Introduction

Publié par Clément François

ATER à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
IEJ Jean Domat

Alors que l’on s’apprêtait à fêter le bicentenaire de notre Code civil, une partie de la doctrine, pressée par le dessein d’une uniformisation du droit des obligations à l’échelle européenne, entreprit de dépoussiérer les titres III et IV de son livre III. De cette effervescence naquit deux projets doctrinaux majeurs, communément appelés avant-projet Catala[1] et projet Terré[2] du nom de leurs principaux instigateurs, et deux avant-projets de la Chancellerie[3].

Un changement de majorité et une crise économique plus tard, on pensait les dernières velléités de réforme enterrées. Ce n’était pas le cas !

Le 27 novembre 2013, le Gouvernement déposa un projet de loi au Sénat dont l’une des dispositions l’habilitait à réformer le droit des contrats, des quasi-contrats, du régime général de l’obligation et de la preuve. Seule la responsabilité civile était exclue du périmètre de l’habilitation, celle-ci devant être réformée dans un second temps. Malgré l’opposition du Sénat et d’une partie de la doctrine en raison du mode de réforme choisi – l’ordonnance, jugée peu démocratique – la loi fut définitivement adoptée et promulguée le 16 février 2015[4]. Le Gouvernement avait alors un délai de douze mois pour réformer les matières précitées[5].

Le 25 février 2015, la Chancellerie publia un avant-projet d’ordonnance et lança une consultation publique de deux mois[6]. Toutes les personnes intéressées étaient invitées à envoyer leurs suggestions de modifications à la Chancellerie. Près de 300 contributions d’universitaires et praticiens furent ainsi collectées[7]. L’ordonnance fut finalement adoptée le 10 février 2016. Sa publication au Journal officiel du 11 février 2016 fut accompagnée d’un rapport remis au Président de la République expliquant, presque article par article, la démarche entreprise par le Gouvernement[8]. Ce rapport apporte un éclairage intéressant au texte. Bien que dénué de toute force normative directe, il aidera l’interprète à saisir la ratio legis des dispositions ambiguës. Le rapport demeure néanmoins globalement laconique et s’avère même parfois approximatif, il n’est donc pas la panacée pour résoudre toutes les questions soulevées par l’ordonnance.

Le texte final de l’ordonnance a été perfectionné par rapport au texte de l’avant-projet. Certaines des contributions soumises à la Chancellerie ont vraisemblablement été prises en compte pour améliorer le texte, dans une proportion difficile à estimer puisque l’avis du Conseil d’État a aussi pu jouer un rôle[9].

L’ordonnance prévoit, pour sa majeure partie, une « codification à droit constant de la jurisprudence »[10].

Lorsque le Code civil ne contenait aucune disposition sur un thème donné, l’ordonnance en a créé pour consacrer les solutions jurisprudentielles qui ont progressivement comblé ces lacunes depuis 1804. C’est par exemple le cas des nouveaux articles 1112 et suivants relatifs à la période précontractuelle et au processus de formation du contrat, deux périodes très importantes qui n’étaient pourtant pas directement régies par le Code civil jusqu’à maintenant.

En présence de dispositions préexistantes, celles-ci ont pour l’essentiel été conservées, modernisées et complétées afin qu’elles reflètent davantage l’état du droit positif tel qu’il résulte de plus de deux siècles de jurisprudence. Les articles 1353 et suivants sont topiques, ils présentent de façon modernisée le droit de la preuve sans opérer de bouleversement sur le fond, ce que ne manquent pas de regretter la plupart des spécialistes de la matière.

Enfin, certaines dispositions, surannées, ont purement et simplement été supprimées. C’est le cas des anciens articles 1169 à 1171 qui opéraient une classification des conditions en trois catégories : casuelles, potestatives et mixtes.

L’ordonnance ne se contente pas de codifier la jurisprudence à droit constant. Elle fait évoluer le droit positif sur un certain nombre de points. Il s’agit parfois de changements très circonscrits. Par exemple, le paiement d’une obligation de somme d’argent est désormais portable et non quérable (art. 1343-4), alors que c’était auparavant au créancier de se déplacer au domicile du débiteur pour obtenir le paiement. Parfois il s’agit de changements plus significatifs, comme par exemple l’abandon de la jurisprudence Cruz qui considérait la rétractation irrégulière de la promesse unilatérale de vente par le promettant comme efficace (art. 1124, al. 2) ou encore l’abandon, pour la cession de créance de droit commun, des formalités d’opposabilité très lourdes de l’article 1690 (art. 1324, al. 1er). Parfois, enfin, ce sont de nouveaux mécanismes dont la validité est reconnue de façon générale, comme la cession de dette (art. 1327 et s.) ou la cession de contrat (art. 1216 et s.).

Sur bien des points, enfin, le caractère confus de la jurisprudence antérieure fait qu’il est difficile de dire si l’ordonnance innove ou consacre. Le nouvel article 1116 du Code civil, par exemple, énonce que la rétractation d’une offre avant son terme « empêche la conclusion du contrat». Est-ce une nouveauté ? Difficile à dire, puisque la doctrine est partagée sur l’interprétation à donner de la jurisprudence antérieure à l’ordonnance. Selon certains, « le juge n’a pas la faculté de décider que la sanction de la rétractation fautive est la conclusion du contrat proposé, contrairement à ce que préconisent beaucoup d’auteurs […]. Car la rétractation est efficace : les consentements n’ont pu se rencontrer »[11]. Pour d’autres, « du moment qu’il y a une offre et que sa révocation est illicite, la logique conduirait à admettre dans tous les cas que cette révocation est inefficace : l’acceptant pourrait donc exiger que l’on constate la formation du contrat »[12]. La plupart des auteurs, quelles que puissent être leurs opinions personnelles, reconnaissent qu’aucun arrêt récent n’a tranché clairement la question[13].

Seule une analyse article par article de la réforme permet donc d’en mesurer la portée. C’est la tâche que nous nous proposons d’accomplir à travers cette présentation de la réforme.

Notes de bas de page

[1] Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, P. Catala (dir.), remis au Garde des Sceaux en 2005 et consultable sur le site du Ministère de la Justice : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf [consulté le 14/06/2016].

[2] Le projet est découpé en trois ouvrages : Pour une réforme du droit des contrats, F. Terré (dir.), Dalloz, 2009 ; Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, F. Terré (dir.), Dalloz, 2011 ; Pour une réforme du régime général des obligations, F. Terré (dir.), Dalloz, 2013.

[3] 2008 pour le droit des contrats, 2011 pour le régime général et la preuve des obligations : http://www.textes.justice.gouv.fr/projets-de-reformes-10179/reforme-du-regime-des-obligations-et-des-quasi-contrats-22199.html [consulté le 14/06/2016].

[4] Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

[5] Art. 3 et 16, I, 3°, de la loi précitée.

[6] http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation-10179/reforme-du-droit-des-contrats-27897.html [consulté le 14/06/2016].

[7] http://www.justice.gouv.fr/le-garde-des-sceaux-10016/reforme-du-droit-des-contrats-28738.html.

[8] https://www.legifrance.gouv.fr/eli/rapport/2016/2/11/JUSC1522466P/jo/texte/fr.

[9] La consultation du Conseil d’État pour avis est obligatoire avant l’adoption d’une ordonnance en conseil des ministres (art. 38, al. 2, de la Constitution).

[10] Rapport remis au Président de la République.

[11] Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 7e éd., LGDJ, lextenso éditions, 2015, p. 241, n° 470.

[12] A. Bénabent, Droit des obligations, 14e éd., LGDJ, lextenso éditions, 2014, p. 47, n° 59.

[13] A. Bénabent, ibid. ; J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Droit civil, Les obligations, t. 1, L’acte juridique, 16e éd., Sirey, 2014, p. 129, n° 140.

Comment citer cet article ?

C. François, « Introduction », La réforme du droit des contrats présentée par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​introduction/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 26/06/2016.
Dernière mise à jour le 23/09/2016.