Une certaine conception de l’intérêt de l’enfant a d’abord permis aux autorités françaises de refuser l’agrément à l’adoption au candidat homosexuel (1). Mais par la suite, l’intérêt de l’enfant est interprété différemment et combiné au principe de non-discrimination pour interdire aux autorités françaises de refuser l’agrément à l’adoption au candidat homosexuel du seul fait de son orientation sexuelle (2).
1. Conformité originelle du refus d’agrément à l’intérêt de l’enfant
La loi française permet à toute personne de déposer une requête en adoption individuelle à condition d’avoir plus de 28 ans, d’obtenir le consentement de son conjoint, si elle est mariée, et d’avoir au préalable obtenu un agrément (art. 343-1 du C. civ.). L’agrément est une procédure administrative préalable à l’adoption, organisée par la loi n° 84-422 du 6 juin 1984, et prévue à l’article 353-1 du Code civil. Elle a pour but de s’assurer que le candidat à l’adoption peut offrir à l’enfant de bonnes conditions d’accueil sur le plan éducatif, psychologique et matériel.
Art. 343-1 C. civ. : « L’adoption peut être aussi demandée par toute personne âgée de plus de vingt-huit ans.
Si l’adoptant est marié et non séparé de corps, le consentement de son conjoint est nécessaire à moins que ce conjoint ne soit dans l’impossibilité de manifester sa volonté. »
Art. 353-1 C. civ. : « Dans le cas d’adoption d’un pupille de l’État, d’un enfant remis à un organisme autorisé pour l’adoption ou d’un enfant étranger qui n’est pas l’enfant du conjoint de l’adoptant, le tribunal vérifie avant de prononcer l’adoption que le ou les requérants ont obtenu l’agrément pour adopter ou en étaient dispensés.
Si l’agrément a été refusé ou s’il n’a pas été délivré dans le délai légal, le tribunal peut prononcer l’adoption s’il estime que les requérants sont aptes à accueillir l’enfant et que celle-ci est conforme à son intérêt. »
Si les articles 343-1 et 353-1 du Code civil n’érigent pas l’orientation sexuelle du candidat en un critère d’adoption, les services chargés de délivrer l’agrément ont bien souvent soumis les bonnes conditions d’accueil de l’enfant à l’existence d’un couple parental composé d’un homme et d’une femme. Le Conseil d’État a d’ailleurs approuvé le refus d’agrément à un candidat homosexuel au motif que « si les choix de vie de l’intéressé devaient être respectés, les conditions d’accueil qu’il serait susceptible d’apporter à l’enfant pouvaient présenter des risques importants pour l’épanouissement de cet enfant » (CE, 9 oct. 1996, n° 168342). Une solution identique a été formulée envers une femme homosexuelle qui, selon le Conseil d’État, ne présentait pas de garanties suffisantes sur les plans familial, éducatif et psychologique pour accueillir un enfant adopté (CE, 5 juin 2002, n° 230533).
Une telle position n’a pas été condamnée initialement par la Cour EDH. Selon elle, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer dans quelle mesure des différences entre les situations justifient des distinctions de traitement juridique. Au surplus, elle observe, qu’au moment où elle statue, la communauté scientifique est divisée sur les conséquences de l’accueil d’un enfant par un ou des parents homosexuels. Eu égard à la marge d’appréciation et à l’intérêt supérieur de l’enfant, le refus d’agrément n’a pas transgressé le principe de proportionnalité (CEDH, 26 févr. 2002, n° 36515/97, Fretté c./ France).
CEDH, 26 févr. 2002, n° 36515/97, Fretté c./ France : « Force est de constater que la communauté scientifique – et plus particulièrement les spécialistes de l’enfance, les psychiatres et les psychologues – est divisée sur les conséquences éventuelles de l’accueil d’un enfant par un ou des parents homosexuels […]
Dans ces conditions, les autorités nationales, notamment le Conseil d’État en se fondant entre autres sur les conclusions pondérées et circonstanciées de la commissaire du Gouvernement, ont légitimement et raisonnablement pu considérer que le droit de pouvoir adopter dont le requérant se prévalait selon l’article 343-1 du code civil trouvait sa limite dans l’intérêt des enfants susceptibles d’être adoptés, nonobstant les aspirations légitimes du requérant et sans que soient remis en cause ses choix personnels. Si l’on tient compte de la grande marge d’appréciation à laisser ici aux États et de la nécessité́ de protéger les intérêts supérieurs des enfants pour atteindre l’équilibre voulu, le refus d’agrément n’a pas transgressé le principe de proportionnalité. »
2. Condamnation actuelle comme discriminatoire du refus d’agrément fondé sur l’orientation sexuelle
La Cour. EDH est toutefois revenue sur sa position dans un arrêt du 22 janvier 2008. Elle condamne cette fois la France pour avoir refusé l’agrément à une femme homosexuelle se trouvant dans l’impossibilité d’offrir à l’adopté un « référent paternel » sur le fondement de l’article 14 de la Conv. EDH. Le droit français autorise l’adoption individuelle sans poser de condition d’altérité sexuelle à l’accueil d’un enfant. Par conséquent, en exigeant un référent paternel aux fins d’obtenir l’agrément à l’adoption, les autorités françaises excluent nécessairement les requérantes homosexuelles. Et une telle exclusion constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle non justifiable par l’intérêt supérieur de l’enfant (CEDH, 22 janv. 2008, n° 43546/02, E. B. c./ France).
CEDH, 22 janv. 2008, n° 43546/02, E. B. c./ France : « les dispositions pertinentes du code civil restent muettes quant à la nécessité́ d’un référent de l’autre sexe, cette dernière ne dépendant de toute façon pas des orientations sexuelles du parent célibataire adoptif. En l’espèce, qui plus est, la requérante présentait, pour reprendre les termes de l’arrêt du Conseil d’État, « des qualités humaines et éducatives certaines », ce qui servait assurément l’intérêt supérieur de l’enfant, notion clé́ des instruments internationaux pertinents ;
[…] force est donc de constater que les autorités internes ont, pour rejeter la demande d’agrément en vue d’adopter présentée par la requérante, opéré́ une distinction dictée par des considérations tenant à son orientation sexuelle, distinction qu’on ne saurait tolérer d’après la Convention. »
Le refus d’agrément doit donc, désormais, être fondé sur des motifs étrangers à l’orientation sexuelle du candidat à l’adoption en application du principe de non-discrimination posé par l’article 14, combiné à l’article 8 de la Conv. EDH.