Si le cadavre n’est pas une chose comme une autre et appelle une protection particulière, l’exhumation du cadavre était, pourtant, initialement permise aux fins d’identification par empreintes génétiques malgré l’opposition manifestée par la personne de son vivant (Paris, 6 nov. 1997, n° 94/27.539).
La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 est venue condamner cette jurisprudence en subordonnant l’exhumation au consentement exprès de la personne de son vivant (art. 16-11 al. 2 du C. civ.). La Cour de cassation a, d’ailleurs, fait une application immédiate de la nouvelle disposition aux affaires en cours (Cass. civ. 1re, 2 avril 2008, n° 06-10.256).
Art. 16-11 al. 2 C. civ. : « En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort. »
Or, la subordination de l’identification par empreintes génétiques post-mortem au consentement exprès de la personne, donné de son vivant, s’oppose au droit à connaître sa filiation, garanti par le droit à la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale (art. 2 de la DDH et al. 10 du Préambule de la Constitution de 1946).
Tel n’est pourtant pas l’avis du Conseil constitutionnel. Dans une décision du 30 septembre 2011, les Sages considèrent la subordination de l’exhumation au consentement exprès de la personne de son vivant conforme aux droits fondamentaux au motif qu’il ne lui appartient pas de se substituer à l’appréciation du législateur (Cons. constit., 30 sept. 2011, n° 2011-173 QPC).
Cons. constit., 30 sept. 2011, n° 2011-173 QPC : « Considérant qu’en disposant que les personnes décédées sont présumées ne pas avoir consenti à une identification par empreintes génétiques, le législateur a entendu faire obstacle aux exhumations afin d’assurer le respect dû aux morts ; qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, du respect dû au corps humain ; que, par suite, les griefs tirés de la méconnaissance du respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale doivent être écartés ; »
Le respect dû aux morts prime alors le droit au respect de la vie privée et familiale des personnes vivantes. Mais une telle position est difficilement conciliable avec la jurisprudence de la Cour EDH consacrant un véritable droit à connaître sa filiation, à travers le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Conv. EDH (CEDH, 7 févr. 2002, n° 53176/99, Mikulic c./ Croatie ; CEDH, 16 juin 2011, n° 19535/08, Pascaud c./ France).
En ce sens, la Cour de Strasbourg a pu considérer que l’impossibilité pour le requérant d’obtenir une analyse ADN de la dépouille de son père biologique présumé constituait une atteinte au droit au respect de sa vie privée, au sens de l’article 8 de la Conv. EDH. Elle a ajouté qu’une telle demande ne saurait porter atteinte à la vie privée du défunt, dont l’ADN devait être prélevé, puisqu’elle intervenait après sa mort (CEDH, 13 juill. 2006, n° 58757/00, Jäggi c./ Suisse).
CEDH, 13 juill. 2006, n° 58757/00, Jäggi c./ Suisse : « La Cour considère que le droit à l’identité, dont relève le droit de connaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée. Dans pareil cas, un examen d’autant plus approfondi s’impose pour peser les intérêts en présence. […]
La Cour considère que les personnes essayant d’établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle. […]
En ce qui concerne le respect de la vie privée du défunt lui-même, la Cour se réfère à sa jurisprudence dans l’affaire Succession Kresten Filtenborg Mortensen c. Danemark ((déc.), n° 1338/03, CEDH 2006-V), où elle a relevé que le défunt dont l’ADN devait être prélevé ne pouvait être atteint dans sa vie privée par une demande d’un tel prélèvement intervenant après sa mort. […]
Il apparaît que, compte tenu des circonstances de l’espèce et de l’intérêt prépondérant qui est en jeu pour le requérant, les autorités suisses n’ont pas garanti à l’intéressé le respect de sa vie privée auquel il a droit en vertu de la Convention. »
De la sorte, un infléchissement de la jurisprudence ou un assouplissement de la législation française, sous l’impulsion de la Cour EDH, est à attendre. La Cour de cassation s’est déjà montrée favorable à un examen de la conformité de l’article 16-11 du Code civil au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Conv. EDH, dans un arrêt du 13 novembre 2014. En l’espèce, une personne, reconnue par sa mère et par celui qu’il pensait être son père, apprend de ses parents que son père biologique est en réalité un autre homme, décédé en 1953. Il demande alors, en 2010, l’exhumation du corps du prétendu père biologique aux fins d’identification par empreintes génétiques. En l’absence de consentement exprès donné par celui-ci de son vivant, les juges du fond le déboutent sur le fondement de l’article 16-11 du Code civil. Le demandeur se pourvoit en cassation en soutenant que son droit au respect de la vie privée et familiale, protégé par l’art. 8 de la Conv. EDH, est violé. La Cour de cassation ne rejette pas le pourvoi sur le fondement de l’article 16-11 du Code civil mais sur un vice de procédure. Les ayants droit du défunt n’avaient, en effet, pas été mis en cause. Par conséquent, la Haute juridiction s’est montrée favorable à l’examen de la conventionnalité de l’article 16-11 du Code civil mais n’a pu y répondre à cause d’un vice procédural (Cass. civ. 1re, 13 nov. 2014, n° 13-21.018).