La réforme du droit des contrats, du régime général de l’obligation et du droit de la preuve est le premier temps d’un mouvement prévu pour en comporter deux. La seconde étape est la réforme de la responsabilité civile, un avant-projet de loi ayant été publié le vendredi 29 avril 2016[1]. Le Gouvernement a souhaité attendre ce deuxième temps pour réformer les dispositions relatives à la responsabilité contractuelle. L’ordonnance conserve donc la substance des anciennes dispositions du Code civil relatives à la responsabilité civile contractuelle. De nombreux changements formels ont toutefois été effectués ainsi que quelques changements mineurs de fond. L’objectif est de faire coïncider davantage la lettre de ces dispositions avec leurs interprétations jurisprudentielles et de modifier certaines dispositions anciennes qui étaient incompatibles avec les nouvelles dispositions introduites par l’ordonnance.
Articles en vigueur au 1er octobre 2016 | Articles abrogés le 1er octobre 2016 |
Art. 1231.- A moins que l’inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s’exécuter dans un délai raisonnable. | Art. 1146.- Les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté néanmoins lorsque la chose que le débiteur s’était obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu’il a laissé passer. La mise en demeure peut résulter d’une lettre missive, s’il en ressort une interpellation suffisante. |
Art. 1231-1.- Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. | Art. 1147.- Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. |
Art. 1231-2.- Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. | Art. 1149.- Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. |
Art. 1231-3.- Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. | Art. 1150.- Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. |
Art. 1231-4.- Dans le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution. | Art. 1151.- Dans le cas même où l’inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l’égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention. |
Art. 1231-5.- Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent. Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite. Sauf inexécution définitive, la pénalité n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure. |
Art. 1152.- Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte, ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite. Art. 1231.- Lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la peine convenue peut, même d’office, être diminuée par le juge à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’article 1152. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite. Art. 1230.- Soit que l’obligation primitive contienne, soit qu’elle ne contienne pas un terme dans lequel elle doive être accomplie, la peine n’est encourue que lorsque celui qui s’est obligé soit à livrer, soit à prendre, soit à faire, est en demeure. |
Art. 1231-6.- Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire. |
Art. 1153.- Dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte. Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d’un autre acte équivalent telle une lettre missive s’il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance. |
Art. 1231-7.- En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.
En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel. Le juge d’appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa. |
Art. 1153-1.- En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.
En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel. Le juge d’appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa. |
L’exigence d’une mise en demeure du débiteur de s’exécuter dans un délai raisonnable est maintenue (art. 1231). La classification des obligations selon leur objet (faire, ne pas faire ou donner) étant abandonnée, l’ancien article 1146 a été réécrit : la mise en demeure n’est pas requise si l’inexécution est définitive, ce qui est une règle de bon sens (ex. : obligation de confidentialité qui a été violée). La partie de l’ancien article 1146 relative à la forme de la mise en demeure a été transférée à l’article 1344 du Code civil.
Le débiteur est condamné au paiement de dommages-intérêts en cas d’inexécution ou de retard dans l’exécution, sauf cas de force majeure (art. 1231-1). Le texte précise « s’il y a lieu » puisque l’existence d’un préjudice réparable et d’un lien de causalité doit être démontrée. L’article 1231-1 est une reprise de l’ancien article 1147. L’expression « cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part » a été remplacée, pour des questions de simplification, par l’expression « force majeure », qui signifie la même chose.
Le débiteur est en principe tenu de la perte subie et du gain manqué par le créancier du fait de l’inexécution (art. 1231-2). Le contenu de l’ancien article 1149 est ici intégralement repris.
Seuls les dommages prévisibles au jour de la conclusion du contrat doivent être indemnisés, sauf faute lourde ou dolosive (art. 1231-3). La règle classique de l’ancien article 1150 est conservée. Le contrat étant un instrument de prévision, le débiteur ne s’engage pas, sauf clause contraire, à prendre en charge en cas d’inexécution les dommages qu’il ne peut prévoir au jour où il s’engage. L’ordonnance modifie légèrement la formule de l’ancien article 1150 en consacrant la jurisprudence qui soumet la faute lourde au même régime que la faute dolosive. On dit que la faute lourde est équipollente au dol[2]. La faute dolosive consiste en une inexécution intentionnelle du contrat. La faute lourde est une faute d’imprudence délibérée tellement grave qu’elle fait en quelque sorte présumer l’intention du débiteur de ne pas exécuter le contrat, même si cette intention n’est pas caractérisée stricto sensu (sinon il s’agirait d’une faute dolosive).
Il est regrettable que l’ordonnance ne précise pas le mode d’appréciation de la faute lourde. La jurisprudence était très confuse sur ce point en matière de clauses limitatives de réparation (rappelons que la faute lourde neutralise l’efficacité des clauses limitatives de réparation[3]), oscillant entre conception subjective et conception objective de la faute lourde. Selon la conception subjective, il y a faute lourde lorsque le comportement du débiteur (le sujet) est particulièrement grave et dénote son inaptitude à exécuter ses engagements. Selon la conception objective, il y a faute lourde lorsque l’obligation inexécutée était une obligation essentielle, c’est donc l’importance de l’obligation violée qui importe (l’objet) et non le comportement du débiteur (le sujet). La Cour de cassation, après une période d’hésitation, a clairement tranché en faveur de la conception subjective en matière de clauses limitatives de réparation[4].
Un lien de causalité direct et certain est exigé entre l’inexécution et le préjudice, même en cas de faute lourde ou dolosive (art. 1231-4). L’ancien article 1151 est ici repris en substance. Les dommages-intérêts punitifs sont donc pour l’instant exclus (comp. avec l’article 1266 de l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile qui prévoit d’instaurer un mécanisme d’amende civile).
Le régime des clauses pénales est conservé (art. 1231-5). Les dispositions des anciens articles 1151, 1230 et 1231 sont désormais rassemblées dans un seul article. La clause pénale peut toujours être révisée à la baisse ou à la hausse par le juge si son montant est manifestement excessif ou dérisoire, ce qui s’apprécie par rapport au montant du préjudice réellement subi (al. 2). Le montant de la clause pénale peut aussi être révisé lorsque l’inexécution n’est que partielle (al. 3). Ces deux alinéas sont d’ordre public (al. 4). La mise en demeure préalable du débiteur est requise, sauf inexécution définitive (al. 5).
Le Gouvernement n’a pas conservé la définition de la clause pénale des anciens articles 1226 et 1229, al. 1er, jugés « inutiles ». On peut regretter que les difficultés de qualification que la notion soulève (notamment pour la distinguer de la clause limitative de réparation) ne trouvent aucune réponse dans l’ordonnance.
Les dommages-intérêts moratoires (art. 1231-6). Ce sont des dommages-intérêts dus du seul fait d’un retard dans l’exécution d’une obligation de somme d’argent (al. 2). On les oppose aux dommages-intérêts compensatoires qui ont pour objet de compenser un préjudice et aux dommages-intérêts punitifs qui infligent une peine indépendante de tout préjudice et de tout retard dans l’exécution (ce dernier type de dommages-intérêts n’est pas admis en droit positif en dehors de l’hypothèse de la clause pénale).
Ces dommages-intérêts commencent à courir à compter de la mise en demeure du débiteur (art. 1231-6, al. 1er). Le taux légal s’applique, mais cette disposition est supplétive et les parties peuvent donc stipuler conventionnellement un taux différent (le rapport remis au Président de la République indique que le caractère supplétif de cette disposition est indiqué expressément dans le texte, ce qui n’est manifestement pas le cas, il s’agit donc vraisemblablement d’un oubli qui n’emporte aucune conséquence sur le fond dès lors que le caractère supplétif de cette disposition dans la volonté du législateur ne fait aucun doute).
La production d’intérêts par la condamnation à une indemnité est régie par l’article 1231-7 qui reprend intégralement le contenu de l’ancien article 1153-1. L’indemnité produit de plein droit des intérêts au taux légal, sauf disposition contraire ou décision contraire du juge, à compter du prononcé du jugement (al. 1er). En cas de confirmation « pure et simple » de la condamnation de première instance par la cour d’appel, l’indemnité produit des intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance, sauf décision contraire du juge (al. 2). A contrario, lorsque la cour d’appel rend un arrêt qui ne se contente pas de confirmer « purement et simplement » le jugement de première instance[5], alors l’indemnité ne produit des intérêts qu’à compter du prononcé de la décision d’appel, là encore sauf décision contraire du juge.
Pour aller plus loin
(Bibliographie non exhaustive)
- J.-S. Borghetti, « Une réforme, un regret », RDC 2016/1, p. 1.
- Y.-M. Laithier, « Les sanctions de l’inexécution du contrat », RDC 2016, n° Hors-série d’avril 2016, p. 39, spéc. p. 40-41.
- V. aussi les références bibliographiques indiquées dans la page de présentation de la Section 5 : « L’inexécution du contrat ».
Notes de bas de page
[1] La Chancellerie a toutefois précisé que le texte ne pourrait pas être adopté pendant la présente mandature du fait de contraintes temporelles.
[2] Le dol étant ici entendu au sens de faute dolosive (au stade de l’exécution du contrat) et non au sens de vice du consentement (au stade de la formation du contrat). Assimilant la faute lourde à la faute dolosive, V. not. : Cass. com., 26 sept. 2006, inédit, n° 04-18.232 ; 4 mars 2008, 07-11.790.
[3] Pour une synthèse sur le sujet, V. C. François, « Les clauses limitatives de réparation – Fiche notion », Blog de Clément François, http://www.clementfrancois.fr/fiche-clauses-limitatives-de-reparation/ [consulté le 01/07/2016].
[4] Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, arrêt Faurecia 2 : « attendu que la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».
[5] Ainsi la moindre modification de la décision de première instance, le moindre ajout au dispositif de cette décision, devrait avoir pour conséquence de faire courir les intérêts de la créance d’indemnité à compter de la date de l’arrêt d’appel, sauf décision contraire de la cour d’appel.