Deux principes fondamentaux entrent en conflit en matière d’interruption volontaire de grossesse : la protection de l’embryon et la liberté de la femme. La première est assurée par le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, au sens des articles 16 du Code civil et L. 2211-1 du Code de la santé publique, ainsi que le principe de sauvegarde de la dignité humaine de valeur constitutionnelle (alinéa 1 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946). La seconde est garantie par l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDH) et s’oppose à imposer à la femme une contrainte qu’elle n’estime pas pouvoir assumer.
Art. 16 C. civ. : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »
Art. L. 2211-1 CSP : « Comme il est dit à l’article 16 du code civil ci-après reproduit :
» La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » »
Al. 1 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. »
Art. 2 DDH. : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »
Les différentes lois relatives à l’IVG tentent de concilier les deux intérêts antagonistes en admettant une atteinte au principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie en cas de nécessité et selon des conditions strictement définies.
La loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 consacre, en son article premier, le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie et permet à la femme de mettre un terme à sa grossesse jusqu’à la dixième semaine à condition de se trouver dans « une situation de détresse ». La loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 est venue allonger ce délai à douze semaines.
De la sorte, la liberté de la mère est garantie pendant les douze premières semaines de la grossesse et la protection de l’embryon l’emporte au-delà de ce délai. De plus, la condition de « détresse », dans laquelle doit se trouver la femme, permet de ne pas ériger l’IVG en un droit absolu au profit de celle-ci sur l’enfant à naître. La combinaison de ces deux conditions assure, selon le Conseil constitutionnel, un équilibre entre le principe fondamental de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, dans lequel s’inscrit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, d’une part, et le principe fondamental de la liberté de la femme, d’autre part, de sorte que les deux premières lois relatives à l’IVG ont été jugées constitutionnelles (Cons. constit., 15 janv. 1975, n° 74-54 DC ; Cons. constit., 27 juin 2001, n° 2001-446 DC).
Cons. constit., 15 janv. 1975, n° 74-54 DC : « la loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse respecte la liberté des personnes appelées à recourir ou à participer à une interruption de grossesse, qu’il s’agisse d’une situation de détresse ou d’un motif thérapeutique ; que, dès lors, elle ne porte pas atteinte au principe de liberté posé à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
Considérant que la loi déférée au Conseil constitutionnel n’admet qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, rappelé dans son article 1er, qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle définit ;
Considérant qu’aucune des dérogations prévues par cette loi n’est, en l’état, contraire à l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ni ne méconnaît le principe énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel la nation garantit à l’enfant la protection de la santé, non plus qu’aucune des autres dispositions ayant valeur constitutionnelle édictées par le même texte. »
Cons. constit., 27 juin 2001, n° 2001-446 DC : « lorsque la femme enceinte se trouve, du fait de son état, dans une situation de détresse, la loi n’a pas, en l’état des connaissances et des techniques, rompu l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »
Or, deux lois ultérieures sont venues assouplir les conditions d’accès à l’IVG. La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 supprime la référence à la « situation de détresse » dans laquelle devait se trouver la femme souhaitant mettre un terme à sa grossesse (art. L. 2212-1 du CSP). Et la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 abandonne le délai de réflexion de sept jours imposé entre les premières visites médicales et la confirmation écrite de la demande d’IVG (art. L. 2212-5 du CSP).
Art. L. 2212-1 CSP : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l’interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la douzième semaine de grossesse.
Toute personne a le droit d’être informée sur les méthodes abortives et d’en choisir une librement.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. »
Art. L. 2212-5 CSP : « Si la femme renouvelle, après les consultations prévues aux articles L. 2212-3 et L. 2212-4, sa demande d’interruption de grossesse, le médecin ou la sage-femme doit lui demander une confirmation écrite. Cette confirmation ne peut intervenir qu’après l’expiration d’un délai de deux jours suivant l’entretien prévu à l’article L. 2212-4. »
Eu égard à l’argumentation développée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juin 2001, il est à se demander si la suppression de la condition de « détresse », par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, n’est pas de nature à rompre l’équilibre entre la protection de l’embryon et la liberté de la femme. Les Sages, saisis de la question, considèrent la loi du 4 août 2014 constitutionnelle dans une décision du 31 juillet 2014. Pour autant, ils ne justifient plus la constitutionnalité du texte par la recherche d’un équilibre entre le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, dont découle le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, et la liberté de la femme d’interrompre sa grossesse. Ils se limitent à affirmer que la femme enceinte, souhaitant mettre un terme à la grossesse, peut en demander l’interruption à un médecin et qu’une telle faculté ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle (Cons. constit., 31 juill. 2014, n° 2014-700 DC).
Cons. constit., 31 juill. 2014, n° 2014-700 DC : « ces dispositions réservent à la femme le soin d’apprécier seule si elle se trouve dans cette situation ; la modification, par l’article 24, de la rédaction des dispositions de la première phrase de l’article L. 2212-1, qui prévoit que la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut en demander l’interruption à un médecin, ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ; par suite, cet article doit être déclaré conforme à la Constitution. »
L’équilibre à atteindre entre la sauvegarde de la dignité humaine, dont ressort le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, et la liberté de la femme réapparaît dans une décision du 21 janvier 2016. Le Conseil constitutionnel doit alors se prononcer sur la constitutionnalité de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 supprimant le délai de réflexion de sept jours entre la demande d’interruption de la grossesse et la confirmation écrite de la demande. Observant que la demande d’IVG et sa confirmation écrite ne peuvent intervenir au cours de la même consultation, l’équilibre entre le principe de dignité de la personne humaine et la liberté de la femme n’est pas remis en cause par l’abandon du délai de réflexion de sept jours selon le Conseil constitutionnel. Par conséquent, la loi doit être jugée conforme à la Constitution (Cons. constit., 21 janv. 2016, n° 2015-727 DC).
Cons. constit., 21 janv. 2016, n° 2015-727 DC : « Considérant, d’une part, qu’en supprimant le délai d’une semaine entre la demande de la femme d’interrompre sa grossesse et la confirmation écrite de cette demande, le législateur n’a pas rompu l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789, dès lors que l’article L. 2212-5 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de l’article 82 fait obstacle à ce que la demande d’interruption de grossesse et sa confirmation écrite interviennent au cours d’une seule et même consultation. »
En conclusion, la personnalité juridique s’acquiert à la naissance de l’enfant à condition qu’il naisse vivant et viable. Avant la naissance, l’embryon, qui devient ensuite fœtus, n’a pas la personnalité juridique. Mais en sa qualité de « personne potentielle », il est l’objet d’une protection constitutionnelle. En effet, le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, le protégeant, s’intègre au principe de sauvegarde de la dignité humaine de valeur constitutionnelle. Toutefois, une telle protection constitutionnelle ne fait pas obstacle à l’interruption volontaire de grossesse pour laquelle le législateur a instauré un cadre juridique précis de nature à assurer un équilibre entre la sauvegarde de la dignité de la personne humaine dont découle le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, d’une part, et la liberté de la femme, d’autre part.