Section 2 : Une différence de traitement entre les modes de conjugalité prochainement discriminatoire ?

Publié par Fanny Hartman

Chargée de mission à l'IEJ Jean Domat
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les principes d’égalité devant la loi et de non-discrimination, posés par les articles 6 de la DDH et 14 de la Conv. EDH, ne sont effectivement pas méconnus tant que le législateur règle de manière distincte des situations différentes. Or, un rapprochement entre le PACS et le mariage est actuellement perceptible sur le terrain des avantages patrimoniaux indirects qu’il s’agisse des droits fiscaux, des droits sociaux ou encore en matière de bail. Une telle proximité conduit à se demander si des condamnations pour violation des principes de non-discrimination et d’égalité devant la loi ne sont pas à prévoir en ces matières en cas de différence de traitement entre les deux modes de conjugalité.

Selon la CJCE, la différence de traitement entre les époux et les partenaires, en matière de pension de réversion, est cette fois discriminatoire. Elle contrevient à l’article 141 du traité CE, instaurant un principe d’égalité de traitement de la rémunération, et à la directive n° 2000/78, prohibant les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. En effet, à compter du décès, le partenaire survivant allemand ne perçoit aucune prestation de survie. À l’instar de la France, la pension de réversion est réservée aux époux. Or, le rapprochement entre le partenariat enregistré et le mariage conduit la CJCE à considérer que les partenaires et les époux se trouvent dans une situation comparable au sujet de la prestation de survie. Par conséquent, le refus d’étendre ladite prestation au partenaire survivant constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle puisque les couples homosexuels ne peuvent, en Allemagne, prétendre au mariage (CJCE, 1er avril 2008, n° C-267/06, affaire Maruko).

Une solution identique a été formulée en matière de jours de congés payés et de primes accordées pour la célébration d’un mariage. De tels avantages étant refusés pour la conclusion d’un PACS entre personnes de même sexe, la CJUE retient, à nouveau, l’existence d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle (CJUE, 12 déc. 2013, C-267/12, affaire Hay).

CJCE, 1er avril 2008, n° C-267/06, affaire Maruko : « La juridiction de renvoi estime que, compte tenu de ce rapprochement entre mariage et partenariat de vie, qu’elle considère comme une assimilation progressive et qui ressort, selon elle, du régime établi par le LPartG, et notamment des modifications intervenues avec la loi du 15 décembre 2004, le partenariat de vie, sans être identique au mariage, place les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui concerne la prestation de survie en cause au principal […]

À supposer que la juridiction de renvoi décide que les époux survivants et les partenaires de vie survivants sont dans une situation comparable pour ce qui concerne cette même prestation de survie, une règlementation telle que celle en cause au principal doit en conséquence entre considérée comme constitutive d’une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle, au sens des articles 1 paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78. »

CJUE, 12 déc. 2013, C-267/12, affaire Hay : « l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une convention collective, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un travailleur salarié qui conclut un PACS avec une personne de même sexe est exclu du droit d’obtenir des avantages, tels que des jours de congés spéciaux et une prime salariale, octroyés aux travailleurs salariés à l’occasion de leur mariage, lorsque la réglementation nationale de l’État membre concerné ne permet pas aux personnes de même sexe de se marier, dans la mesure où, compte tenu de l’objet et des conditions d’octroi de ces avantages, il se trouve dans une situation comparable à celle d’un travailleur qui se marie. »

La Cour EDH tend également à rapprocher le mariage et le partenariat enregistré pour, cette fois, justifier une différence de traitement à l’égard des concubins dans un arrêt du 29 avril 2008. En l’espèce, deux sœurs, ayant vécu ensemble tout au long de leur vie, considéraient la fiscalité successorale discriminatoire puisqu’elles ne pouvaient bénéficier des dispositions avantageuses réservées aux époux et aux partenaires. La Cour EDH refuse de suivre un tel raisonnement. Selon elle, les époux et les partenaires se trouvent dans une situation différente de celle des concubins en raison de l’engagement public auquel se sont soumis les premiers. Par conséquent, la différence de traitement entre les époux et les partenaires, d’une part, et les concubins, d’autre part, n’est pas discrimination et contraire à l’article 14 de la Conv. EDH en matière de fiscalité successorale (CEDH, 29 avril 2008, n° 13378/05, Bruden c./ Royaume-Uni).

CEDH, 29 avril 2008, n° 13378/05, Bruden c./ Royaume-Uni : « comme pour le mariage, les conséquences juridiques du partenariat civil fondé sur la loi de 2004 – dans lequel deux personnes décident expressément et délibérément de s’engager – distinguent ce type de relation des autres formes de vie commune. Plutôt que la durée ou le caractère solidaire de la relation, l’élément déterminant est l’existence d’un engagement public, qui va de pair avec un ensemble de droits et d’obligations d’ordre contractuel […].

En conclusion, la Grande Chambre considère donc que les requérantes, en tant que sœurs vivant ensemble, ne sauraient être comparées à des conjoints ou partenaires civils aux fins de l’article 14. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu discrimination, ni dès lors violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole 1. »

Les juridictions européennes semblent donc vouloir distinguer l’union institutionnalisée de l’union de fait en assimilant les époux et les partenaires en raison de leur engagement public et en les opposant aux concubins n’ayant contracté aucun engagement juridique contraignant.

Tel n’est pourtant pas l’opinion des juges nationaux qui continuent à voir des situations distinctes entre les époux, les partenaires et les concubins afin de justifier la différence de traitement entre eux. Ainsi, la pension de réversion demeure réservée aux époux malgré les préconisations de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et du Médiateur de la République visant à étendre son bénéfice aux partenaires. Les devoirs particuliers du mariage au cours de l’union et au stade de la séparation permettent au Conseil d’État et au Conseil constitutionnel d’affirmer que les époux, les partenaires et les concubins ne se trouvent pas dans des situations analogues. En conséquence, la différence de traitement entre les modes de conjugalité n’est pas contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi, au sens de l’article 6 de la DDH (CE, 18 juin 2010, n° 315076 ; Cons. constit., 29 juill. 2011, n° 2011-155 QPC ).

CE, 18 juin 2010, n° 315076 : « en vertu des dispositions du code civil, les conjoints sont assujettis à une solidarité financière et à un ensemble d’obligations légales, telles que la contribution aux charges de la vie commune, qui ne pèsent pas sur les personnes vivant en concubinage ; que cette différence de situation justifie, au regard de l’objet de la loi, la différence de traitement qu’elle institue entre les couples vivant en concubinage et ceux unis par les liens du mariage pour l’attribution du droit à une pension de réversion. »

Cons. constit., 29 juill. 2011, n° 2011-155 QPC : « les dispositions du Code civil ne confèrent aucune compensation pour perte de revenus en cas de cessation du pacte civil de solidarité au profit de l’un des partenaires, ni aucune vocation successorale au survivant en cas de décès d’un partenaire […] ; le régime du mariage a pour objet non seulement d’organiser les obligations personnelles, matérielles et patrimoniales des époux pendant la durée de leur union, mais également d’assurer la protection de la famille ; que ce régime assure aussi une protection en cas de dissolution du mariage »

« […] la différence de traitement quant au bénéfice de la pension de réversion entre les couples mariés et ceux qui vivent en concubinage ou sont unis par un pacte civil de solidarité ne méconnaît pas le principe d’égalité »

Au surplus, l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 permet aux juges de justifier très laconiquement la différence de traitement entre les modes de conjugalité par la simple observation qu’il n’y a plus de raison d’étendre les prérogatives du mariage puisque tous les couples peuvent désormais se marier pour en bénéficier.

De cette façon, l’article 227-3 du Code pénal peut valablement restreindre la condamnation pénale de toute personne n’exécutant pas une décision judiciaire, relative aux obligations familiales, aux seuls époux sans contrevenir au principe d’égalité. Il en est de même de la pension de réversion. L’option entre le mariage et le PACS relève du libre choix des personnes concernées (Cass. crim., 24 juin 2015, n° 14-88.175 ; Cass. civ. 2ème, 23 janv. 2014, n° 13-11.362).

Cass. crim., 24 juin 2015, n° 14-88.175 : « le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi pénale, instituer pour le mariage et le pacte civil de solidarité, qui relèvent du libre choix des personnes concernées, des régimes distincts comportant des conséquences juridiques différentes. »

Cass. civ. 2ème, 23 janv. 2014, n° 13-11.362 : « Mais attendu, d’une part, que la protection du mariage constitue une raison importante et légitime pouvant justifier une différence de traitement entre couples mariés et couples non mariés ; que, d’autre part, l’option entre mariage et pacte civil de solidarité procède en l’espèce du libre choix des intéressés […] ».

Comment citer cet article ?

F. Hartman, « Section 2 : Une différence de traitement entre les modes de conjugalité prochainement discriminatoire ? », Le droit des personnes et de la famille à l'épreuve des droits fondamentaux présenté par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​libertes-famille/​lecon2/​sect2-difference-traitement-prochainement-discriminatoire/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 21/07/2016.
Dernière mise à jour le 21/07/2016.