, n° Hors-série d’avril 2016, p. 45.
- Ch. Gijsbers, « Les opérations translatives », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 76.
- D. Houtcieff, « Cession de dette ou délégation : transport de dette ou nouveau débiteur ? », Dr. et patr. n° 249, juillet-août 2015, p. 75.
- M. Lehmann, « La reprise de dette : une perspective allemand (Commentaire allemand) », La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, dir. R. Schulze et alii, Société de législation comparée, 2015, p. 223.
- R. Mortier, « Vive la cession de dette au service des sociétés ! », Dr. sociétés 2016, comm. 50 (n° 4, p. 17).
- Y. Picod, « La consécration de la cession de dette (Rapport français) », La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, dir. R. Schulze et alii, Société de législation comparée, 2015, p. 207.
- Ph. Simler, « Cession de créance, cession de dette, cession de contrat », Contrats, conc. consom. 2016, dossier 8 (n° 5, p. 42).
- L. Thibierge, « La cession de dette », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 5 mai 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/05/05/la-cession-de-dette/ [consulté le 03/06/2016].
Notes de bas de page
[1] On distingue en effet parfois la cession de dette interne de la cession de dette externe. La cession de dette externe opère un transfert de la dette opposable erga omnes et était inconnue en droit français jusqu’à maintenant. La cession de dette interne a en revanche toujours été possible, il s’agit d’un contrat par lequel une personne s’engage à reprendre la dette d’une autre, mais ce contrat ne produit des effets qu’entre ses parties et n’est pas opposable au créancier. La cession de dette consacrée par l’ordonnance se rapproche de la cession de dette interne, sauf lorsque le créancier a expressément consenti à ce que le débiteur originaire soit libéré, dans quel cas on a une véritable cession de dette externe.