L’adoption conjointe est réservée aux couples mariés et le partage de l’autorité parentale n’est offert, en matière d’adoption, qu’au profit du conjoint de la mère ou du père de l’enfant (1).
Il était possible de se demander s’il n’existait pas une discrimination indirecte fondée sur l’orientation sexuelle des couples avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 (2) et si, aujourd’hui, un tel monopole est encore justifié (3).
1. Exclusion des couples non mariés
L’alinéa 1er de l’article 346 du Code civil réserve expressément l’adoption conjointe aux couples mariés. Aux termes de l’article 343 du Code civil, l’adoption plénière d’un enfant peut être demandée par deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de 28 ans.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, l’adoption conjointe est ouverte aux couples mariés de même sexe (art. 6-1 du C. civ.) et elle n’a pas à être simultanée. L’article 345-1, 1° du Code civil permet, en effet, à l’époux d’adopter ultérieurement l’enfant adoptif de son conjoint.
Art. 346 al. 1er C. civ. : « Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux. »
Art. 343 C. civ. : « L’adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans.»
Art. 6-1 C. civ. : « Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l’exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe. »
Art. 345-1 C. civ. : « L’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise :
1° Lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint ;
1° bis Lorsque l’enfant a fait l’objet d’une adoption plénière par ce seul conjoint et n’a de filiation établie qu’à son égard ;
2° Lorsque l’autre parent que le conjoint s’est vu retirer totalement l’autorité parentale ;
3° Lorsque l’autre parent que le conjoint est décédé et n’a pas laissé d’ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l’enfant. »
Selon les articles 365 et 356 alinéa 2 du Code civil, l’adoption plénière de l’enfant du conjoint laisse subsister sa filiation d’origine à l’égard de ce conjoint et l’adoption simple de l’enfant du conjoint permet un partage de l’autorité entre les époux.
En revanche, l’adoption plénière de l’enfant du partenaire ou du concubin rompt le lien de filiation entre l’enfant et le(s) parent(s) d’origine (art. 356 al. 1er du C. civ.) et l’adoption simple de l’enfant par le partenaire ou le concubin fait perdre au(x) parent(x) d’origine l’autorité parentale (art. 365 du C. civ.). L’adoption simple et l’adoption plénière ne répondent donc pas aux attentes des couples non mariés qui ne souhaitent ni une rupture du lien de filiation, ni un transfert de l’autorité parentale mais un partage de l’autorité parentale.
Art. 356 C. civ. : « L’adoption confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine : l’adopté cesse d’appartenir à sa famille par le sang, sous réserve des prohibitions au mariage visées aux articles 161 à 164.
Toutefois l’adoption de l’enfant du conjoint laisse subsister sa filiation d’origine à l’égard de ce conjoint et de sa famille. Elle produit, pour le surplus, les effets d’une adoption par deux époux. »
Art. 365 al. 1 C. civ. : « L’adoptant est seul investi à l’égard de l’adopté de tous les droits d’autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l’adopté, à moins qu’il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l’adopté ; dans ce cas, l’adoptant a l’autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l’exercice, sous réserve d’une déclaration conjointe avec l’adoptant adressée au greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d’un exercice en commun de cette autorité. »
2. Exclusion non discrimatoire des couples non mariés
Dans ces conditions, la conformité de l’article 365 du Code civil aux principes d’égalité devant la loi (art. 6 de la DDH) et de non-discrimination (art. 8 et 14 de la Conv. EDH) pouvait se poser avant la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. En effet, l’autorité parentale pouvait être partagée entre les parents biologique et adoptif mariés mais non entre les parents biologique et adoptif non mariés.
De prime abord, les partenaires et les concubins semblaient recevoir un traitement juridique identique. Ils ne pouvaient pas parvenir à un partage de l’autorité parentale en adoptant l’enfant de l’autre membre du couple.
Or, en analysant la situation de plus près, les partenaires et les concubins de sexe différent ne se trouvaient pas dans une situation strictement analogue aux partenaires et aux concubins de même sexe. Les premiers pouvaient parvenir à un partage de l’autorité parentale en se mariant alors que les seconds ne le pouvaient pas étant donné que le mariage ne leur était pas encore ouvert avant la loi du 17 mai 2013.
Il est alors à se demander si l’article 365 du Code civil ne faisait pas naître une inégalité indirecte entre les couples, fondée sur leur orientation sexuelle.
Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme ont été saisis de la question.
Le Conseil constitutionnel n’a pas véritablement tranché la question sur le fond mais a écarté le grief tiré de la violation de l’article 6 de la DDH en affirmant qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur (Cons. constit., 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC).
Cons. constit., 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC : « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences qu’il convient de tirer, en l’espèce, de la situation particulière des enfants élevés par deux personnes de même sexe ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l’art. 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté. »
De son côté, la Cour EDH n’a pas jugé l’article 365 du Code civil contraire à la Convention. Elle a estimé qu’il n’existait pas de différence de traitement discriminatoire entre les époux, qui ont la possibilité d’adopter l’enfant de leur conjoint, et les concubins, qui sont dans l’impossibilité d’adopter l’enfant de leur compagnon. Le partage de l’autorité parentale étant exclu tant à l’égard des concubins hétérosexuels qu’à l’égard des concubins homosexuels, il n’existait aucune différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle des requérants (CEDH, 15 mars 2012, n° 25951/07, Gas et Dubois c./ France). À l’inverse, la Cour EDH a estimé discriminatoire la législation autrichienne refusant l’adoption aux couples de concubins homosexuels et l’admettant à l’égard des couples de concubins hétérosexuels (CEDH, 19 févr. 2013, n° 19010/07, X. et autres c./ Autriche). Mais en raisonnant de la sorte, la Cour EDH ne se prononçait pas sur le caractère indirect de la discrimination.
CEDH, 15 mars 2012, n° 25951/07, Gas et Dubois c./ France : « la Cour doit examiner leur situation par rapport à celles des couples hétérosexuels non mariés. Ces couples peuvent avoir conclu un PACS, comme les requérantes, ou vivre en concubinage. Pour l’essentiel, la Cour relève que des couples placés dans des situations juridiques comparables, la conclusion d’un PACS, se voient opposer les mêmes effets, à savoir le refus de l’adoption simple (voir paragraphes 19, 24 et 31). Elle ne relève donc pas de différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle des requérantes. »
En tout état de cause, la question de la discrimination indirecte fondée sur l’orientation sexuelle du couple ne se pose plus depuis que la loi du 17 mai 2013 est venue ouvrir le mariage aux personnes de même sexe. Tous les couples peuvent désormais se marier afin de parvenir à un partage de l’autorité parentale au moyen de l’adoption.
3. Exclusion difficilement justifiable des couples non mariés
Si la loi du 17 mai 2013 a fait disparaître la question de la discrimination indirecte causée par la différence de traitement entre les couples en matière d’adoption, elle en a créé une nouvelle tenant à la justification d’une telle différence de traitement. En effet, dans l’esprit originel de la loi, la filiation adoptive devait imiter la filiation biologique. Par conséquent, l’adoption conjointe et l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple étaient réservées aux seuls couples mariés afin que le double lien de filiation de l’adopté soit établi à l’égard d’un homme et d’une femme. Or, la loi du 17 mai 2013 permet désormais un double lien de filiation envers deux hommes ou à l’égard de deux femmes. Partant, la restriction de l’adoption conjointe et de l’adoption de l’enfant de l’autre membre aux seuls couples mariés n’est plus justifiée et risque d’être de plus en plus contestée.
Pourquoi, en effet, le droit d’adopter ne serait-il pas fondé sur la stabilité de la vie commune à l’instar de la PMA ? Comment soutenir que la filiation adoptive soit ouverte à tous les couples – hétérosexuels et homosexuels – mariés et que la filiation par procréation médicalement assistée soit ouverte à tous les couples hétérosexuels mariés ou non ?
Face à cette contradiction, le rapport « Filiation, origines, parentalité » préconise une réforme globale de l’adoption et suggère notamment d’ouvrir l’adoption conjointe à tous les couples – mariés, pacsés et vivant en concubinage – de sexe différent ou de même sexe, d’une part, et de permettre l’adoption de l’enfant du partenaire et du concubin dans les mêmes conditions que l’adoption de l’enfant du conjoint.