Trois dispositions sont consacrées au déroulement des pourparlers et à l’obligation précontractuelle d’information. Si la présence de telles dispositions au sein du Code civil est une nouveauté, celles-ci consacrent pour l’essentiel les solutions dégagées par la jurisprudence.
Articles en vigueur au 1er octobre 2016 | Articles abrogés le 1er octobre 2016 |
Art. 1112.- L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu. |
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Art. 1112-1.- Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie. Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. |
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Art. 1112-2.- Celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun. |
Les pourparlers sont libres, mais soumis au principe de bonne foi (art. 1112, al. 1er). L’ordonnance ne fait ici que consacrer une solution jurisprudentielle classique et qui est d’ailleurs déjà implicitement incluse dans les règles énoncées aux nouveaux articles 1102, al. 1er (principe de liberté contractuelle) et 1104, al. 1er (principe de bonne foi). L’un des partenaires peut donc rompre unilatéralement et à tout moment les pourparlers, à condition de le faire de bonne foi (l’exigence de bonne foi est, ici aussi, impérative[1]).
La rupture des pourparlers faite de mauvaise foi doit ainsi être considérée comme abusive, c’est-à-dire comme fautive. C’est par exemple le cas lorsqu’un partenaire rompt brutalement les négociations, sans motif légitime, après les avoir fait durer pendant une longue période[2].
Le préjudice réparable en cas de rupture abusive des pourparlers se limite à la perte subie et exclut le gain espéré de la conclusion du contrat (art. 1112, al. 2). La jurisprudence Manoukian est consacrée[3]. Sont ainsi indemnisables : les frais d’étude, de déplacement, d’organisation matérielle de la négociation, etc. La « perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat » (formule de l’arrêt Manoukian) n’est en revanche pas réparable.
La responsabilité de l’auteur de la rupture fautive est de nature délictuelle, puisque l’on se situe dans la période précontractuelle et qu’aucun contrat n’a pu être conclu du fait de la rupture des pourparlers. Le fondement de la responsabilité est donc l’article 1240 (anc. art. 1382).
La consécration d’une obligation précontractuelle d’information générale (art. 1112‑1). Les obligations précontractuelles d’information se sont multipliées en jurisprudence, aussi bien dans le droit commun des contrats (notamment par le biais de la jurisprudence relative à la réticence dolosive) que dans le droit des contrats spéciaux. La Cour de cassation a dressé sur ce point un tableau impressionniste. La consécration d’un principe général dans le droit commun des contrats est donc bienvenue.
L’alinéa 1er énonce ce principe : « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. » Trois observations peuvent être formulées. Premièrement, l’obligation ne porte que sur les informations déterminantes du consentement de l’autre partie. Deuxièmement, l’obligation ne porte que sur les informations qu’une partie connaît et que l’autre ignore, ce qui signifie qu’une partie ne peut pas être sanctionnée pour ne pas avoir délivré une information qu’elle ne détenait pas[4] ou pour ne pas avoir délivré une information que l’autre partie connaissait déjà. Troisièmement, l’emploi de l’adverbe « légitimement » laisse une certaine marge d’appréciation au juge : une partie ne pourra pas se plaindre si, bien qu’ignorant une information, elle avait dû la connaître ou si elle a accordé une confiance excessive à l’autre partie. Autrement dit le juge doit veiller à un certain équilibre entre l’obligation d’informer d’une partie et l’obligation de se renseigner de l’autre partie (idée que l’on peut rattacher à l’adage emptor debet esse curiosus, l’acheteur doit être curieux, et à l’idée de dolus bonus, de bon dol, qui permet de laisser une certaine marge aux professionnels pour faire la promotion de leurs produits et services[5]).
L’alinéa 3 semble retenir une conception abstraite de la notion d’« information déterminante ».
L’alinéa 2 consacre la solution de l’arrêt Baldus[6] confirmée par un arrêt de 2007 selon lequel : « l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis »[7]. La solution est généralisée par l’ordonnance puisqu’elle n’est pas limitée à l’acquéreur, ni même au contrat de vente, généralisation qui semblait déjà initiée par la Cour de cassation[8]. Pourtant, une application littérale du nouvel article 1137, alinéa 2, relatif à la réticence dolosive, devrait conduire à introduire, indirectement, une forme d’obligation d’information sur la valeur. Mme Garance Cattalano-Cloarec, Professeur à l’université d’Orléans et intervenante à l’IEJ Jean Domat de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, explique ce paradoxe dans la vidéo ci-dessous. [Le contenu de la vidéo n’étant plus d’actualité à la suite de l’adoption de la loi de ratification du 20 avril 2018, la vidéo a été retirée à la demande de l’auteure.]
L’antépénultième alinéa retient un balancement de la charge de la preuve conforme à l’ancien article 1315 du Code civil, repris à l’article 1353 nouveau : celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver (c’est donc au créancier de l’obligation d’information de prouver qu’une telle obligation existe), réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation (une fois l’existence de l’obligation d’information prouvée, c’est à son débiteur de prouver qu’elle a été éteinte par la délivrance de l’information due)[9].
Le pénultième alinéa rend ces dispositions d’ordre public, ce qui peut sembler d’une rigidité excessive. On peut en effet imaginer des situations dans lesquelles un encadrement conventionnel de l’obligation précontractuelle d’information pourrait être opportun (informations confidentielles ; concurrents qui, entamant une négociation, souhaitent prévenir toute accusation d’entente illicite au sens du droit de la concurrence, et restreignent à cette fin les informations qui seront échangées, etc.).
Le dernier alinéa prévoit deux sanctions à un manquement à l’obligation d’information : la responsabilité civile du débiteur et l’annulation du contrat. Cette dernière sanction ne peut toutefois être mise en œuvre que le cadre des dispositions des articles 1130 et suivants relatifs aux vices du consentement. On a sur ce point une évolution non négligeable par rapport à la jurisprudence antérieure : la nature de l’obligation d’information et, par conséquent, le régime de sa sanction évoluent. La Cour de cassation, faute de mieux, rattachait jusqu’à maintenant les obligations précontractuelles d’information aux articles 1134, alinéa 3, 1135 et 1615 (pour le contrat de vente) du Code civil. Ces obligations d’information avaient ainsi une nature contractuelle, ce qui était évidemment paradoxal s’agissant d’obligations « précontractuelles » prenant naissance à une époque où aucun contrat n’est encore formé. La violation de ces obligations engageait ainsi la responsabilité contractuelle du débiteur (ancien art. 1147) et pouvait même, si le manquement était jugé suffisamment grave par le juge, justifier une résolution du contrat pour inexécution (ancien art. 1184). L’obligation précontractuelle d’information de droit commun ayant désormais une assise légale et jouant à une époque où il n’existe encore aucun contrat, la responsabilité du débiteur devrait logiquement être de nature délictuelle, même si l’ordonnance ne le précise pas. La résolution du contrat ne peut donc plus être obtenue : si le créancier de l’obligation d’information souhaite obtenir la disparition rétroactive des normes contractuelles, il devra prouver l’existence d’un vice du consentement ; s’il y parvient, la sanction sera alors l’annulation rétroactive du contrat, et non sa résolution.
La divulgation d’une information confidentielle obtenue à l’occasion des pourparlers engage la responsabilité civile de l’auteur de la divulgation (art. 1112-2). Cette précision n’était guère indispensable, puisque la solution découle naturellement de l’article 1240 (ancien art. 1382). En effet, nul besoin de l’article 1112-2 pour considérer que la divulgation d’une information confidentielle communiquée à l’occasion de pourparlers est constitutive d’une faute civile délictuelle.
Pour aller plus loin…
(Bibliographie non exhaustive)
- S. Bernheim-Desvaux, « Les négociations », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 19 mars 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/03/19/les-negociations/ [consulté le 03/06/2016].
- Ph. Chauviré, « La conclusion du contrat – Négociation, offre et conditions générales : principes et clauses contractuelles », JCP N 2016, 1111.
- M. Fabre-Magnan, « Le devoir d’information dans les contrats : essai de tableau général après la réforme », JCP G 2016, 706.
- B. Fages, « Le processus de formation du contrat (Rapport français) », La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, dir. R. Schulze et alii, Société de législation comparée, 2015, p. 41, spéc. p. 47-48.
- C. Grimaldi, « Quand une obligation d’information en cache une autre : inquiétudes à l’horizon… », D. 2016, p. 1009.
- J.-F. Hamelin, « Les devoirs de se renseigner et d’information », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 9 avr. 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/04/09/les-devoirs-de-se-renseigner-et-dinformation/ [consulté le 03/06/2016].
- P. Puig, « La phase précontractuelle », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 52.
- J. Raynard, « De l’influence de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats sur la négociation des accords industriels », Propr. industr. 2016, n° 5, alerte 36.
- G. Reiner, « Le processus de formation du contrat dans le projet d’ordonnance de la Chancellerie – quelques commentaires (Commentaire allemand) », La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, dir. R. Schulze et alii, Société de législation comparée, 2015, p. 53, spéc. p. 64-66.
Notes de bas de page
[1] On le déduit de l’emploi de l’adverbe « impérativement ». Les partenaires peuvent conclure un avant-contrat ayant pour objet de régir les pourparlers, mais un tel contrat ne peut écarter l’exigence de bonne foi.
[2] Cass. com., 7 janv. 1997, n° 94-21.561 ; 7 avr. 1998, n° 95-20.361.
[3] Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10.243, arrêt Manoukian.
[4] Cela ne devrait pas remettre en cause les obligations d’information spéciales que la Cour de cassation a imposées, dans certains contrats spéciaux, à la charge de la partie professionnelle et au profit de l’autre partie profane (ou professionnelle, mais de spécialité différente). Il serait par exemple étonnant qu’un vendeur professionnel puisse échapper à son obligation d’information sur la chose vendue au motif qu’il ignorait lui-même l’information : en tant que vendeur professionnel, il est tenu de se renseigner lui-même sur la chose qu’il vend et sur les besoins de l’acheteur (Cass. civ. 1re, 30 mai 2006, n° 03‑14.275) afin de pouvoir délivrer à l’acheteur une information pertinente.
[5] L’idée est que toute publicité présente nécessairement le produit de façon flatteuse, en exagérant parfois sur ses qualités, le consommateur avisé doit en avoir conscience et cette pratique est donc licite tant qu’elle reste dans des proportions acceptables.
[6] Cass. civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98‑11.381, arrêt Baldus.
[7] Cass. civ. 3e, 17 janv. 2007, n° 06-10.442.
[8] V. Cass. com., 17 mars 2015, n° 13-25.142 et ma note au JCP E 2015, 1220.
[9] Cass. civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685 : « Attendu que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation », attendu de principe rendu au visa de l’article 1315 ancien du Code civil. Certains auteurs contestent la pertinence de cette utilisation de l’ancien article 1315 : le créancier de l’obligation d’information ne réclamerait pas l’exécution de l’obligation d’information, mais chercherait uniquement à engager la responsabilité civile du débiteur. Ainsi, selon ces auteurs, le créancier de l’obligation d’information chercherait à obtenir l’exécution, non pas de l’obligation d’information, d’une obligation de réparation. L’application de l’ancien article 1315, alinéa 1er, devrait donc conduire à faire peser sur le créancier la charge de la preuve de l’existence de l’obligation de réparation, ce qui impliquerait qu’il démontre le fait générateur de responsabilité, c’est-à-dire l’inexécution de l’obligation d’information. Ainsi, selon ces auteurs, la Cour de cassation ferait une interprétation contra legem de l’ancien article 1315 en faisant peser la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information sur son débiteur.