Comme pour l’obligation conjointe, l’ordonnance ne devrait pas modifier substantiellement le régime de l’obligation solidaire. Les anciennes dispositions du Code civil sont toutefois refondues, un toilettage globalement bienvenu.
Articles en vigueur au 1er octobre 2016 | Articles abrogés le 1er octobre 2016 |
Art. 1310.- La solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. | Art. 1202.- La solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée.
Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi. |
Art. 1311.- La solidarité entre créanciers permet à chacun d’eux d’exiger et de recevoir le paiement de toute la créance. Le paiement fait à l’un d’eux, qui en doit compte aux autres, libère le débiteur à l’égard de tous.
Le débiteur peut payer l’un ou l’autre des créanciers solidaires tant qu’il n’est pas poursuivi par l’un d’eux. |
Art. 1197.- L’obligation est solidaire entre plusieurs créanciers lorsque le titre donne expressément à chacun d’eux le droit de demander le paiement du total de la créance, et que le paiement fait à l’un d’eux libère le débiteur, encore que le bénéfice de l’obligation soit partageable et divisible entre les divers créanciers.
Art. 1198.- Il est au choix du débiteur de payer à l’un ou l’autre des créanciers solidaires, tant qu’il n’a pas été prévenu par les poursuites de l’un d’eux. Néanmoins, la remise qui n’est faite que par l’un des créanciers solidaires ne libère le débiteur que pour la part de ce créancier. |
Art. 1312.- Tout acte qui interrompt ou suspend la prescription à l’égard de l’un des créanciers solidaires, profite aux autres créanciers. | Art. 1199.- Tout acte qui interrompt la prescription à l’égard de l’un des créanciers solidaires profite aux autres créanciers. |
Art. 1313.- La solidarité entre les débiteurs oblige chacun d’eux à toute la dette. Le paiement fait par l’un d’eux les libère tous envers le créancier.
Le créancier peut demander le paiement au débiteur solidaire de son choix. Les poursuites exercées contre l’un des débiteurs solidaires n’empêchent pas le créancier d’en exercer de pareilles contre les autres. |
Art. 1200.- Il y a solidarité de la part des débiteurs, lorsqu’ils sont obligés à une même chose, de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité, et que le paiement fait par un seul libère les autres envers le créancier.
Art. 1203.- Le créancier d’une obligation contractée solidairement peut s’adresser à celui des débiteurs qu’il veut choisir, sans que celui-ci puisse lui opposer le bénéfice de division. Art. 1204.- Les poursuites faites contre l’un des débiteurs n’empêchent pas le créancier d’en exercer de pareilles contre les autres. |
Art. 1314.- La demande d’intérêts formée contre l’un des débiteurs solidaires fait courir les intérêts à l’égard de tous. | Art. 1207.- La demande d’intérêts formée contre l’un des débiteurs solidaires fait courir les intérêts à l’égard de tous. |
Art. 1315.- Le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions qui sont communes à tous les codébiteurs, telles que la nullité ou la résolution, et celles qui lui sont personnelles. Il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d’autres codébiteurs, telle que l’octroi d’un terme. Toutefois, lorsqu’une exception personnelle à un autre codébiteur éteint la part divise de celui-ci, notamment en cas de compensation ou de remise de dette, il peut s’en prévaloir pour la faire déduire du total de la dette. | Art. 1208.- Le codébiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer toutes les exceptions qui résultent de la nature de l’obligation, et toutes celles qui lui sont personnelles, ainsi que celles qui sont communes à tous les codébiteurs.
Il ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles à quelques-uns des autres codébiteurs. |
Art. 1316.- Le créancier qui reçoit paiement de l’un des codébiteurs solidaires et lui consent une remise de solidarité conserve sa créance contre les autres, déduction faite de la part du débiteur qu’il a déchargé. | Art. 1210.- Le créancier qui consent à la division de la dette à l’égard de l’un des codébiteurs, conserve son action solidaire contre les autres, mais sous la déduction de la part du débiteur qu’il a déchargé de la solidarité.
Art. 1211.- Le créancier qui reçoit divisément la part de l’un des débiteurs, sans réserver dans la quittance la solidarité ou ses droits en général, ne renonce à la solidarité qu’à l’égard de ce débiteur. Le créancier n’est pas censé remettre la solidarité au débiteur lorsqu’il reçoit de lui une somme égale à la portion dont il est tenu, si la quittance ne porte pas que c’est pour sa part. Il en est de même de la simple demande formée contre l’un des codébiteurs pour sa part, si celui-ci n’a pas acquiescé à la demande, ou s’il n’est pas intervenu un jugement de condamnation. |
Art. 1317.- Entre eux, les codébiteurs solidaires ne contribuent à la dette que chacun pour sa part.
Celui qui a payé au-delà de sa part dispose d’un recours contre les autres à proportion de leur propre part. Si l’un d’eux est insolvable, sa part se répartit, par contribution, entre les codébiteurs solvables, y compris celui qui a fait le paiement et celui qui a bénéficié d’une remise de solidarité. |
Art. 1213.- L’obligation contractée solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les débiteurs, qui n’en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et portion.
Art. 1214.- Le codébiteur d’une dette solidaire, qui l’a payée en entier, ne peut répéter contre les autres que les part et portion de chacun d’eux. Si l’un d’eux se trouve insolvable, la perte qu’occasionne son insolvabilité se répartit, par contribution, entre tous les autres codébiteurs solvables et celui qui a fait le paiement. Art. 1215.- Dans le cas où le créancier a renoncé à l’action solidaire envers l’un des débiteurs, si l’un ou plusieurs des autres codébiteurs deviennent insolvables, la portion des insolvables sera contributoirement répartie entre tous les débiteurs, même entre ceux précédemment déchargés de la solidarité par le créancier. |
Art. 1318.- Si la dette procède d’une affaire qui ne concerne que l’un des codébiteurs solidaires, celui-ci est seul tenu de la dette à l’égard des autres. S’il l’a payée, il ne dispose d’aucun recours contre ses codébiteurs. Si ceux-ci l’ont payée, ils disposent d’un recours contre lui. | Art. 1216.- Si l’affaire pour laquelle la dette a été contractée solidairement ne concernait que l’un des coobligés solidaires, celui-ci serait tenu de toute la dette vis-à-vis des autres codébiteurs, qui ne seraient considérés par rapport à lui que comme ses cautions. |
Art. 1319.- Les codébiteurs solidaires répondent solidairement de l’inexécution de l’obligation. La charge en incombe à titre définitif à ceux auxquels l’inexécution est imputable. | Art. 1205.- Si la chose due a péri par la faute ou pendant la demeure de l’un ou de plusieurs des débiteurs solidaires, les autres codébiteurs ne sont point déchargés de l’obligation de payer le prix de la chose ; mais ceux-ci ne sont point tenus des dommages et intérêts.
Le créancier peut seulement répéter les dommages et intérêts tant contre les débiteurs par la faute desquels la chose a péri, que contre ceux qui étaient en demeure. |
La solidarité ne se présume pas, qu’elle soit active ou passive (art. 1310). L’ordonnance reprend la règle de l’ancien article 1202 dont elle simplifie la rédaction. Seul le législateur et les parties peuvent prévoir qu’une obligation sera solidaire. C’est en partie cette règle qui a conduit la Cour de cassation à développer la notion d’obligation in solidum en matière de responsabilité civile. En effet, aucune règle légale générale ne prévoit que les coresponsables d’un même dommage sont tenus solidairement à sa réparation. La Cour de cassation a donc créé la notion d’obligation in solidum, dont le régime est largement calqué sur celui de l’obligation solidaire (V. infra), pour contourner l’interdiction faite au juge de reconnaître des obligations solidaires ex nihilo.
L’ordonnance traite ensuite, de façon expéditive, du régime de la solidarité active, c’est-à-dire de la solidarité entre créanciers (art. 1311 et 1312). Cette forme de solidarité est peu répandue, il n’est donc guère surprenant que l’ordonnance ne s’y attarde pas. La solidarité active permet à n’importe lequel des créanciers de demander au débiteur le paiement de la totalité de la dette et un tel paiement libère le débiteur à l’égard, bien sûr, de l’accipiens, mais aussi de tous les autres créanciers (art. 1311, al. 1er). Le créancier accipiens « doit compte » du paiement aux autres créanciers solidaires, cela signifie qu’il doit leur reverser leurs parts respectives (art. 1311, al. 1er). Un créancier qui n’aurait pas reçu sa part serait admis à agir contre le créancier accipiens pour le contraindre à la lui remettre. Les créanciers solidaires supportent le risque d’insolvabilité du créancier accipiens, d’où le caractère peu répandu de la solidarité active en pratique.
Le débiteur qui s’exécute spontanément peut choisir de payer sa dette à l’égard de n’importe lequel des créanciers. Cette règle change si le débiteur est poursuivi par l’un d’eux, il n’a alors plus le choix et doit nécessairement payer le créancier poursuivant (art. 1311, al. 2).
Enfin, tout acte qui interrompt la prescription à l’égard de l’un des créanciers solidaires profite aux autres créanciers (art. 1312).
Toutes ces règles sont classiques et sont issues des anciens articles 1197 à 1199 dont seule la rédaction est légèrement modifiée.
Davantage de dispositions sont consacrées à la solidarité passive, plus répandue (art. 1313 à 1319). Pour bien comprendre le régime de la solidarité passive on distingue traditionnellement deux questions : celle de l’obligation à la dette et celle de la contribution à la dette. L’obligation à la dette est la première question qui se pose, il s’agit de savoir à qui le créancier peut demander le paiement et dans quelles conditions. L’obligation à la dette concerne donc les rapports entre le créancier et les débiteurs. Une fois le créancier désintéressé par un ou plusieurs des codébiteurs solidaires, la question de la contribution à la dette se pose, il s’agit de savoir quels sont les débiteurs qui doivent supporter la charge finale de la dette et dans quelles proportions. La contribution à la dette concerne donc les rapports entre codébiteurs. Nous traiterons successivement ces deux questions.
Obligation à la dette : la distinction entre les effets principaux et les effets secondaires de la solidarité. Pour déterminer les effets de la solidarité entre le créancier et les codébiteurs solidaires, on distingue traditionnellement les effets principaux de la solidarité de ses effets secondaires.
Obligation à la dette : effets principaux (art. 1313, 1315, 1316 et 1319). Les effets principaux de la solidarité s’expliquent par la structure de l’obligation solidaire : on considère traditionnellement qu’il n’existe qu’une seule dette (unicité de la dette), mais une pluralité de liens obligatoires (art. 1313, al. 1er).
La solidarité permet ainsi au créancier de demander le paiement de la totalité de la dette à n’importe lequel des débiteurs, puisque tous les débiteurs sont tenus d’une seule et même dette (art. 1313, al. 2). La solidarité empêche donc le débiteur actionné d’opposer au créancier le bénéfice de division (le débiteur ne peut exiger que le créancier divise ses recours entre les différents codébiteurs, en agissant contre tous les codébiteurs pour leurs parts respectives) ou le bénéfice de discussion (le recours en paiement intégral du créancier contre l’un des codébiteurs ne nécessite pas que le créancier ait préalablement agi sans succès contre les autres codébiteurs, car les codébiteurs solidaires sont tous tenus de la dette à titre principal, et non à titre accessoire). Le créancier peut même agir simultanément contre plusieurs débiteurs (art. 1313, al. 2), étant entendu que tout paiement partiel fait par l’un des débiteurs éteint partiellement la dette et limite donc d’autant les recours du créancier contre les autres codébiteurs. En effet, le créancier ne peut en aucun cas obtenir plus que le montant nominal de sa créance, le paiement fait par l’un des codébiteurs solidaires libère donc tous les autres (art. 1313, al. 1er), totalement ou partiellement selon que le paiement est total ou partiel.
La question la plus délicate est celle de l’opposabilité des exceptions. Quelles sont les exceptions que le débiteur actionné peut opposer au créancier pour refuser de payer la dette ? On se réfère traditionnellement à la structure de l’obligation pour déterminer si l’exception est opposable. On distingue ainsi trois types d’exceptions. Si l’exception touche à la dette (exception inhérente à la dette) elle peut être opposée au créancier par tout débiteur, puisque tous les codébiteurs sont tenus de la même dette. Ainsi, le caractère illicite de l’objet de l’obligation touche à la dette, la nullité qui en découle est donc considérée comme une exception inhérente à la dette qui peut être invoquée par tous les débiteurs. Si l’exception ne touche que le lien obligatoire qui unit un créancier à l’un des débiteurs, alors seul le débiteur en question peut opposer cette exception au créancier (exception purement personnelle). Ainsi, si l’obligation solidaire découle d’un contrat pluripartite et que le consentement de l’un des codébiteurs a été surpris par un dol, le vice du consentement n’affecte que le lien obligatoire entre ce débiteur et le créancier, il n’affecte pas la dette en elle-même. Le débiteur concerné peut donc agir en nullité pour dol pour échapper entièrement à son engagement, mais les autres codébiteurs demeurent solidairement tenus de l’intégralité de la dette[1]. Enfin, il arrive qu’une exception touche un seul lien d’obligation, mais qu’elle éteigne partiellement la dette, dans quel cas le débiteur concerné est entièrement libéré et les autres codébiteurs ne sont libérés qu’à hauteur de la part du débiteur entièrement libéré (exception simplement personnelle). Voici une obligation solidaire de 90 comportant trois débiteurs et dont la charge finale de la dette se répartit par parts égales. Si le créancier accorde une remise de dette totale à l’un des trois débiteurs, les deux autres pourront l’opposer au créancier pour refuser de lui payer 90 : la remise de dette accordée à l’un des débiteurs libère totalement le débiteur concerné et éteint la dette à hauteur de sa part, c’est-à-dire 30. Les deux autres codébiteurs ne sont donc plus tenus solidairement que de 60.
Cette classification tripartite des exceptions est d’origine doctrinale, induite de l’analyse de la jurisprudence, puisque l’ancien article 1208 suggérait plutôt une classification quadripartite et la terminologie employée par l’ancien texte était différente. Le nouvel article 1315, sans reprendre la terminologie que l’on vient d’évoquer, retient une classification tripartite identique sur le fond. Sont ainsi distinguées les exceptions communes à tous les codébiteurs (ex. : nullité et résolution) équivalentes aux exceptions inhérentes à la dette, les exceptions personnelles à un débiteur (ex. : l’octroi d’un terme) équivalentes aux exceptions purement personnelles, et les exceptions qui, en étant personnelles à un débiteur, éteignent une partie de la dette (ex. : la compensation ou la remise de dette), équivalentes aux exceptions simplement personnelles. Les exemples donnés à l’article 1315 ne sont bien sûr pas exhaustifs, et sont même parfois peu convaincants. Ainsi, il est vrai que la nullité peut être une exception commune à tous les débiteurs, mais seulement si elle concerne la dette ou la totalité du contrat qui en est la source. Il existe des causes de nullité qui n’affectent ni la dette, ni la totalité du contrat, mais seulement un lien obligatoire, c’est le cas notamment des vices du consentement. La nullité pour vice du consentement devrait être en réalité une exception personnelle : elle ne devrait pouvoir être opposée que par celui dont le consentement est vicié (s’agissant d’une nullité relative) et elle ne devrait pouvoir profiter aux autres codébiteurs, ou alors uniquement pour faire déduire la part du débiteur dont le consentement a été vicié du total de la dette. Il est probable que la jurisprudence conservera cette solution, les exemples donnés par l’article 1315 n’étant pas limitatifs.
Une précision doit enfin être ajoutée concernant l’exception de compensation. Alors même que l’article 1290 ancien énonçait que la compensation s’opérait de plein droit, la Cour de cassation considérait que l’effet extinctif de la compensation ne se produisait, rétroactivement, que si la compensation était invoquée par l’un des créanciers/débiteurs réciproques. Cela emportait une conséquence importante en matière de solidarité : tant que le codébiteur solidaire disposant d’une créance réciproque vis-à-vis du créancier commun n’avait pas invoqué la compensation, celle-ci n’éteignait pas la dette à hauteur du montant de la moindre des deux obligations, et par conséquent ses codébiteurs solidaires ne pouvaient pas opposer au créancier commun cette exception de compensation (anc. art. 1294, al. 3). La compensation était donc, à ce stade, une exception purement personnelle. Ce n’était que si le codébiteur disposant d’une créance réciproque vis-à-vis du créancier commun avait invoqué la compensation, que les autres codébiteurs pouvaient, dans un second temps, se prévaloir de cette exception de compensation qui devenait alors inhérente à la dette (la compensation, une fois invoquée, éteint totalement ou partiellement la dette).
Il n’est pas certain que cette solution soit maintenue par l’ordonnance. Un codébiteur solidaire peut-il invoquer la compensation entre la dette solidaire et une créance réciproque détenue par l’un de ses coobligés, ou ne peut-il « opposer » la compensation qu’après qu’elle a été invoquée par le créancier commun ou par le coobligé disposant d’une créance réciproque ?
Le nouvel article 1347, alinéa 2, énonce que la compensation s’opère sous réserve d’être invoquée, mais il ne précise pas qui peut l’invoquer. L’article 1347-6 ne règle pas la question, pas plus que l’article 1315. Selon ce dernier, « lorsqu’une exception personnelle à un autre codébiteur éteint la part divise de celui-ci, notamment en cas de compensation ou de remise de dette, il peut s’en prévaloir pour la faire déduire du total de la dette ». D’abord, l’article est mal rédigé dans la mesure où la compensation n’éteint pas la dette solidaire à hauteur de la « part divise » du codébiteur qui disposait d’une créance réciproque, mais à hauteur du montant de cette créance réciproque[2]. Ensuite, l’article dispose que les codébiteurs solidaires peuvent se prévaloir de la compensation dans la mesure où elle « éteint » la part indivise, ce qui signifie que la compensation a déjà opéré, donc qu’elle a déjà été invoquée (art. 1347, al. 2). Ce faisant, l’article 1315 ne traite pas de la question essentielle : les codébiteurs solidaires ont-ils le pouvoir « d’invoquer » cette compensation, ou seul le codébiteur disposant d’une créance réciproque peut-il l’invoquer ? Seule la jurisprudence future permettra de préciser le sens de ces textes.
Toujours à propos de l’obligation à la dette, l’article 1316 traite de l’hypothèse de la remise de solidarité consentie par le créancier à l’un des codébiteurs et conserve les solutions de l’ancien article 1210. La remise de solidarité signifie que le codébiteur bénéficiaire de la remise n’est plus tenu solidairement de la dette, il en est tenu conjointement, c’est-à-dire uniquement pour sa part : le créancier ne peut plus exiger à son égard le paiement de la totalité de la dette. Autrement dit, le codébiteur qui bénéficie de la remise de solidarité peut opposer au créancier le bénéfice de division. La remise de solidarité n’emporte aucune conséquence vis-à-vis des autres codébiteurs qui continuent d’être tenus solidairement de la dette et qui peuvent toujours, lorsqu’ils paient plus que leur part, se retourner contre le codébiteur qui a bénéficié d’une remise de solidarité pour qu’il contribue à la dette.
Enfin, en cas d’inexécution de l’obligation, tous les codébiteurs en répondent solidairement vis-à-vis du créancier commun, quand bien même l’inexécution serait imputable à un seul d’entre eux (art. 1319).
Obligation à la dette : effets secondaires (art. 1314). Les effets secondaires de la solidarité ne sont pas expliqués par la structure de l’obligation solidaire, mais par l’idée d’une représentation mutuelle des codébiteurs vis-à-vis du créancier. Cette idée de représentation mutuelle est aujourd’hui critiquée, car ses fondements sont peu réalistes : on explique traditionnellement qu’il y aurait une communauté d’intérêts entre les codébiteurs solidaires faisant que les codébiteurs se donneraient mutuellement mandat pour agir les uns au nom des autres vis-à-vis du créancier commun. L’ordonnance n’opère aucune avancée sur ce point et se contente de reprendre intégralement, à l’article 1314, l’ancien article 1207. Cette disposition n’évoque que l’un des effets secondaires de la solidarité : la demande d’intérêts formée contre l’un des débiteurs solidaires fait courir les intérêts à l’égard de tous les codébiteurs. La jurisprudence a reconnu d’autres effets secondaires qui ne devraient pas être remis en cause par l’ordonnance. La représentation mutuelle peut par exemple avoir des effets positifs pour les codébiteurs. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’un des codébiteurs pouvait invoquer la transaction conclue par le créancier avec un autre des codébiteurs solidaires dès lors qu’il en résultait un avantage pour lui[3]. Il est fort probable que cette solution jurisprudentielle sera maintenue, l’ordonnance étant silencieuse sur ce point.
Plus incertaine est la question des actes interruptifs de prescription. L’ancien article 1206 disposait que « les poursuites faites contre l’un des débiteurs solidaires interrompent la prescription à l’égard de tous ». Étrangement, cette disposition n’a pas été conservée par l’ordonnance. Le rapport remis au Président de la République étant muet sur les raisons de cette suppression, on peut penser qu’il s’agit d’un oubli, ou à tout le moins que le Gouvernement n’a pas eu l’intention d’abandonner la règle énoncée à l’ancien article 1206. Seul un arrêt de la Cour de cassation permettra de dire si la solution est conservée, malgré la disparition de la disposition la consacrant.
Contribution à la dette : les dispositions des anciens articles 1213 à 1216 sont conservées avec quelques modifications purement formelles (art. 1317 à 1319). La question est ici de savoir, une fois que le créancier a été totalement désintéressé, si celui ou ceux des codébiteurs qui ont payé le créancier vont pouvoir se retourner contre les autres codébiteurs. Cela dépend de la part de la charge finale de la dette que doit supporter chaque codébiteur (art. 1317, al. 1er). Celui qui a payé plus que sa part peut se retourner contre les autres codébiteurs, chacun pour leur propre part (art. 1317, al. 2) : les recours en cascade sont donc exclus.Ex. : imaginons une dette de 90 comportant trois codébiteurs solidaires A, B et C devant supporter chacun 30 de la charge finale de la dette. Si le créancier assigne A, qui le désintéresse intégralement, A ne peut pas agir contre B pour lui demander le remboursement de 60, à charge pour B de demander 30 à C. A doit agir à la fois contre B et C et demander 30 à chacun. En revanche, si l’un des codébiteurs est insolvable, ce n’est pas au codébiteur solvens de supporter seul les conséquences de cette insolvabilité : la part du codébiteur insolvable est alors répartie entre les codébiteurs solvables (art. 1317, al. 3). Pour reprendre l’exemple précédent, si C est insolvable, alors A pourra demander à B de lui payer 45 (puisque la part de C est répartie entre A et B, B doit supporter sa propre part (30) plus la moitié de la part de C qui est insolvable (15)).
La question du criterium de répartition de la charge finale de la dette n’est pas traitée par l’ordonnance, ce qui était déjà le cas des anciennes dispositions du Code civil relatives à la solidarité. L’article 1318 précise simplement qu’un codébiteur peut avoir une part contributive nulle, dans quel cas il dispose, s’il a désintéressé le créancier, d’un recours intégral contre le ou les autres codébiteurs. La règle est reprise de l’ancien article 1216, mais la référence à la notion de caution est évincée. Ce faisant, la question de l’articulation entre cette forme de solidarité passive et le cautionnement est bien réelle. La distinction est ténue. Dans la solidarité passive, les deux codébiteurs solidaires sont tenus à titre principal à l’égard du créancier, même si l’un des deux codébiteurs a une part nulle dans la charge finale de la dette. A contrario, dans le cautionnement on distingue le débiteur principal, qui est tenu à l’égard du créancier à titre principal, de la caution, qui est tenue à l’égard du créancier à titre accessoire, quand bien même le cautionnement serait solidaire[4]. S’il existe une distinction en théorie, il est en pratique délicat de distinguer la solidarité passive du cautionnement solidaire et la solidarité passive peut servir à contourner le régime impératif du cautionnement qui est particulièrement protecteur de la caution.
Dans le silence du Code, les solutions antérieures continuent de s’appliquer en ce qui concerne la répartition de la charge finale de la dette. La solution est en substance identique à celle énoncée à l’article 1309, alinéa 1er, à propos de la division de la dette conjointe : la division a en principe lieu par parts égales, sauf si la loi ou le contrat le prévoit autrement.
Le cas particulier de l’obligation in solidum. La solidarité étant légale ou conventionnelle (art. 1310), seule la loi peut en principe prévoir que les coresponsables d’un dommage seront tenus solidairement de la réparation du dommage. Or aucune disposition générale du Code civil ne prévoit que l’obligation est solidaire dans un tel cas[5]. Pour contourner cette difficulté, la Cour de cassation a créé la notion d’obligation in solidum. Au stade de l’obligation à la dette, le régime de l’obligation in solidum est calqué sur celui des effets principaux de l’obligation solidaire. Les effets secondaires, fondés sur l’idée d’une représentation mutuelle des codébiteurs vis-à-vis du créancier commun, sont en revanche exclus, car il n’y a aucune communauté d’intérêts entre les coresponsables d’un même dommage. Enfin, en ce qui concerne la répartition de la charge finale de la dette, le mécanisme est le même que pour l’obligation solidaire, mais la répartition des parts contributives repose sur des règles particulières qui sont reprises dans l’avant-projet de loi de réforme du droit de la responsabilité civile (art. 1265)[6]: si les personnes responsables « ont toutes commis une faute, elles contribuent entre elles à proportion de la gravité de leurs fautes respectives. Si aucune d’elles n’a commis de faute, elles contribuent par parts égales. Si seules certaines d’entre elles ont commis une faute, elles supportent seules la charge définitive de la réparation ». L’avant-projet de loi prévoit également, au même article, que les coresponsables sont tenus solidairement. L’avant-projet ne sera toutefois pas adopté avant les prochaines élections législatives et, d’ici là, le principe devrait demeurer celui de la condamnation in solidum des coresponsables.
Pour aller plus loin
(Bibliographie non exhaustive)
- L. Bougerol, « La réforme de la solidarité passive : illusions perdues et incertitudes », RD bancaire et fin. 2016, n° 2, étude 9.
- V. Brémond, « L’obligation solidaire : emplacement et statut commun », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina,billet du 3 juin 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/06/03/lobligation-solidaire-emplacement-et-statut-commun/ [consulté le 03/06/2016].
- V. Brémond, « L’obligation solidaire : règles particulières », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 5 juin 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/06/05/lobligation-solidaire-regles-particulieres/ [consulté le 03/06/2016].
- Ph. Briand, « La cotitularité des obligations », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 80.
- A. Hontebeyrie, « Pluralité de sujets : altération et complications », Dr. et patr. n° 249, juillet-août 2015, p. 46.
Notes de bas de page
[1] La nullité de la totalité du contrat pourrait toutefois être obtenue si la présence de la partie dont le consentement a été vicié par dol était déterminante du consentement des autres parties.
[2] Le texte mélange la question de l’obligation à la dette avec celle de la contribution à la dette. Reprenons l’exemple d’une obligation de 90 comportant trois codébiteurs solidaires A, B et C tenus à parts égales de la charge finale de la dette. Si A dispose d’une créance de 60 contre le créancier commun, alors la compensation éteindra l’obligation solidaire à hauteur de 60 (montant de la créance réciproque) et non à hauteur de 30 (montant de la part de A dans l’obligation)… Pour être plus précis, les codébiteurs solidaires seront libérés à hauteur de 60 (montant de la créance réciproque) vis-à-vis du créancier commun, mais resteront soumis à un recours en contribution de A qui a payé plus que sa part : A pourra demander à B et à C de payer 15 chacun (art. 1317, al. 2).
[3] Cass. com., 28 mars 2006, n° 04-12.197 : « Mais attendu qu’un codébiteur solidaire peut invoquer la transaction intervenue entre le créancier commun et l’un de ses coobligés, dès lors qu’il en résulte pour ce dernier un avantage dont il peut lui-même bénéficier ».
[4] Une confusion doit à tout prix être évitée : le cautionnement solidaire n’est pas une obligation solidaire. Le cautionnement est dit « solidaire » lorsque le bénéfice de discussion est écarté, c’est-à-dire lorsque le créancier peut assigner directement la caution, sans discuter préalablement le débiteur principal dans ses biens.
[5] Il existe en revanche des textes spéciaux. La responsabilité des père et mère du fait de leur enfant fait ainsi exception : l’article 1242, al. 4 (ancien art. 1384, al. 4), énonce que « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. »
[6] Avant-projet publié par la Chancellerie le 29 avril 2016 dans le cadre d’une consultation publique.