Présentation des articles 1145 à 1152 du nouveau paragraphe 1 « La capacité »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

Par rapport aux anciennes dispositions du Code civil, l’ordonnance opère une distinction entre la capacité de contracter des personnes physiques et celle des personnes morales (art. 1145). Pour les premières, le principe demeure celui de la capacité hors exceptions prévues par la loi. Seule la loi peut donc prévoir des causes d’incapacité. Pour les secondes, leur capacité est limitée aux actes utiles à la réalisation de leur objet statutaire et aux actes qui leur sont accessoires. L’ordonnance s’arrête là en ce qui concerne la capacité de contracter des personnes morales, renvoyant aux « règles applicables à chacune d’entre elles ». Les articles suivants régissent exclusivement la capacité de contracter des personnes physiques. L’impact qu’aura cette nouvelle disposition sur le droit des sociétés demeure néanmoins incertain, ce qui suscite l’inquiétude des spécialistes de la matière. M. François-Xavier, Professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur de l’IEJ Jean Domat, explique pourquoi dans la vidéo ci-dessous.

Vidéo : La capacité des personnes morales après la réforme du droit des contrats présentée par le Professeur François-Xavier Lucas (13 min).

Les incapacités prévues par les articles suivants pour les personnes physiques sont des incapacités d’exercice (ces personnes physiques incapables ont le droit de contracter, mais ne peuvent pas exercer ce droit elles-mêmes ou seules), alors que l’incapacité des personnes morales prévue par l’article 1145, alinéa 2, est une incapacité de jouissance (en dehors des cas prévus par ce texte, les personnes morales n’ont pas le droit de contracter).

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1145.- Toute personne physique peut contracter sauf en cas d’incapacité prévue par la loi.

La capacité des personnes morales est limitée aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le respect des règles applicables à chacune d’entre elles.

Art. 1123.- Toute personne peut contracter si elle n’en est pas déclarée incapable par la loi.
Art. 1146.- Sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi :

1° Les mineurs non émancipés ;

2° Les majeurs protégés au sens de l’article 425.

Art. 1124.- Sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi :

Les mineurs non émancipés ;

Les majeurs protégés au sens de l’article 488 du présent code.

Art. 1147.- L’incapacité de contracter est une cause de nullité relative. Art. 1125.- Les personnes capables de s’engager ne peuvent opposer l’incapacité de ceux avec qui elles ont contracté.
Art. 1148.- Toute personne incapable de contracter peut néanmoins accomplir seule les actes courants autorisés par la loi ou l’usage, pourvu qu’ils soient conclus à des conditions normales.
Art. 1149.- Les actes courants accomplis par le mineur peuvent être annulés pour simple lésion.

Toutefois, la nullité n’est pas encourue lorsque la lésion résulte d’un événement imprévisible.

La simple déclaration de majorité faite par le mineur ne fait pas obstacle à l’annulation.

Le mineur ne peut se soustraire aux engagements qu’il a pris dans l’exercice de sa profession.

Art. 1305.- La simple lésion donne lieu à la rescision en faveur du mineur non émancipé, contre toutes sortes de conventions.

Art. 1306.- Le mineur n’est pas restituable pour cause de lésion, lorsqu’elle ne résulte que d’un événement casuel et imprévu.

Art. 1307.- La simple déclaration de majorité, faite par le mineur, ne fait point obstacle à sa restitution.

Art. 1308.- Le mineur qui exerce une profession n’est point restituable contre les engagements qu’il a pris dans l’exercice de celle-ci.

Art. 1150.- Les actes accomplis par les majeurs protégés sont régis par les articles 435,465 et 494-9 sans préjudice des articles 1148,1151 et 1352-4. Art. 1313.- Les majeurs ne sont restitués pour cause de lésion que dans les cas et sous les conditions spécialement exprimés dans le présent code.
Art. 1151.- Le contractant capable peut faire obstacle à l’action en nullité engagée contre lui en établissant que l’acte était utile à la personne protégée et exempt de lésion ou qu’il a profité à celle-ci.

Il peut aussi opposer à l’action en nullité la confirmation de l’acte par son cocontractant devenu ou redevenu capable.

Art. 1311.- Il n’est plus recevable à revenir contre l’engagement qu’il avait souscrit en minorité, lorsqu’il l’a ratifié en majorité, soit que cet engagement fût nul en sa forme, soit qu’il fût seulement sujet à restitution.
Art. 1152.- La prescription de l’action court :

1° A l’égard des actes faits par un mineur, du jour de la majorité ou de l’émancipation ;

2° A l’égard des actes faits par un majeur protégé, du jour où il en a eu connaissance alors qu’il était en situation de les refaire valablement ;

3° A l’égard des héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle ou de la personne faisant l’objet d’une habilitation familiale, du jour du décès si elle n’a commencé à courir auparavant.

Art. 1304, al. 3.- Le temps ne court, à l’égard des actes faits par un mineur, que du jour de la majorité ou de l’émancipation ; et à l’égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu’il était en situation de les refaire valablement. Il ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle ou de la personne faisant l’objet d’une habilitation familiale que du jour du décès, s’il n’a commencé à courir auparavant.

Distinction entre les mineurs et les majeurs (art. 1146). Les mineurs font l’objet d’une incapacité générale de contracter (incapacité d’exercice) sauf s’ils sont émancipés (art. 1146, 1°). Les majeurs sont au contraire capables de contracter, sauf s’ils font l’objet de l’une des mesures de protection énoncées aux articles 425 et suivants (art. 1146, 2°). Il s’agit d’une reprise à droit constant de l’ancien article 1124.

L’incapacité est une cause de nullité relative (art. 1147), sauf pour les actes courants autorisés par la loi ou par l’usage s’ils ne sont pas lésionnaires (art. 1148 et 1149). L’ordonnance consacre ici une solution classique. La nullité pour incapacité est logiquement relative, car elle protège un intérêt particulier (celui de l’incapable) et non l’intérêt général (la règle découlait auparavant de l’ancien article 1125). La possibilité pour l’incapable de passer seul les « actes de la vie courante » est également reconnue de longue date, la règle est par ailleurs énoncée pour le mineur aux articles 388-1-1 et 408, alinéa 1er.

Les actes que l’incapable peut passer seul peuvent toutefois être annulés s’ils sont lésionnaires (art. 1149, al. 1er à 3). La règle est classique (anc. art. 1305 à 1307). Cela signifie a contrario que les autres actes passés par l’incapable peuvent être annulés même s’ils ne sont pas lésionnaires (les articles 1148 et 1149 dérogent au principe de l’article 1147).

Les actes conclus par le mineur incapable dans l’exercice de sa profession ne sont pas annulables (art. 1349, al. 4). Il s’agit d’une reprise à droit constant de l’ancien article 1308. La rapidité et la sécurité des transactions sont traditionnellement considérées comme indispensables au bon fonctionnement du commerce. L’annulation des actes conclus par le mineur incapable est contraire à ces deux exigences : l’annulation est source d’insécurité juridique pour les cocontractants du mineur incapable et ses ayants cause, et la possibilité d’une telle annulation contraindrait les commerçants à vérifier systématiquement la capacité de leurs cocontractants, ce qui ralentirait les opérations commerciales.

Le contractant capable peut désormais faire obstacle à l’action en nullité dans certaines hypothèses (art. 1151). Il peut bien sûr faire échec à l’action en nullité en prouvant que son cocontractant a confirmé l’acte après être devenu ou redevenu capable (al. 2). Mais, et c’est là une nouveauté, il peut aussi faire obstacle à l’action en nullité en établissant que l’acte était utile à la personne protégée et exempt de lésion ou qu’il a profité à celle-ci (al. 1er). Auparavant ces considérations ne pouvaient avoir une incidence que sur l’étendue des restitutions consécutives à la nullité (V. infra, art. 1352-4). Désormais l’effet est beaucoup plus radical : si l’acte était utile à la personne protégée et exempt de lésion ou si l’acte a profité à la personne protégée, l’action en nullité peut purement et simplement être neutralisée. Ces deux hypothèses sont relativement larges et renforcent donc considérablement la sécurité juridique des cocontractants d’un incapable.

Les restitutions dues à un mineur non émancipé ou à un majeur protégé sont réduites à proportion du profit qu’il a retiré de l’acte annulé (art. 1352-4). La règle, auparavant énoncée à l’ancien article 1312 avec les autres dispositions relatives à la capacité, figure désormais parmi les dispositions relatives aux restitutions (art. 1352 et s.). La nullité serait une sanction peu protectrice de l’incapable si celui-ci devait restituer tout ce qu’il a reçu de son cocontractant. L’incapable n’a donc pas, en cas de nullité du contrat, à restituer tout ce qu’il a dilapidé. En revanche, si le cocontractant a versé les sommes entre les mains du représentant légal de l’incapable, alors la totalité de cette somme doit être restituée en cas d’annulation du contrat[1].

Nous verrons toutefois que le Gouvernement semble avoir commis une erreur de rédaction à l’article 1352‑4, en visant les restitutions dues « à un mineur » au lieu des restitutions dues « par un mineur » (V. infra, n° 399). Le juge fera probablement une interprétation téléologique du texte pour passer outre cette maladresse de rédaction.

Le point de départ du délai de prescription de l’action en nullité est flottant (art. 1152). Il s’agit d’une reprise à droit constant de l’ancien article 1304, alinéa 3. Ce point de départ flottant se justifie aisément : la nullité est une protection illusoire pour l’incapable si l’action en nullité est éteinte avant même qu’il ne soit redevenu capable (art. 1152, 1° et 2°). Si l’incapable ne redevient jamais capable, alors la protection devient illusoire pour ses héritiers si l’action en nullité est prescrite avant le décès de l’incapable (art. 1152, 3°).

L’ancien article 1125-1, qui prévoyait une incapacité de jouissance à la charge de ceux qui exercent des fonctions dans un établissement hébergeant des personnes âgées ou dispensant des soins psychiatriques, a été transféré dans d’autres codes, aux articles L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles et L. 3211-5-1 du Code de la santé publique (V. infra les dispositions de coordination de l’ordonnance). L’incapacité de jouissance prévue par ces deux nouveaux articles est par ailleurs étendue aux partenaires (Pacs) et aux concubins des professionnels précités, alors que l’ancien texte ne visait que les conjoints. Par rapport aux dispositions précédemment évoquées, il s’agit ici d’une incapacité de jouissance (et non d’exercice) qui répond à une logique totalement différente. Les incapacités d’exercice précédemment évoquées visent à protéger l’incapable, alors que les incapacités de jouissance des articles L. 116-4 Du CASF et L. 3211-5-1 du CSP visent à protéger les tiers contre l’incapable (on pense par exemple à un professionnel de santé mal intentionné travaillant dans une maison de retraite qui pourrait être tenté de profiter de l’état de faiblesse des pensionnaires pour leur faire signer des contrats lésionnaires). La nullité relative (art. 1147) peut alors être invoquée par les tiers que la nullité a vocation à protéger, mais pas par l’incapable.

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

Note de bas de page

[1] Cass. civ. 1re, 18 janv. 1989, n° 87-12.019.

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1145 à 1152 du nouveau paragraphe 1 “La capacité” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre3/​stitre1/​chap2/​sect2/​ssect2/​para1-capacite/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 30/05/2016.
Dernière mise à jour le 30/05/2016.