L’effet relatif des contrats et leur opposabilité aux tiers sont désormais clairement différenciés dans deux articles distincts. Le régime de la simulation n’est pas affecté par l’ordonnance ; les articles qui lui sont consacrés ont été transférés dans le chapitre relatif à l’effet des contrats, alors qu’ils figuraient auparavant parmi les dispositions relatives à la preuve (anc. art. 1321 et 1321-1). Cette nouvelle position est préférable, mais n’est toujours pas totalement satisfaisante : l’article 1202 énonce les conditions de validité de la contre-lettre, il aurait donc davantage sa place dans le chapitre II (« La formation du contrat »), et plus précisément dans la section 2 de ce chapitre (« La validité du contrat »), que dans le chapitre relatif aux effets des contrats.
Articles en vigueur au 1er octobre 2016 | Articles abrogés le 1er octobre 2016 |
Art. 1199.- Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties.
Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV. |
Art. 1165.- Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121. |
Art. 1200.- Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat.
Ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait. |
|
Art. 1201.- Lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre, produit effet entre les parties. Il n’est pas opposable aux tiers, qui peuvent néanmoins s’en prévaloir. | 1321.- Les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu’entre les parties contractantes ; elles n’ont point d’effet contre les tiers. |
Art. 1202.- Est nulle toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel.
Est également nul tout contrat ayant pour but de dissimuler une partie du prix, lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles, une cession de fonds de commerce ou de clientèle, une cession d’un droit à un bail, ou le bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle. |
Art. 1321-1.- Est nulle et de nul effet toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel et toute convention ayant pour but de dissimuler partie du prix d’une vente d’immeubles ou d’une cession de fonds de commerce ou de clientèle ou d’une cession d’un droit à un bail ou du bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle. |
Le principe de l’effet relatif des contrats, qui figurait à l’ancien article 1165, apparaît désormais à l’article 1199. L’ancien article 1165 énonçait de façon trompeuse que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes », or les contrats s’inscrivent dans l’ordonnancement juridique et sont donc, à ce titre, susceptibles d’avoir des effets vis-à-vis des tiers (c’est le principe de l’opposabilité, V. infra, art. 1200). Le nouvel article 1199 retient une formule plus explicite : l’effet relatif signifie seulement que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties », c’est-à-dire que les parties ne peuvent pas créer de dettes à la charge d’un tiers, mais elles ne peuvent guère plus créer de créances au profit d’un tiers. L’effet relatif des contrats interdit donc aux parties d’ériger un tiers en créancier ou débiteur d’une obligation. Il ne s’agit bien sûr que d’un principe, qui tolère donc des exceptions, importantes en pratique, comme la stipulation pour autrui (art. 1205 et s.)[1]. La nouvelle formule est donc plus précise, peut-être même un peu trop. Il est trop restrictif de dire que le contrat ne peut créer des obligations qu’entre les parties : il faudrait ajouter que le contrat ne peut en principe modifier ou éteindre que des obligations qui existent entre les parties. Un contrat ne peut par exemple pas avoir pour effet d’éteindre la dette d’un tiers, sauf exception (V. par exemple la novation par changement de débiteur, art. 1332).
L’article 1199, alinéa 2, précise que « les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter ». Le Gouvernement n’ayant pas été habilité à réformer le droit de la responsabilité civile[2], ce nouvel article ne devrait pas affecter le principe dégagé par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2006 (arrêt Myr’ho) selon lequel « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage »[3]. Dans cette hypothèse le tiers ne demande pas l’exécution du contrat stricto sensu, il demande uniquement à ce que son préjudice soit indemnisé sur le fondement de l’article 1240 (anc. art. 1382), cette jurisprudence ne devrait donc pas être brisée par le nouvel article 1199, alinéa 2.
L’effet relatif des contrats n’étant qu’un principe, l’alinéa 2 de l’article 1199 supporte lui aussi plusieurs exceptions. Le texte vise notamment la stipulation pour autrui[4] (art. 1205 et s.), l’action oblique[5] (art. 1341-1) et les actions directes[6] (art. 1341-3).
L’opposabilité des contrats aux tiers est désormais clairement distinguée de la question de l’effet relatif des contrats (art. 1200). Ainsi, le contrat translatif de propriété ne crée pas d’obligations à la charge ou au profit d’un tiers (l’effet relatif des contrats est donc respecté), mais entraîne néanmoins un transfert de propriété que les tiers sont tenus de respecter (dans les limites et conditions prévues par l’article 1198).
Le régime légal et jurisprudentiel de la simulation est conservé (art. 1201). La simulation est une opération par laquelle des parties concluent un contrat (que l’on nomme contre-lettre) qu’elles choisissent de garder secret en faisant croire aux tiers qu’elles ont conclu un contrat distinct (que l’on nomme contrat apparent ou ostensible). Entre les parties, seule la contre-lettre produit des effets : une partie ne peut donc pas opposer à l’autre le contrat apparent, puisque ce dernier ne reflète pas la volonté réelle des parties. Les tiers, en revanche, peuvent se prévaloir vis-à-vis des parties soit de l’acte apparent, soit de la contre-lettre. Il est regrettable que le texte ne tranche pas la question des conflits d’intérêts entre tiers. En effet, les tiers ont le choix entre se prévaloir de la contre-lettre ou du contrat apparent, mais que faire lorsque certains tiers souhaitent se prévaloir de la contre-lettre et d’autres du contrat apparent, et que leurs choix sont incompatibles (notamment lorsque le contrat entraîne un transfert de propriété) ? L’ordonnance ne le précise pas. Dans ce cas de figure, la jurisprudence antérieure avait tendance à privilégier le contrat apparent, ce qui est logique pour des questions de sécurité juridique[7].
Ces principes s’appliquent naturellement à la condition que la simulation soit prouvée, à défaut seul l’acte apparent serait opposable, que ce soit entre les parties ou vis-à-vis des tiers. Les principes classiques de la preuve s’appliquent à la simulation. Le contrat apparent étant en général constaté dans un écrit, les parties ne pourront prouver la simulation qu’en produisant un autre écrit constatant la contre-lettre, car on ne peut prouver contre un écrit que par un autre écrit (art. 1359, al. 2)[8]. Les tiers, en revanche, peuvent prouver l’existence et le contenu de la contre-lettre par tous moyens. En effet on considère traditionnellement, même si l’explication est en réalité peu convaincante, que les contrats sont constitutifs de faits juridiques pour les tiers ; les principes relatifs à la preuve des faits juridiques (preuve par tous moyens) s’appliquent donc à leur égard.
Enfin, l’article 1202 prévoit la nullité de certaines contre-lettres. Cela permet de rappeler que la simulation est un procédé en principe légal : les contre-lettres sont des contrats parfaitement valables dès lors que les conditions classiques de validité des contrats sont respectées (la contre-lettre doit donc avoir un but et des stipulations conformes à l’ordre public, etc.).
Pour aller plus loin
(Bibliographie non exhaustive)
- A. Feray-Laurent et D. Louis-Caporal, « L’effet relatif du contrat », La réforme du droit des contrats : actes de colloque, 1ère Journée Cambacérès, 3 juillet 2015, Montpellier, Université de Montpellier, 2015, p. 279.
- X. Labbée, « Ou sont passés les ayants cause ? », JCP G 2016, 708.
- O. Sabard, « Les effets du contrat à l’égard des tiers », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 1er avr. 2015, http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/04/01/les-effets-du-contrat-a-legard-des-tiers/ [consulté le 03/06/2016].
Notes de bas de page
[1] En réalité même la stipulation pour autrui ne permet pas de rendre un tiers créancier sans son accord : le droit de créance ne naît réellement dans le patrimoine du bénéficiaire qu’à compter de son acceptation de la stipulation pour autrui et la stipulation peut être révoquée tant qu’elle n’a pas été acceptée (V. la sous-section suivante).
[2] La loi d’habilitation ne couvrait que le droit des contrats et le régime général de l’obligation. Le Gouvernement ambitionne désormais de réformer le droit de la responsabilité civile, mais pour l’instant les anciennes dispositions du Code civil relatives à la responsabilité civile ont été simplement renumérotées par l’ordonnance du 10 février 2016, elles n’ont pas été affectées sur le fond. Un avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile a été publié par la Chancellerie le 29 avril 2016, tout en annonçant que le texte ne pourrait pas être adopté pendant la présente mandature ( http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/avpjl-responsabilite-civile.pdf ).
[3] Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255.
[4] Le bénéficiaire de la stipulation pour autrui est tiers au contrat et il demande au promettant d’exécuter ce contrat.
[5] Le créancier demande au débiteur de son débiteur d’exécuter le contrat conclu entre celui-ci et celui-là, contrat auquel il est tiers.
[6] Le mécanisme est similaire à l’action oblique, à la différence près – de taille – que le fruit de l’action directe tombe directement dans le patrimoine du créancier agissant, alors que le fruit de l’action oblique tombe dans le patrimoine du débiteur du créancier agissant, ce dernier doit donc encore, après l’action oblique, effectuer une saisie à l’occasion de laquelle il peut entrer en concours avec d’autres créanciers de son débiteur.
[7] Cass. civ. 1re, 22 févr. 1983, n° 81-16.061. À condition naturellement que le tiers se prévalant du contrat apparent soit de bonne foi : s’il connaissait l’existence de la contre-lettre, on peut la lui opposer.
[8] L’aveu judiciaire, reine des preuves, et le serment décisoire permettent aussi de prouver contre un écrit (art. 1361).