C : Effets de la modification du sexe à l’état civil

Publié par Fanny Hartman

Chargée de mission à l'IEJ Jean Domat
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

L’action d’état en changement de sexe aboutit à un jugement constitutif n’ayant pas d’effet rétroactif (Cass. civ. 1re, 14 nov. 2006, n° 04-10.058). Pourtant, le changement de sexe n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés quant au mariage (1) et à la filiation (2) de la personne transsexuelle.

1. Le mariage de la personne transsexuelle

Avant la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, le mariage postérieur au changement de sexe ne posait pas de difficultés (a). En revanche, de vives controverses s’étaient élevées sur le sort du mariage célébré antérieurement à la modification de la mention du sexe à l’état civil (b).

a. Sort du mariage postérieur au changement de sexe

La question du mariage à venir du transsexuel ne posait pas de réelles difficultés. Le transsexuel ne doit pas être privé du droit de se marier avec une personne de sexe opposé à son sexe apparent en application des articles 8 et 12 de la Conv. EDH (CEDH, 11 juill. 2002, n° 28957/95, C. Goodwin c./ Royaume-Uni).

CEDH, 11 juill. 2002, n° 28957/95, C. Goodwin c./ Royaume-Uni : « le fait que le droit national retienne aux fins de mariage le sexe enregistré à la naissance constitue en l’espèce une limitation portant atteinte à la substance même du droit de se marier. »

Depuis l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, le droit de se marier du transsexuel ne se limite plus à la personne de sexe opposé à son sexe apparent. Le transsexuel peut décider de se marier avec une personne de sexe opposé ou de sexe identique à son sexe apparent.

b. Sort du mariage antérieur au changement de sexe

Plus compliquée est la question du sort du mariage célébré antérieurement à la demande de changement de sexe. En effet, la modification du sexe au cours du mariage a pour conséquence d’unir deux personnes de même sexe alors que le droit français postulait la différence de sexes antérieurement à la loi du 17 mai 2013. Plusieurs solutions ont alors été explorées pour résoudre la difficulté.

Quelques juridictions ont, d’abord, refusé de faire droit à la demande de changement de sexe du transsexuel engagé dans les liens du mariage (TGI Besançon, 19 mars 2009, n° 08/02219 ; TGI Brest, 15 déc. 2011, n° 11/00975). Une telle solution présentait l’avantage de la simplicité et n’était pas contraire à la Conv. EDH. La Cour de Strasbourg avait, en effet, admis la subordination de la modification du sexe à la transformation du mariage en partenariat civil (CEDH, 13 nov. 2012, n° 37359/09, H. c./ Finlande) ou au célibat du transsexuel (CEDH, 28 nov. 2006, nos 35748/05 et 42971/05, R. et F. et Parry c./ Royaume-Uni).

D’autres juridictions ont préféré admettre le changement de la mention du sexe à l’état civil du transsexuel tout en cherchant à mettre fin au mariage pour ne pas contrevenir à l’ancienne prohibition du mariage entre personnes de même sexe. La caducité aurait permis de mettre fin au mariage pour l’avenir du fait de la disparition de l’une des conditions de validité. Mais un tel fondement n’a pas été retenu par les juges en l’absence de texte la prévoyant. L’époux du transsexuel aurait pu demander l’annulation du mariage sur le fondement de l’article 180 alinéa 2 du Code civil, pour erreur sur les qualités essentielles de son conjoint, du moment où le syndrome transsexuel existait au jour de la célébration du mariage et que le conjoint n’en était pas informé. L’époux du transsexuel aurait pu, également, demander le divorce. À défaut de pouvoir parvenir à un accord, quelques décisions ont pu admettre le divorce pour faute aux torts exclusifs de l’époux transsexuel (Nîmes, 7 juin 2000, JurisData n° 2000-148085 ; TGI Caen, 28 mai 2001, JurisData n° 2001-175610). Or, les deux dernières propositions étaient inefficaces à mettre fin au mariage lorsque les époux décidaient de rester mariés après le changement de sexe. Dans ces conditions, le caractère constitutif du jugement de modification du sexe à l’état civil a pu conduire certains juges à admettre la survie du mariage (Rennes, 16 oct. 2012, n° 11/08743).

La loi du 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, a permis de résoudre la difficulté liée au sort du mariage antérieur au changement de sexe du transsexuel. Les époux peuvent décider de rester mariés après le changement de sexe de l’un d’eux. Ils passent alors d’un mariage hétérosexuel à un mariage homosexuel. Une telle faculté leur est offerte même si le mariage a été célébré avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2013 (art. 21 de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013). À l’inverse, si les époux souhaitent mettre un terme au mariage, ils peuvent divorcer ou demander la nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint (art. 180 al. 2 du C. civ.). En revanche, la caducité du mariage est définitivement exclue puisque la différence de sexe n’est plus une condition de validité du mariage (art. 143 du C. civ.).

2. La filiation de la personne transsexuelle

À l’inverse du mariage, la filiation antérieure au changement de sexe ne pose aucune difficulté (a) alors que la filiation postérieure au changement de sexe soulève un certain nombre de questions (b).

a. Sort de la filiation antérieure au changement de sexe

Si le mariage célébré antérieurement au changement de sexe a pu être remis en cause sous l’empire du droit antérieur à la loi du 17 mai 2013, la filiation de l’enfant né antérieurement au changement de sexe ne l’est pas. Compte tenu des caractères constitutif et non rétroactif du jugement (Cass. civ. 1re, 14 nov. 2006, n° 04-10.058), le changement de sexe n’a pas d’incidence sur la filiation de l’enfant déjà né (Cass. civ. 1re, 14 nov. 2006, n° 04-10.058 ; Lyon, 15 mai 2007, n° 06/03761). La modification du sexe à l’état civil du transsexuel ne modifie pas, en effet, l’acte de naissance de ses descendants. De la sorte, l’enfant n’apparaît pas comme né de deux personnes de même sexe. Le transsexuel homme devenu femme n’est pas regardé comme la mère légale de l’enfant et, inversement, le transsexuel femme devenue homme n’est pas regardé comme le père légal de l’enfant.

b. Sort de la filiation postérieure au changement de sexe

Le droit français continue de refuser le double lien de filiation paternel ou maternel, sauf en matière d’adoption depuis la loi du 17 mai 2013. Le double lien de filiation biologique de l’enfant n’est admis qu’à l’égard d’un homme et d’une femme. Par conséquent, l’établissement de la filiation du transsexuel, postérieure au changement de sexe, n’est pas sans poser de difficultés à l’égard de l’enfant de l’autre membre du couple ou à l’égard de son propre enfant.

La filiation de la personne transsexuelle à l’égard de l’enfant de l’autre membre du couple

La personne transsexuelle souhaitant établir une filiation à l’égard de l’enfant de l’autre membre peut songer à l’adoption, à la reconnaissance ou à la constatation de la possession d’état.

En premier lieu, l’admission du double lien de filiation maternel ou paternel, par la loi du 17 mai 2013, permet au transsexuel d’adopter l’enfant de son conjoint de sexe identique ou de sexe opposé à son sexe apparent (art. 6-1 du C. civ.).

En second lieu, le caractère constitutif du jugement de changement de sexe, d’une part, et l’exigence de l’altérité sexuelle, d’autre part, devraient conduire à admettre la possibilité pour le transsexuel de reconnaître l’enfant de l’autre membre du couple de sexe opposé au sexe apparent du transsexuel (art. 316 du C. civ.). Il en est de même de la possession d’état (art. 311-1 et 311-2 du C. civ.). L’altérité sexuelle exigée est alors respectée.

Néanmoins, la Cour de cassation s’est prononcée en sens contraire dans un arrêt du 18 mai 2005. En l’espèce, une femme procède à une insémination artificielle avec tiers donneur et reconnaît l’enfant dont elle vient d’accoucher. Par la suite, sa concubine obtient la modification de la mention de son sexe sur l’état civil. Désormais homme, il reconnaît l’enfant de sa concubine en qualité de père. Ce faisant, l’enfant a une filiation maternelle à l’égard de celle qui a accouché et une filiation paternelle envers le transsexuel. L’altérité sexuelle exigée en matière de filiation de droit commun est alors respectée. Mais le couple se sépare et la mère conteste la reconnaissance paternelle. Son action est accueillie par les juges au motif que la reconnaissance était contraire à la vérité biologique (Cass. civ. 1re, 18 mai 2005, n° 02-16.336).

Cass. civ. 1re, 18 mai 2005, n° 02-16.336 : « Attendu que l’arrêt attaqué retient que la reconnaissance est contraire à la vérité biologique ; qu’il relève qu’aucun consentement à l’insémination artificielle n’est établi et qu’un tel consentement aurait été inefficace, l’article 311-20 n’ayant été introduit dans le Code civil que par la loi du 29 juillet 1994 ; que la cour d’appel, qui, a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3.1 de la Convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant, en organisant un droit de visite, a légalement justifié sa décision qui n’est pas contraire aux articles 8, 12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. »

Dans ces conditions, il est possible de penser que la filiation de l’enfant de l’autre membre du couple, de sexe opposé au sexe apparent du transsexuel, par possession d’état soit également refusée en opposant, par exemple, son caractère équivoque (art. 311-2 du C. civ.).

En conséquence, seule la voie de l’adoption conjointe semble offerte au transsexuel pour établir un lien de filiation à l’égard de l’enfant de l’autre membre du couple.

La filiation de la personne transsexuelle à l’égard de son propre enfant

De prime abord, la question peut surprendre car il est aujourd’hui impossible pour le transsexuel d’engendrer lui-même l’enfant. En effet, le changement de la mention du sexe à l’état civil est encore conditionné à la réassignation sexuelle totale du transsexuel le conduisant à la stérilité (Cass. civ. 1re, 7 juin 2012, nos 10-26.947 et 11-22.490 ; Cass. civ. 1re, 13 févr. 2013, nos 11-14.515 et 12-11.949, préc.). La Haute juridiction tente, de la sorte, d’éviter le risque de double lien de filiation paternel ou maternel en matière de filiation par procréation.

Toutefois, la Cour EDH semble désormais s’orienter vers la reconnaissance d’un droit au changement de sexe sans condition liée à la stérilité du transsexuel (CEDH, 10 mars 2015, n° 14793/08, Y.Y. c./ Turquie, préc.) et le projet de loi de modernisation de la Justice au XXIe siècle suggère de supprimer l’exigence de stérilité. Dans ces conditions, il n’est pas à exclure que le transsexuel puisse, un jour, engendrer lui-même l’enfant. Or, une telle hypothèse suppose d’admettre qu’un homme établisse un lien de filiation maternel à l’égard de l’enfant et qu’une femme établisse, en sens inverse, un lien de filiation paternel envers l’enfant.

En l’absence de stérilité, le transsexuel femme devenue homme peut accoucher d’un enfant et le reconnaître (art. 316 du C. civ). Le lien de filiation alors établi entre l’homme et l’enfant est d’ordre maternel puisqu’aux yeux du droit français la mère est celle qui a accouché de l’enfant (art. 325 du C. civ.).

Le ministère public peut tenter de contester une telle filiation en relevant son caractère invraisemblable (art. 336 du C. civ.). Toutefois, la filiation maternelle est remise en cause uniquement par la preuve que la mère n’est pas celle qui a accouché de l’enfant (art. 322 al. 1er du C. civ.). Or, dans le cas présent, l’homme ayant reconnu l’enfant a véritablement accouché de celui-ci.

Au surplus, un double lien de filiation biologique apparaît à l’égard de deux hommes si le transsexuel, femme devenue homme, est en couple avec un autre homme et que ce dernier reconnaît l’enfant (art. 316 du C. civ.) ou bénéficie de la présomption de paternité en cas de mariage (art. 312 du C. civ.). L’enfant a alors un double lien de filiation maternel et paternel à l’égard de deux hommes.

Inversement, en l’absence de stérilité, le transsexuel homme devenu femme peut être à l’origine de l’engendrement de l’enfant dont a accouché une autre femme et procéder à sa reconnaissance. Le lien de filiation alors établi entre la femme et l’enfant est d’ordre paternel. Le ministère public peut, à nouveau, tenter de contester une telle filiation en relevant son caractère invraisemblable (art. 336 du C. civ.). Cependant, la paternité est remise en cause uniquement par la preuve que le conjoint ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père biologique de l’enfant (art. 332 al. 2 du C. civ.). Or, dans la présente hypothèse, le transsexuel homme devenu femme a réellement un lien biologique avec l’enfant puisqu’il est à l’origine de son engendrement.

Art. 332 C. civ. : « La maternité peut être contestée en rapportant la preuve que la mère n’a pas accouché de l’enfant.

La paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père. »

Art. 336 du C. civ. : « La filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi ».

Comment citer cet article ?

F. Hartman, « C : Effets de la modification du sexe à l’état civil », Le droit des personnes et de la famille à l'épreuve des droits fondamentaux présenté par l'IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​libertes-famille/​lecon1/​sect2/​i/​c-effets-modification-sexe/​ [consulté le 28/03/2019].

Article publié le 20/07/2016.
Dernière mise à jour le 20/07/2016.