Le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, posé par l’article 1er de la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relatif à l’IVG, a été introduit par la loi bioéthique n° 94-654 du 29 juillet 1994 à l’article 16 du Code civil. Ce principe, combiné à la qualité de « personne potentielle » de l’embryon (CCNE, avis, 22 mai 1984), conduit le législateur à admettre la conception d’embryons dans le cadre d’une procréation médicalement assistée (art. L. 2141-1 du CSP) et à la refuser à des fins industrielles, commerciales ou de recherche (art. L. 2141-3, L. 2141-8, L. 2151-2 et L. 2151-3 du CSP).
Art. L. 2141-3 CSP : « Un embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les objectifs d’une assistance médicale à la procréation telle que définie à l’article L. 2141-1. Il ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d’un au moins des membres du couple. »
Art. L. 2141-8 du CSP : « Un embryon humain ne peut être conçu ni utilisé à des fins commerciales ou industrielles. »
Art. L. 2151-2 du CSP : « La conception in vitro d’embryon ou la constitution par clonage d’embryon humain à des fins de recherche est interdite.
La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite. »
Art. L. 2151-3 CSP : « Un embryon humain ne peut être ni conçu, ni constitué par clonage, ni utilisé, à des fins commerciales ou industrielles. »
Dans le cadre d’une procréation médicalement assistée, les médecins conçoivent généralement plusieurs embryons afin de leur permettre de renouveler l’implantation si les premières tentatives échouent ou lorsque le couple souhaite mettre en œuvre leur projet parental ultérieurement (art. L. 2141-3 du C. civ.). Les embryons sont alors conservés.
Si le législateur de 1994 semblait vouloir protéger les embryons in vitro conservés, au même titre que les embryons in utero, le Conseil constitutionnel a d’abord considéré que le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ne leur était pas applicable (Cons. constit., 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC) avant de revenir sur sa position à l’occasion d’un recours contre la loi n° 2013-715 du 6 août 2013 étendant les possibilités de recherches sur les embryons in vitro (Cons. constit., 1er août 2013, n° 2013-674 DC).
De la sorte, les embryons in utero et in vitro sont, aujourd’hui, protégés de manière identique par le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie s’inscrivant dans le cadre du principe, à valeur constitutionnelle, de sauvegarde de la dignité humaine. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) n’est pas allée jusqu’à reconnaître aux embryons in vitro un droit à la vie, au sens de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH), en l’absence de consensus européen sur la définition scientifique et juridique du début de la vie (CEDH, 8 juill. 2004, n° 53924/00, Vo c./ France ; CEDH, 10 avril 2007, n° 6339/05, Evans c./ Royaume-Uni).
Cons. constit., 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC : « Considérant que le législateur a assorti la conception, l’implantation et la conservation des embryons fécondés in vitro de nombreuses garanties ; que cependant, il n’a pas considéré que devait être assurée la conservation, en toutes circonstances, et pour une durée indéterminée, de tous les embryons déjà formés ; qu’il a estimé que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie ne leur était pas applicable ; qu’il a par suite nécessairement considéré que le principe d’égalité n’était pas non plus applicable à ces embryons. »
Cons. constit., 1er août 2013, n° 2013-674 DC : « Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, si le législateur a modifié certaines des conditions permettant l’autorisation de recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires à des fins uniquement médicales, afin de favoriser cette recherche et de sécuriser les autorisations accordées, il a entouré la délivrance de ces autorisations de recherche de garanties effectives ; que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. »
CEDH, 10 avril 2007, n° 6339/05, Evans c./ Royaume-Uni : « la chambre a rappelé que, dans Vo c. France [(DG], n° 53924/00, § 82, CEDH 2004-VIII), la Grande Chambre avait considéré qu’en l’absence de consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du droit à la vie relevait de la marge d’appréciation que la Cour estime généralement devoir être reconnue aux États dans ce domaine. Or, ainsi que l’ont précisées les juridictions internes dans la présente affaire, le droit britannique ne reconnaît pas à l’embryon la qualité de sujet de droit autonome et ne l’autorise pas à se prévaloir – par personne interposée – du droit à la vie garanti par l’article 2. Partant, la chambre a conclu qu’il n’y avait pas eu en l’espèce violation de cette disposition. »
Malgré la protection constitutionnelle accordée aux embryons in vitro, ceux-ci peuvent être détruits, faire l’objet de recherches dans les conditions prévues à l’article L. 1125-1 du Code de la santé publique ou être donnés à un couple tiers en cas d’abandon du projet parental (art. L. 2141-4 du CSP). Le choix entre ces trois alternatives s’impose au membre du couple survivant en cas de décès de l’autre membre. L’insémination à partir de gamètes conservés ainsi que l’implantation d’embryons fécondés in vitro sont, en effet, interdites post-mortem (art. L. 2141-2 du CSP). L’exportation de gamètes à des fins d’insémination post-mortem est également prohibée (art. L. 2141-11-1 du CSP).
Pour autant, une telle prohibition peut entrer en conflit avec le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Conv. EDH.
De ce fait, le Conseil d’État, statuant en référé, a pu écarter l’application de l’article L. 2141-11-1 du Code de la santé publique afin de permettre l’exportation des gamètes d’un défunt, en Espagne, pour permettre à la veuve d’y réaliser une insémination post-mortem. Les faits tragiques expliquent certainement la solution. En l’espèce, deux époux de nationalités espagnole et italienne résidaient en France. Un cancer a été diagnostiqué chez l’époux et le risque de stérilité lié à son traitement l’a conduit à procéder à un dépôt de gamètes. Le couple engage une procédure de procréation médicalement assistée durant laquelle l’époux décède. Lui-même et son épouse avaient prévu que si la PMA n’aboutissait pas en France avant le décès, l’épouse retournerait en Espagne pour procéder à une insémination post-mortem. Face au refus de l’Agence de biomédecine de procéder à l’exportation des gamètes du défunt mari, la veuve intente un référé-liberté fondé sur le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Conv. EDH. Sa demande est rejetée par le juge des référés au motif qu’il ne lui était pas permis d’examiner la conventionnalité d’une loi. Le Conseil d’État l’examine, au contraire, et considère que le refus d’exportation des gamètes porte, en l’espèce, une atteinte manifestement excessive au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Conv. EDH. L’époux étant décédé le 9 juillet 2015 et la loi espagnole autorisant l’insémination post-mortem dans un délai de douze mois à compter du décès, le Conseil d’État somme l’Agence de biomédecine d’exporter les gamètes vers l’Espagne dans un délai de sept jours (CE, 31 mai 2016, n° 396848).
CE, 31 mai 2016, n° 396848 : « le refus qui lui a été opposé sur le fondement des dispositions précitées du code de la santé publique – lesquelles interdisent toute exportation de gamètes en vue d’une utilisation contraire aux règles du droit français – porte, eu égard à l’ensemble des circonstances de la présente affaire, une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il porte, ce faisant, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. »
En conclusion, les embryons in vitro et in utero font l’objet d’une protection constitutionnelle identique. Pour autant, les premiers peuvent être détruits, être utilisés à des fins de recherche ou donnés à un couple tiers. L’une des trois alternatives s’impose d’ailleurs en cas de décès d’un membre du couple en raison de la prohibition de l’insémination et de l’implantation post-mortem, d’une part, et de l’exportation des gamètes aux fins de réaliser une insémination post-mortem, d’autre part. Néanmoins, la prohibition de l’insémination post-mortem doit être conciliée avec le droit au respect de la vie privée et familiale prévu par l’article 8 de la Conv. EDH. En l’absence de toute intention frauduleuse et en présence d’un consentement certain, l’exportation des gamètes conservés est admise afin de permettre l’insémination post-mortem dans un pays étranger l’autorisant.