Présentation des articles 1301 à 1301-5 du nouveau chapitre I « La gestion d’affaires »

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

La notion et le régime de la gestion d’affaires sont conservés par l’ordonnance qui se contente de moderniser les dispositions du Code civil y relatives afin de prendre en compte les apports de la jurisprudence.

Articles en vigueur au 1er octobre 2016 Articles abrogés le 1er octobre 2016
Art. 1301.- Celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire. Art. 1372.- Lorsque volontairement on gère l’affaire d’autrui, soit que le propriétaire connaisse la gestion, soit qu’il l’ignore, celui qui gère contracte l’engagement tacite de continuer la gestion qu’il a commencée, et de l’achever jusqu’à ce que le propriétaire soit en état d’y pourvoir lui-même ; il doit se charger également de toutes les dépendances de cette même affaire.

Il se soumet à toutes les obligations qui résulteraient d’un mandat exprès que lui aurait donné le propriétaire.

Art. 1301-1.- Il est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable ; il doit poursuivre la gestion jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou son successeur soit en mesure d’y pourvoir.

Le juge peut, selon les circonstances, modérer l’indemnité due au maître de l’affaire en raison des fautes ou de la négligence du gérant.

Art. 1373.- Il est obligé de continuer sa gestion, encore que le maître vienne à mourir avant que l’affaire soit consommée, jusqu’à ce que l’héritier ait pu en prendre la direction.

Art. 1374.- Il est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins raisonnables.

Néanmoins les circonstances qui l’ont conduit à se charger de l’affaire peuvent autoriser le juge à modérer les dommages et intérêts qui résulteraient des fautes ou de la négligence du gérant.

Art. 1301-2.- Celui dont l’affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant.

Il rembourse au gérant les dépenses faites dans son intérêt et l’indemnise des dommages qu’il a subis en raison de sa gestion.

Les sommes avancées par le gérant portent intérêt du jour du paiement.

Art. 1375.- Le maître dont l’affaire a été bien administrée doit remplir les engagements que le gérant a contractés en son nom, l’indemniser de tous les engagements personnels qu’il a pris, et lui rembourser toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu’il a faites.
Art. 1301-3.- La ratification de la gestion par le maître vaut mandat.
Art. 1301-4.- L’intérêt personnel du gérant à se charger de l’affaire d’autrui n’exclut pas l’application des règles de la gestion d’affaires.

Dans ce cas, la charge des engagements, des dépenses et des dommages se répartit à proportion des intérêts de chacun dans l’affaire commune.

Art. 1301-5.- Si l’action du gérant ne répond pas aux conditions de la gestion d’affaires mais profite néanmoins au maître de cette affaire, celui-ci doit indemniser le gérant selon les règles de l’enrichissement injustifié.

Définition de la gestion d’affaires (art. 1301). Plusieurs critères, classiques, se dégagent de l’article 1301.

Le gérant doit gérer sciemment l’affaire d’autrui. Si le gérant n’intervient pas sciemment, alors c’est plutôt la qualification d’enrichissement injustifié qui devra être envisagée (V. art. 1301-5) ou celle de paiement indu.

Le gérant ne doit pas être tenu (obligé) de gérer l’affaire d’autrui, sinon on appliquera le régime relatif à cette obligation de gestion. Par exemple le plombier qui répare une fuite dans une maison à la demande de son propriétaire ne peut pas invoquer à son égard les règles de la gestion d’affaires : le plombier était tenu d’intervenir en vertu d’un contrat d’entreprise, c’est donc le régime de ce contrat d’entreprise qu’il faudra appliquer.

La gestion de l’affaire d’autrui doit être utile. Si la gestion est intempestive (c’est-à-dire inutile, voire contraire aux intérêts du maître de l’affaire), alors le pseudo-gérant ne peut bénéficier du régime de la gestion d’affaires et il pourra même engager sa responsabilité civile. Le terme « utile » permet potentiellement d’englober un très large panel de situations. Il est certain que les actes conservatoires sont utiles. Au-delà des actes conservatoires, le législateur a laissé une marge d’appréciation importante aux juges.

Le texte précise ensuite que la gestion doit se faire « à l’insu ou sans opposition du maître » de l’affaire. Une difficulté peut se poser lorsque le maître de l’affaire a connaissance de la gestion, mais ne s’y oppose pas. En effet, on peut se demander dans cette hypothèse si l’absence d’opposition du maître de l’affaire ne peut pas s’analyser en un consentement tacite : on serait alors en présence d’un véritable mandat tacite et non d’une gestion d’affaires. L’article 1985 du Code civil prévoit la possibilité pour le mandataire de manifester son consentement de façon tacite, mais ne le prévoit pas pour le mandant. Cela n’a pas empêché la jurisprudence de reconnaître la possibilité d’un consentement tacite du mandant[1]. Rappelons toutefois que le silence seul ne vaut pas acceptation « à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières » (art. 1120).

Enfin, le gérant de l’affaire peut accomplir aussi bien des actes juridiques que matériels. Ainsi, en cas de fuite chez le maître de l’affaire qui est parti en vacances, le gérant peut aussi bien faire appel à un plombier au nom et pour le compte du maître de l’affaire (acte juridique) que réparer lui-même la fuite (acte matériel).

Le régime de la gestion d’affaires est, de façon classique, analogue à celui du contrat de mandat (art. 1301 à 1301-2). C’est la raison pour laquelle la doctrine parle parfois de « quasi-mandat » à propos de la gestion d’affaires : elle produit les mêmes effets, mais il ne s’agit pas d’un contrat de mandat car le gérant de l’affaire n’a pas consenti à la gestion. L’analogie a bien sûr ses limites, puisque la gestion d’affaire peut couvrir des actes matériels, alors que le contrat de mandat ne peut avoir pour objet que la conclusion d’actes juridiques par le mandataire au nom du mandant.

Ainsi, le gérant de l’affaire est soumis aux mêmes obligations que le mandataire (art. 1301). Ces obligations sont énumérées aux articles 1991 et suivants. Certaines de ces obligations sont reprises ou précisées par l’ordonnance. L’article 1301-1, alinéa 2, prévoit par exemple que le juge peut prendre en compte les circonstances pour modérer l’indemnité due au maître de l’affaire en cas de faute du gérant : il s’agit ici d’un rappel de la règle de l’article 1992, alinéa 2, qui dispose que le comportement du mandataire doit être apprécié moins rigoureusement lorsqu’il agit à titre gratuit que lorsqu’il reçoit un salaire. Ainsi, si le gérant agit dans l’intérêt exclusif du maître de l’affaire, cet altruisme justifie que son comportement soit apprécié avec bienveillance : certaines négligences peuvent être excusées

Les obligations du maître de l’affaire sont également analogues à celles d’un mandant (art. 1301-2), même si l’ordonnance ne renvoie pas, sur ce point, aux dispositions relatives au mandat. Le premier alinéa dispose que « celui dont l’affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant ». Une distinction était faite auparavant, par la jurisprudence, selon que le gérant a indiqué ou non, au moment où il a contracté avec les tiers, qu’il agissait au nom du maître de l’affaire. Il n’est pas certain que le nouvel article 1301-2 maintienne cette distinction. Deux interprétations sont possibles.

Première interprétation possible : la réforme n’affecte pas le droit positif antérieur sur ce point. Si la gestion est utile et que le gérant a indiqué aux tiers qu’il agissait au nom et pour le compte du maître de l’affaire, alors ce dernier est seul engagé vis-à-vis des tiers par les actes conclus par le gérant[2]. Si le gérant n’a pas indiqué aux tiers qu’il contractait au nom du maître de l’affaire, mais que sa gestion est utile, alors le gérant est seul tenu personnellement vis-à-vis des tiers, mais le maître de l’affaire devra rembourser et indemniser le gérant (art. 1301-2, al. 2). Enfin, si la gestion n’a pas été utile pour le maître de l’affaire, mais que le gérant a agi en son nom, alors le gérant sera en principe seul engagé vis-à-vis des tiers (art. 1301-2, al. 1er), sauf si les tiers peuvent prouver l’existence d’une représentation apparente (V. art. 1156).

Deuxième interprétation possible : l’alinéa 1er de l’article 1301-2, en disposant que « celui dont l’affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant », ne distingue plus selon que le gérant a prévenu le tiers qu’il agissait au nom et pour le compte du maître de l’affaire. Le maître de l’affaire serait ainsi tenu vis-à-vis du tiers, dès lors que la gestion est utile, des engagements contractés par le gérant. Ainsi, si le gérant a prévenu le tiers qu’il agissait au nom et pour le compte du maître, seul le maître serait engagé vis-à-vis du tiers. Dans l’hypothèse inverse, le tiers aurait deux débiteurs : le maître et le gérant. Dans les deux cas, le maître reste tenu d’indemniser le gérant de ses dépenses et des dommages subis (art. 1301-2, al. 2) dès lors que les conditions de la gestion d’affaires sont réunies (gestion utile, etc.). Lorsque les conditions de la gestion d’affaires ne sont pas réunies, les tiers peuvent toujours tenter d’établir l’existence d’un mandat apparent (art. 1156).

L’article 1301-3 consacre la jurisprudence selon laquelle la ratification de la gestion par le maître de l’affaire vaut mandat. Par la fiction de la rétroactivité, on considère que le gérant de l’affaire a agi ab initio en vertu d’un mandat. C’est par conséquent le régime du mandat que l’on appliquera, de façon rétroactive, à la gestion. Il n’est dès lors plus nécessaire de démontrer que les conditions de la gestion d’affaires sont réunies. Peu importe, notamment, que la gestion ait été utile ou non au maître de l’affaire dès lors que celui-ci l’a ratifiée[3].

Le gérant de l’affaire doit agir dans l’intérêt du maître de l’affaire, mais pas nécessairement dans son intérêt exclusif (art. 1301-4). L’ordonnance consacre ici la jurisprudence qui admettait la qualification de gestion d’affaires même lorsque le gérant agissant en partie dans son intérêt propre[4]. L’alinéa 2 de l’article apporte une précision utile : « la charge des engagements, des dépenses et des dommages se répartit à proportion des intérêts de chacun dans l’affaire commune ». Le maître de l’affaire ne devra donc pas nécessairement rembourser et indemniser intégralement le gérant de l’affaire lorsque celui-ci avait lui-même un intérêt à gérer l’affaire.

L’article 1301-5 précise de façon expresse que l’action de in rem verso (en cas d’enrichissement injustifié) est ouverte lorsque la gestion a profité au maître de l’affaire, mais qu’elle ne remplit pas les conditions de la gestion d’affaires. Ainsi que nous le verrons, l’enrichissement injustifié est un fondement subsidiaire moins intéressant que la gestion d’affaires pour le gérant, puisque celui qui s’est enrichi ne doit verser à l’appauvri qu’une indemnité correspondant à la plus faible des deux sommes entre la valeur de l’enrichissement et la valeur de l’appauvrissement corrélatif (art. 1303). Ainsi, lorsqu’il y a un écart entre ces deux sommes, l’appauvri ne sera pas indemnisé la totalité de son appauvrissement.

La rédaction de l’article 1301-5 est un peu trop générale. En effet, lorsque l’action du gérant ne répond pas aux conditions de la gestion d’affaires mais profite néanmoins au maître de cette affaire, le maître de l’affaire devra parfois indemniser le gérant sur le fondement des règles du paiement de l’indu, et non sur le fondement des règles de l’enrichissement injustifié qui sont subsidiaires (art. 1303-3). Ainsi, lorsqu’une personne a payé la dette d’autrui par erreur, il a géré l’affaire d’autrui, mais non sciemment, les règles de la gestion d’affaires ne peuvent donc pas être appliquées (art. 1301). Bien que la gestion ait aussi profité au maître de l’affaire, qui a été enrichi par le paiement du gérant[5], ce sont bien les règles du paiement de l’indu qui seront appliquées (art. 1302-2, al. 2), et non les règles de l’enrichissement injustifié, contrairement à ce que pourrait laisser croire la formule trop générale de l’article 1301-5.

Pour aller plus loin

(Bibliographie non exhaustive)

  • R. Libchaber, « Le malheur des quasi-contrats », Dr. et patr. n° 258, mai 2016, p. 73.
  • E. Terrier, « Les quasi-contrats dans la réforme du droit des contrats : ‘l’avenir d’une illusion’ », La réforme du droit des contrats : actes de colloque, 1ère Journée Cambacérès, 3 juillet 2015, Montpellier, Université de Montpellier, 2015, p. 139.

Notes de bas de page

[1] Cass. civ. 1re, 22 oct. 1996, n° 94-15.613.

[2] Cass. civ. 1re, 14 janv. 1959, D. 1959, p. 106-107 : « Attendu que le gérant d’affaires n’est pas personnellement obligé envers le tiers avec lequel il contracte pour autrui, à l’exécution des obligations naissant de ce contrat s’il s’est présenté à ce tiers, explicitement ou implicitement, comme agissant pour le compte du maître de l’affaire, et sauf stipulation contraire » (arrêt rendu au visa de l’article 1134 ancien).

[3] Cass. com., 4 déc. 1972, n° 71-11.729.

[4] Cass. civ. 1re, 12 janv. 2012, n° 10-24.512. En l’espèce une personne a payé les dettes d’une autre pour éviter la saisie de ses biens immobiliers. La cour d’appel a écarté la qualification de gestion d’affaires au motif que le solvens a payé les dettes parce qu’il était lui-même créancier du débiteur et qu’il voulait protéger l’assiette de son droit de gage général. La Cour de cassation a cassé l’arrêt au motif que la gestion avait été utile puisqu’elle a permis au maître de l’affaire d’éviter la saisie de ses biens et a permis l’extinction de ses dettes et que le fait que le gérant ait agit à la fois dans son intérêt propre et dans celui du maître de l‘affaire n’était pas exclusif de la qualification de gestion d’affaires.

[5] Rappelons à cet égard que l’enrichissement ne se limite pas à l’hypothèse de l’augmentation de l’actif de l’enrichi : il y a aussi enrichissement en cas de diminution du passif, ce qui est le cas lorsqu’une dette est payée par autrui (le passif diminue, sans que l’actif ne diminue de façon corrélative, il y a donc bien enrichissement du débiteur).

Comment citer cet article ?

C. François, « Présentation des articles 1301 à 1301-5 du nouveau chapitre I “La gestion d’affaires” », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre3/​stitre3/​chap1-gestion-affaires/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 01/07/2016.
Dernière mise à jour le 27/08/2017.