1. Prohibition de la gestation pour autrui en France
En France, la gestation pour autrui est prohibée. Une telle interdiction a d’abord été formulée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 31 mai 1991, au visa des articles 6 et 1128 du Code civil. Selon la Haute Cour : « la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes » (Cass, AP., 31 mai 1991, n° 90-20.105).
La loi bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 est venue consacrer cette solution jurisprudentielle à l’article 16-7 du Code civil et préciser à l’article 16-9 du même Code le caractère d’ordre public de l’interdiction de la gestation pour autrui. Elle a, en outre, inséré dans le Code pénal un article 227-2 qui permet de sanctionner le recours à la gestation pour autrui d’une peine d’emprisonnement de six mois et de 7 500 € d’amende.
Art. 16-7 C. civ. : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. »
Art. 16-9 C. civ. : « Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public. »
Art. 227-12 al. 1 C. pén. : « Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d’autorité, les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende […] ».
2. Transcription de la filiation de l’enfant né d’une GPA à l’étranger sur les registres de l’état civil français
À l’inverse de la France, d’autres États autorisent la gestation pour autrui. Dès lors, pour contourner l’interdiction nationale, un certain nombre de couples se rendent dans ces pays étrangers pour avoir recours à une GPA et demandent, à leur retour, la transcription de l’acte de naissance de l’enfant sur les registres de l’état civil français. En présence d’un conflit d’intérêts entre la condamnation du tourisme procréatif et l’intérêt supérieur de l’enfant, la Cour de cassation a d’abord fait prévaloir le premier pour refuser la transcription (a) avant de le concilier avec le second pour l’admettre à l’égard du père biologique (b).
a. Primauté originelle de la condamnation du tourisme procréatif
Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé la transcription de l’acte de naissance de l’enfant né d’une GPA à l’étranger en faisant prévaloir le principe de prohibition de la GPA sur l’intérêt supérieur de l’enfant afin de condamner le tourisme procréatif. La solution a d’abord été motivée par le fait que la GPA est contraire à l’ordre public international français et aux principes essentiels du droit français (Cass. civ. 1re, 17 déc. 2008, n° 07-20.468 ; Cass. civ. 1ère, 6 avr. 2011, (3 arrêts) : n° 09-66.486, n° 09-17.130, n° 10-19.053 ; Cass. civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 09-71.369). Le refus de transcription de l’acte de naissance de l’enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger a ensuite été justifié par la fraude à la loi (Cass. civ. 1re, 13 sept. 2013, (2 espèces), n° 12-18.315, n° 12-30.138 ; Cass. civ. 1re, 19 mars 2014, n° 13-50.005).
La Cour de cassation a d’ailleurs précisé dans ces différents arrêts que le refus de transcription ne privait pas l’enfant des effets de sa filiation à l’étranger et ne l’empêchait pas de vivre avec les demandeurs. De la sorte, il n’existait aucune atteinte à l’article 8 de la Conv. EDH ni à l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
Cass. civ. 1ère, 6 avr. 2011, (3 arrêts) : n° 09-66.486, n° 09-17.130, n° 10-19.053 : « Est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16- 9 du code civil. »
Cass. civ. 1re, 13 sept. 2013, (2 espèces), n° 12-18.315, n° 12-30.138 : « En l’état du droit positif, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil. »
Dans le même temps, le Conseil d’État a admis et admet toujours la délivrance d’un passeport à l’enfant issu d’une GPA pour entrer sur le territoire français avec son père de nationalité française au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 § 1 de la CIDE). Il réserve néanmoins au TGI de Nantes la compétence pour se prononcer sur la transcription de l’acte de naissance de l’enfant (CE, 4 mai 2011, n° 348778).
Une circulaire du 25 janvier 2013 a, en outre, invité les procureurs et les greffiers en chef à délivrer un certificat de nationalité française aux enfants nés à l’étranger d’un parent français « lorsqu’il apparaît, avec assez de vraisemblance, qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui » (Circ. 25 janv. 2013, BOMJ n° 2013-01 du 31 janv. 2013, JUSC1301528C). Les recours formés par l’Association des juristes pour l’enfant à l’encontre de la circulaire ont tous été rejetés par le Conseil d’État (CE, 12 déc. 2014, n° 365779).
Art. 3 § 1 de la CIDE : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
b. Conciliation actuelle avec l’intérêt supérieur de l’enfant
L’opposition des juridictions françaises à la réception des GPA réalisées à l’étranger en France est condamnée par la Cour EDH sur le fondement de l’article 8 de la Conv. EDH. Si les juges européens considèrent les ingérences dans la vie familiale, légitimes et proportionnées lorsqu’elles sont appréciées du côté des parents, elles ne le sont pas lorsqu’elles sont appréciées du côté de l’enfant. Le droit au respect de la vie familiale, garanti par l’article 8 de la Conv. EDH, exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain (CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c./ France ; n° 65941/11, Labassée c/ France ; CEDH, 21 juill. 2016, n° 9063/14, Foulon c./ France ; n° 10410/14, Bouvet c./ France). En conséquence, les juges européens acceptent l’illégalité du procédé de la gestation pour autrui tout en imposant la transcription de ses résultats à l’état civil. Autrement dit, ils tentent de concilier la prohibition d’ordre public de la GPA avec l’intérêt de l’enfant et son droit au respect à la vie privée et familiale.
Selon la ministre en charge de la famille, il n’existe d’ailleurs aucune contradiction à prohiber la gestation pour autrui en France et à renoncer à faire appel des décisions de la Cour EDH imposant la transcription de l’acte de naissance de l’enfant né d’une GPA à l’étranger sur les registres français de l’état civil. La gestation pour autrui demeure interdite en France mais elle ne doit pas contrevenir à l’intérêt des enfants qui vivent sur le territoire national (Rép. min. n° 65068, 18 nov. 2014 : JOAN Q. 18 nov. 2014, p. 9655).
Les décisions Mennesson et Labassée, d’une part, Foulon et Bouvet, d’autre part, donnent lieu à une divergence d’interprétation. Si la grande majorité des commentateurs considèrent que la transcription de l’acte de naissance doit être réalisée uniquement à l’égard du père biologique, d’autres estiment qu’elle doit être également effectuée à l’égard du parent d’intention. La Cour EDH n’a eu à connaître, pour l’heure, que de cas où la transcription de l’acte de naissance était refusée aux pères biologiques.
CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c./ France ; n° 65941/11, Labassée c/ France : « il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire », mais « les effets de la non-reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et leurs parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes. »
CEDH, 21 juill. 2016, n° 9063/14, Foulon c./ France ; n° 10410/14, Bouvet c./ France : « La Cour constate que la situation des requérants en l’espèce est similaire à celle des requérants dans les affaires Mennesson et Labassee précitées, dans lesquelles elle a jugé qu’il n’y avait pas eu violation du droit au respect de la vie familiale des requérants (les parents d’intention et les enfants concernés), mais qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée des enfants concernés. »
Prenant acte de la condamnation de la Cour EDH, la Cour de cassation est venue modifier sa jurisprudence en admettant la transcription des actes de naissance d’enfants nés à l’étranger d’une GPA à l’égard du père biologique à condition que l’acte étranger soit régulier, qu’il ne soit pas falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité (Cass. AP., 3 juill. 2015, nos 14-21.323 et 15-50.002). En conséquence, le seul recours à une convention de maternité pour autrui ne permet plus de justifier le refus de la transcription de l’acte de naissance étranger du moment où les mentions de l’acte correspondent à la réalité.
La solution rendue par l’Assemblée plénière est toutefois cantonnée à l’acte de naissance mentionnant comme père et mère les parents biologiques de l’enfant et ne peut être étendue aux parents d’intention. Il en est ainsi lorsque la personne mentionnée en qualité de mère désigne la mère porteuse ayant accouché de l’enfant et que la personne mentionnée en qualité de père est le père biologique de l’enfant. Le communiqué accompagnant les deux arrêts précise en effet que « les espèces soumises à la Cour de cassation ne soulevaient pas la question de la transcription de la filiation établie à l’étranger à l’égard de parents d’intention : la Cour ne s’est donc pas prononcée sur ce cas de figure ».
Cass. AP., 3 juill. 2015, nos 14-21.323 et 15-50.002 : « Attendu que, pour refuser la transcription, l’arrêt retient qu’il existe un faisceau de preuves de nature à caractériser l’existence d’un processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue entre M. X… et Mme Z… ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle n’avait pas constaté que l’acte était irrégulier, falsifié ou que les faits qui y étaient déclarés ne correspondaient pas à la réalité, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
La cour d’appel de Rennes applique rigoureusement la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation en autorisant la transcription de l’acte de naissance d’enfants nés d’une GPA à l’étranger sur les registres de l’état civil français à l’égard du père biologique et en la refusant aux parents d’intention. Dans ce dernier cas, les juges du fond considèrent que l’acte de naissance de l’enfant ne correspond pas à la réalité exigée par l’Assemblée plénière. La mention de la mère d’intention, en qualité de mère, est inexacte car elle n’a pas accouché de l’enfant et la mention du père d’intention, en qualité de père, est fausse car il n’a pas de lien biologique avec l’enfant (Rennes, 28 sept. 2015, n° 14/07321 et n° 14/05537 ; Rennes, 7 mars 2016, n° 15/03859 ; Rennes, 7 mars 2016, n° 15/03855).
Le pourvoi formé à l’encontre des décisions de la cour d’appel de Rennes conduira la Cour de cassation à se prononcer bientôt sur la transcription de l’acte de naissance à l’égard des parents d’intention. Elle devra préciser si la réalité des faits exigée s’entend exclusivement du lien biologique entre le père et l’enfant et de l’accouchement de la mère. Dans cette attente, il ne semble pas que la filiation des enfants nés à l’étranger d’une GPA puisse être établie à l’égard des parents d’intention en application du droit commun. La reconnaissance pourrait être jugée mensongère (art. 336 du C. civ.), l’action en recherche de maternité pourrait être écartée au motif que la mère n’est pas celle qui a accouché (art. 332 et 325 du C. civ.) et la possession d’état pourrait être refusée pour ne pas satisfaire au caractère non équivoque exigé par les textes (art. 311-2 du C. civ.).