Le droit à la vie n’a pas pour prolongement le droit de disposer de sa vie et d’organiser sa mort. Selon la Cour EDH, l’article 2 de la Conv. EDH, garantissant le droit à la vie, ne saurait être interprété comme conférant le droit, diamétralement opposé, de mourir. Par ailleurs, l’article 3 de la Conv. EDH, prohibant tout traitement inhumain, doit être interprété à la lumière de l’article 2 pour refuser de voir l’interdiction du suicide assisté comme un traitement inhumain et dégradant infligé à une personne malade et en fin de vie. Cependant, l’interdiction du suicide assisté constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Conv. EDH. Par conséquent, l’ingérence doit être justifiée et poursuivre un but légitime pour ne pas apparaître inconventionnelle. Dans un arrêt du 29 avril 2002, la Cour EDH considère que l’interdiction du suicide assisté n’est pas disproportionnée et qu’inversement son incrimination est justifiée et nécessaire dans une société démocratique. De la sorte, le droit britannique est déclaré conforme à la Conv. EDH (CEDH, 29 avril 2002, n° 2346/02, Pretty c./ Royaume-Uni).
CEDH, 29 avril 2002, n° 2346/02, Pretty c./ Royaume-Uni : « L’article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l’autodétermination en ce sens qu’il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie.
La Cour estime donc qu’il n’est pas possible de déduire de l’article 2 de la Convention un droit à mourir, que ce soit de la main d’un tiers ou avec l’assistance d’une autorité publique. […]
L’article 3 doit être interprété en harmonie avec l’article 2, qui lui a toujours jusqu’ici été associé comme reflétant des valeurs fondamentales respectées par les sociétés démocratiques. Ainsi qu’il a été souligné ci-dessus, l’article 2 de la Convention consacre d’abord et avant tout une prohibition du recours à la force ou de tout autre comportement susceptible de provoquer le décès d’un être humain, et il ne confère nullement à l’individu un droit à exiger de l’État qu’il permette ou facilite son décès. […]
La requérante en l’espèce est empêchée par la loi d’exercer son choix d’éviter ce qui, à ses yeux, constituera une fin de vie indigne et pénible. La Cour ne peut exclure que cela représente une atteinte au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention. Elle examinera ci-dessous la question de savoir si cette atteinte est conforme aux exigences du second paragraphe de l’article 8. […]
La Cour conclut que l’ingérence incriminée peut passer pour justifiée comme « nécessaire, dans une société démocratique », à la protection des droits d’autrui. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention. »
Depuis cet arrêt, la Cour EDH reconnaît progressivement un droit pour l’individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin dans le cadre de l’article 8 de la Conv. EDH (CEDH, 20 janv. 2011, n° 31322/07, Haas c./ Suisse ; CEDH, 19 juill. 2012, n° 497/09, Koch c./ Allemagne ; CEDH, 14 mai 2013 et 30 sept. 2014, n° 67810/10, Gross c./ Suisse).
CEDH, 20 janv. 2011, n° 31322/07, Haas c./ Suisse : « le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à ce propos et d’agir en conséquence, est l’un des aspects du droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention. […]
Compte tenu de ce qui précède, et eu égard à la marge d’appréciation dont disposent dans ce domaine les autorités internes, la Cour estime que, même à supposer que les États aient une obligation positive d’adopter les mesures permettant de faciliter un suicide dans la dignité, les autorités suisses n’ont pas violé cette obligation dans le cas d’espèce. »
En France, la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 et la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 sont venues accorder à la personne malade et en fin de vie une certaine liberté de choisir les conditions de sa mort.
L’apport majeur de la dernière loi est d’imposer au médecin les requêtes anticipées, exprimées par la personne en fin de vie, pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement (art. L. 1111-11 du CSP) alors qu’auparavant elles ne constituaient que des souhaits dont le médecin devait tenir compte. En outre, les requêtes anticipées, privées d’effet au terme d’un délai de trois ans selon le droit antérieur, ne sont plus limitées dans le temps.
La loi nouvelle réaffirme également le droit de ne pas subir d’obstination déraisonnable en matière de traitements. Elle précise à cette fin que l’alimentation et l’hydratation artificielles sont désormais qualifiées de traitements et qu’en matière d’arrêt des traitements, la volonté du patient doit primer (art. L. 1110-5-1 du CSP). Mais l’arrêt des traitements étant de nature à entraîner la mort dans des souffrances parfois insupportables, la loi nouvelle crée un droit à une sédation profonde et continue au profit des patients atteints d’une affection grave et incurable (art. L. 1110-5-2 du CSP). La volonté du patient est, ici encore, déterminante mais non absolue. La sédation ne peut être mise en œuvre qu’en suivant une procédure collégiale au cours de laquelle le corps médical vérifie la réunion de l’ensemble des conditions requises.
La loi nouvelle retouche, enfin, le traitement à double effet permettant de donner au patient, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, un traitement soulageant sa souffrance à l’effet secondaire d’abréger sa vie (anc. article L. 1110-5 du CSP). Le caractère secondaire de l’effet du traitement est supprimé et la condition de subsidiarité du traitement est abandonnée (art. L. 1110-5-3 du CSP).
Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer une quelconque volonté, une procédure collégiale est mise en place afin de décider l’arrêt des traitements et d’engager la sédation profonde (art. L. 1110-5-2 du C. civ.). Or, en l’absence de volonté exprimée par le patient, la décision de mettre fin à sa vie peut heurter le droit à la vie garanti par l’article 2 de la Conv. EDH, ainsi qu’en témoigne la triste affaire Vincent Lambert à l’égard duquel le médecin avait décidé l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles à l’issue d’une procédure collective.
Selon le Conseil d’État, les dispositions du Code de la santé publique en cause ne violent pas le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale, posés par les articles 2 et 8 de la Conv. EDH, compte tenu de leur objet et des conditions dans lesquelles elles doivent être mises en œuvre. De la sorte, l’alimentation et l’hydratation artificielles sont des traitements susceptibles d’être arrêtés lorsque leur poursuite relève de l’obstination déraisonnable. La poursuite des traitements relevant, en l’espèce, de l’obstination déraisonnable, la décision du médecin de mettre fin aux traitements de Vincent Lambert n’est pas illégale selon le Conseil d’État (CE, 24 juin 2014, n° 375081).
CE, 24 juin 2014, n° 375081 : « Considérant ainsi que, prises dans leur ensemble, eu égard à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles doivent être mises en œuvre, les dispositions contestées du code de la santé publique ne peuvent être regardées comme incompatibles avec les stipulations de l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes desquelles « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement […] » ainsi qu’avec celles de son article 8 garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale ; […]
Considérant qu’il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les différentes conditions mises par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable peuvent être regardées, dans le cas de M. J.I. et au vu de l’instruction contradictoire menée par le Conseil d’État, comme réunies ; que la décision du 11 janvier 2014 du Dr. H. de mettre fin à l’alimentation et à l’hydratation artificielles de M. J. I. ne peut, en conséquence, être tenue pour illégale. »
La Cour EDH, saisie par les parents de Vincent Lambert, juge la loi française conforme au droit à la vie, garanti par l’article 2 de la Conv. EDH, aux motifs que le cadre législatif français est clair et que la volonté du patient se trouve au centre du processus décisionnel dans un domaine où l’absence de consensus laisse aux États une certaine marge d’appréciation (CEDH, 5 juin 2015, n° 46043/14, Lambert et autres c./ France).
CEDH, 5 juin 2015, n° 46043/14, Lambert et autres c./ France : « dans le contexte des obligations positives de l’État, lorsqu’elle a été́ saisie de questions scientifiques, juridiques et éthiques complexes portant en particulier sur le début ou la fin de la vie et en l’absence de consensus entre les États membres, la Cour a reconnu à ces derniers une certaine marge d’appréciation ; […]
La Cour a considéré́ conforme aux exigences de cet article le cadre législatif prévu par le droit interne, tel qu’interprété́ par le Conseil d’État, ainsi que le processus décisionnel, mené́ en l’espèce d’une façon méticuleuse. Par ailleurs, quant aux recours juridictionnels dont ont bénéficié́ les requérants, la Cour est arrivée à la conclusion que la présente affaire avait fait l’objet d’un examen approfondi où tous les points de vue avaient pu s’exprimer et tous les aspects avaient été́ murement pesés, au vu tant d’une expertise médicale détaillée que d’observations générales des plus hautes instances médicales et éthiques. […]
En conséquence, la Cour arrive à la conclusion que les autorités internes se sont conformées à leurs obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention, compte tenu de la marge d’appréciation dont elles disposaient en l’espèce. »
En conclusion, si la Cour EDH reconnaît progressivement un droit pour l’individu de décider de quelle manière et à quel moment doit prendre fin sa vie, au sens de l’article 8 de la Conv. EDH, le droit français ne l’admet qu’au profit des personnes malades et en fin de vie. À cet égard, le cadre juridique français règlementant l’arrêt des traitements de la personne en fin de vie, dans l’impossibilité d’exprimer sa volonté, ne contrevient pas au droit à la vie, garanti par l’article 2 de la Conv. EDH.